Vivre avec un croyant quand on est athée

Romain

Je fais partie de ceux qui sont longtemps restés agnostiques, puis, par lecture et réflexion, je suis devenu athée. Les circonstances m’ont fait ouvrir les yeux.

J’ai grandi dans une famille catholique par tradition. Mon père, autrefois croyant, a perdu la foi. Ma mère est une athée baptisée. N’ayant jamais eu d’information familiale sur le catéchisme, je n’ai pas émis le souhait d’en faire, je n’ai donc reçu aucun endoctrinement religieux.

Je suis resté longtemps agnostique, défendant la position que s’il y avait une entité supérieure, nous n’étions pas en mesure de connaître sa volonté (cf Blogue no 11 de Libres penseurs athées, « La volonté de  » Dieu  » » de David Rand). Je me suis contenté de cette idée molle jusqu’à devoir prendre une décision qui allait engager mon avenir : j’ai fait ma vie avec une catholique croyante et (modérément) pratiquante… mea culpa.

En côtoyant ma belle-famille, j’ai finalement compris que j’avais à faire avec des personnes endoctrinées. Tout en prétendant avoir l’esprit ouvert, mon beau-père se met en colère dès que j’entre dans le domaine de la croyance, et que j’évoque la nature arbitraire des dogmes et enseignements religieux. Quand j’ai évoqué les indices du passé de notre planète, duquel Dieu semblait bien éloigné, j’ai eu le « droit » de lire un texte de plusieurs pages photocopiées en format A4, généreusement offert par ma belle-mère, le texte de la Genèse décrivant le mythe de la création du monde en sept jours, avec le commentaire suivant : « et pourquoi cette explication ne serait pas plus valable que la tienne ? » Je me suis abstenu de ressortir encore une fois les arguments sur la solidité des faisceaux de preuve concernant « mon » explication, et la fragilité de la seule bonne foi (sans jeu de mots) de quelques prêcheurs, eux aussi endoctrinés, concernant leur version de l’histoire.

Le fait que l’endoctrinement est ancré dans leur schéma cognitif les a rendus totalement inconscient de la réalité de cet endoctrinement. N’ayant pas été formaté dès mon plus jeune âge, j’ai pu prendre le recul nécessaire pour comprendre qu’il n’y a pas que les intégristes qui sont endoctrinés. Même ma propre belle-famille l’est, bien qu’étant de niveau intellectuel plus que correct (mon beau-père est cadre supérieur).

Je passais alors par une phase où je me posais beaucoup de questions concernant la psychologie humaine : arguments fallacieux, biais cognitifs, manipulations en tout genre. Dans pas mal de domaines, et parfois par expérience personnelle, j’ai fini par comprendre que la superstition s’insinue très facilement dans l’esprit humain. Une fois suffisamment implantée, celle-ci devient inextirpable : la superstition est un « cancer de l’esprit ». Pire encore, ce cancer fait des métastases. La superstition, quelle qu’elle soit, forme la personnalité à accepter d’autres genres de pensées magiques : médecines parallèles et produits attrape-nigauds ayant fait la preuve de leur inutilité continuent de faire la fortune de profiteurs et de charlatans.

Tout cela, je ne peux le prouver, mais le refus de croire sur parole les superstitions part de la même démarche intellectuelle que le refus de croire sans preuve en un produit ou une thérapie alternative. La pensée magique est un reliquat de l’évolution : utile en son temps, mais superflue voire dangereuse de nos jours. La société future doit apprendre à se débarrasser de cet instinct primitif. Comme ma belle-famille le prouve, il est encore bien présent dans l’homme moderne, homo sapiens.

C’est donc dans ce contexte que s’est posée la question de l’éducation de notre fille, venue au monde en 2010. Doit-elle aller au catéchisme ? Dois-je me mettre en froid avec mes beaux-parents pour une bête question de superstition ? Est-ce par lâcheté que j’ai cédé sous la pression de ma belle-famille ? J’ai tout de même confié à mon épouse que je tenterai d’empêcher l’endoctrinement de ma fille, en l’informant des incohérences des croyances religieuses. Je le ferai peut-être pour l’empêcher de perdre son temps à la messe, pour lui permettre de manger de la viande le vendredi si elle souhaite, pour éviter la tentation futile d’une vie de célibat recluse au fond d’un couvent, pour prévenir le recrutement par une quelconque mouvance extrémiste. Certes, je le ferai pour tout cela, mais aussi, ne nous voilons pas la face, pour m’éviter de devoir supporter à vie les conséquences éventuelles d’une décision lâche et égoïste.

J’ai mis le doigt dans l’engrenage, et je ne sais pas comment le retirer : tout est parti du fait que j’ai accepté que mes enfants soient baptisés, pensant simplement au geste. « Une petite cérémonie dans un vieux bâtiment, par un vieillard aux vieilles idées poussiéreuses, un peu d’eau sur le visage, et ma belle-famille me laissera tranquille », m’étais-je dit. Que nenni ! En acceptant ce baptême qui, je ne l’ai appris que bien plus tard, n’est pas un acte aussi anodin qu’il n’y parait de prime abord, je permets à l’église de compter un chrétien de plus, et ce sans l’accord de ma fille. De plus, c’est un vrai chemin de croix de se faire rayer des registres, sans avoir la mention « apostat », mention qui peut encore de nos jours être un handicap dans certaines sociétés. J’ai accepté qu’on marque ma fille au fer rouge de la religion catholique. Toujours en acceptant cette cérémonie, je me suis engagé « devant Dieu » à accepter qu’elle « bénéficie » du catéchisme, ce que j’ignorais bien évidemment quand j’ai accepté le baptême.

Un engagement dont la portée m’échappait complètement, pris devant un Dieu qui n’existe pas, sous la pression de personnes endoctrinées, dans le but de faire endoctriner une personne fragile, incapable de donner un consentement éclairé, est-ce engagement que la morale m’oblige à le suivre ? Ou bien, au vu du contexte de cet engagement, celui-ci est-il immoral, et donc caduc ? Dois-je me battre contre vents et marées pour donner une éducation athée à ma fille ? Dois-je au contraire laisser le catéchisme se faire, et tenter d’en contrer les effets ? Alors que ma famille a évolué vers l’athéisme, dois-je laisser ma descendance revenir vers la religion ?

Devant toutes ces questions, dont certaines réponses ne sont pas évidentes quand on est entouré de croyants, je vais vous livrer les fruits de mon expérience personnelle : Si vous êtes athée et que vous vivez avec un croyant, réfléchissez bien à tous les actes en rapport avec la religion, même d’apparence anodine, car ils pourraient vous engager vous et vos enfants, bien plus que vous ne le croyez. Pensez-y avant de dire : « Baptiser nos enfants ? Le truc qui consiste à faire un signe de la main et mettre un peu d’eau sur le front ? Pas de problème, chéri(e), c’est quand tu veux. »

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