Les non-dits du procès contre la Loi 21

David Rand

2021-01-21

Dans la même série :

Nous attendons toujours la décision du juge Marc-André Blanchard dans la contestation de la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21). Durant le long procès en novembre et décembre 2020, nous avons entendu une pléthore de pseudo-arguments de la part des adversaires de la laïcité. Toutefois, du côté des pro-laïques, qui se sont fait attribué beaucoup moins de temps de plaidoirie que les adversaires, plusieurs arguments importants n’ont pas été adéquatement articulés.

Voici une liste (pas nécessairement exhaustive) de quelques points saillants qui n’ont pas été suffisamment expliqués — et pour certains, pas mentionnés du tout — devant le juge :

  1. L’analogie entre minorités religieuses d’une part et minorités d’autres types (raciale, d’orientation sexuelle, de handicap, etc.), maintes fois évoquée par les adversaires de la laïcité, est complètement fausse et, en plus, implique la négation totale de la liberté de conscience.
  2. L’appartenance religieuse est un choix, non pas un destin inéluctable. Du moins, elle doit être un choix, sinon il s’agit, encore une fois, de la négation totale de la liberté de conscience.
  3. La liberté de religion n’est pas absolue, car aucune liberté n’est absolue. Les droits des uns s’arrêtent, ou du moins sont limités, là où commencent les droits des autres.
  4. Les signes religieux ont souvent une signification politique. Si le signe est porté par un(e) fonctionnaire ou un(e) enseignant(e) au travail, il a certainement un impact politique. La neutralité religieuse des agents de l’État, exigée par la laïcité, est ainsi fortement liée à la neutralité politique.
  5. La Loi 21 ne vise ni les personnes ni les groupes de personnes. Au contraire, elle vise certains comportements, tout comme les loi anti-tabac et les limites de vitesse sur les routes.
  6. Un signe religieux, cela s’enlève, sans intervention chirurgicale.
  7. Les croyant(e)s sont entièrement responsables de leurs croyances et de leurs pratiques religieuses. L’État n’est aucunement obligée de les accommoder.
  8. Le sens objectif du voile islamique, comme le hijab, est de signaler que celle qui le porte est une femme pure, tandis que celles qui n’en portent pas, surtout les musulmanes qui ne le portent pas, sont des femmes impures qui méritent l’enfer.
  9. Plusieurs pratiques religieuses, si elles sont imposées aux enfants, constituent de la maltraitance. Exemples : le jeûne, le port du voile, la privation de musique, la privation de soins médicaux, etc.
  10. Étiqueter un enfant par la religion de ses parents constitue le bafouement de la liberté de conscience de l’enfant.
  11. Une attitude négative (à l’égard de certaines pratiques religieuses, par exemple, ou à l’égard des personnes qui en font la promotion) qui se manifeste dans une population peut très bien ne pas être un préjugé, mais plutôt un jugement justifié et légitime.
  12. Un aspect majeur de l’opposition à la Loi 21 et à la laïcité qu’appuient fortement les Québécois est le sempiternel préjugé anti-québécois, si courant chez les Canadiens. C’est-à-dire que, le racisme ne se trouve pas du côté de la Loi 21 et de ses défenseurs, mais plutôt du côté de ses opposants. Contrairement aux propos diffamatoires des opposants à la laïcité, les pro-laïques ne font pas d’amalgame entre les terroristes et l’ensemble des Musulmans, mais ces mêmes opposant fonts souvent l’amalgame entre la violence anti-musulmane (comme l’attaque sur la mosquée de Québec) et l’ensemble des Québécois. Les propos de l’avocat Azim Hussain pendant le procès en sont un exemple flagrant.

Ce sont les points qui touchent à la question de la liberté de conscience, comme le premier ci-dessus, qui sont les plus primordiaux, car la protection de cette liberté et au cœur de la démarche laïque.

Les parallèles mensongers

Durant le procès, les avocats qui s’opposaient à la Loi 21 ont essayé maintes fois de tracer des parallèles entre les minorités religieuses et les minorités d’autres types, comme par exemple les minorités raciales, les gais, les handicapés, et ainsi de suite. Par exemple, le 30 novembre, Maître Grossman a même déclaré que l’appartenance religieuse, manifestée par le port d’un signe religieux, serait une « caractéristique personnelle immuable » ou « modifiable uniquement à un coût inacceptable pour l’identité personnelle ». Toutes ces tentatives sont malhonnêtes et font complètement abstraction de la liberté de conscience. S’il y a un parallèle valable à tracer, c’est entre l’appartenance religieuse et l’opinion politique, les deux étant au fait des opinions adoptées par l’individu et que ce dernier peut aisément changer.

Les témoignages des experts Eric Hehman, Paul Eid et Thomas S. Dee, par exemple, ont été presque entièrement dédiés à ce faux parallèle, cette confusion, apparemment délibérée, entre l’inaltérable et le changeable. Hehman a même avoué lors de son témoignage qu’il ne fait aucune distinction entre l’identité religieuse et les autres types d’identité. Lorsque le juge a demandé comment on peut assimiler une hostilité contre des minorités religieuses à du racisme, Eid a répondu qu’il rejette cette distinction et qu’il ne comprenait même pas la question. Quant à Dee, son expertise ne concernait que les minorités raciales, surtout les Afro-Américains, aux États-Unis.

L’appartenance religieuse est un choix ou devrait l’être — si ce n’est pas un choix, alors la liberté de conscience de l’individu est anéantie. Mais dans tous les autres cas (race, orientation sexuelle, handicap, etc.), il s’agit d’une caractéristique innée ou immuable, donc pas du tout du même ordre que la religion. Comme l’a si bien dit Georges-Auguste Legault, « Un handicap n’est pas un signe volontaire. Ce n’est pas un choix. Porter ou non un signe religieux est un choix. »

Dans sa plaidoirie pour l’English Montreal School Board (EMSB), Maître Perri Ravon vantait les prétendus mérites de cette commission scolaire qui fait tout pour accommoder les pratiques religieuses. Mais elle n’a absolument rien dit pour faire valoir la liberté de conscience des enfants en établissant une certaine distance par rapport à la religion des parents. Au contraire, elle assimilait chaque élève à cette religion parentale, bafouant ainsi les droits des enfants.

Pour résumer, les opposants à la Loi 21 ont semé une confusion qui essentialise l’appartenance religieuse et ont fait complètement abstraction de la liberté de conscience, que ce soit celle des étudiants dans les écoles publiques ou celle des usagers de services civiques. Ils ont ainsi négligé complètement une visée capitale de la laïcité, la protection de la liberté de conscience.


2 commentaires sur “Les non-dits du procès contre la Loi 21
  1. Pierre Cloutier dit :

    Ce qui m’a frappé c’est que le juge Blanchard a souvent posé la question: en quoi le port d’un signe religieux menace-t-il la liberté de conscience des autres? Cela est de mauvais augure,

    • Luc Déry dit :

      La réponse est en forme de question : pourquoi les compagnies paient-elles des fortunes pour leur simple logo apparaissent sur la combinaison des pilotes de Formule Un? Parce que ça influence ceux qui le voient. C’est vérifié académiquement, mais surtout par la pratique : si ça ne rapportait pas, les compagnies ne le feraient pas. Les symboles ont un impact en eux-mêmes ; les personnes qui les portent encore plus. Un enseignant portant un symbole religieux fait littéralement de la publicité passive pour sa religion, au même titre que Lewis Hamilton fait de la publicité pour Bose et Puma.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Imprimer cette page Imprimer cette page