La neutralité religieuse ne suffit pas

David Rand

Traduction française de la conférence donnée au congrès Rationalist International, tenu à Cambridge, Royaume-Uni, les 27-28 juillet 2019.

Vous pouvez consulter aussi la version originale en anglais ou bien la présentation de diapositives (format PDF) qui a accompagné la conférence.

La version anglaise de ce texte paraît aussi dans la revue Humanist Perspectives, printemps 2020, no 212.

Introduction

La thèse principale de mon exposé est que la laïcité ne se résume pas du tout à la simple neutralité religieuse, car il faut ajouter à cette dernière la séparation entre État et religions. Cet ajout a des implications qui vont loin au-delà de cette neutralité.

À mon avis, la laïcité est très mal comprise dans le monde anglophone car on l’interprète souvent comme la seule neutralité religieuse. Au fait, je dirais que la laïcité est presqu’inconnue dans le monde anglophone : on y parle beaucoup de sécularisme et la séparation État-religions y est même souvent évoquée, mais ce concept de séparation est rarement appliqué de façon cohérente selon moi.

Définir la laïcité

Notre définition de la laïcité repose sur quatre principes :

  1. L’égalité, soit l’égalité de tous et de toutes.
  2. La liberté de conscience, y compris la liberté de religion et la liberté de s’affranchir de la religion, ainsi que d’autres libertés.
  3. La neutralité religieuse, soit la neutralité de l’État à l’égard des religions.
  4. La séparation, soit la séparation entre l’État et les religions

Quelques explications au sujet de ces quatres points :

Le premier principe, l’égalité, implique, bien sûr, l’égalité entre les femmes et les hommes.

Liberté de conscience

Le second principe, la liberté de conscience, est souvent formulé « liberté de conscience et de religion ». Je ne suis pas d’accord avec cette mention explicite de la liberté de religion, car la liberté de conscience l’englobe déjà. Mentionner la liberté de religion sans simultanément évoquer aussi la liberté de s’affranchir de la religion revient à accorder une priorité non méritée à la religion.

Le troisième principe, la neutralité religieuse, est ambigu, surtout s’il est évoqué en l’absence des autres, car deux interprétations fort différentes de cette neutralité en sont possibles, dont une ne considère même pas les incroyants, comme si les athées étaient inexistants ou sans aucune importance. Ces deux interprétations sont :

  1. La neutralité entre les différentes religions, c’est-à-dire entre les divers systèmes de croyances religieuses, mais excluant l’incroyance.
  2. La neutralité entre les différentes convictions, que ces dernières soient religieuses ou non, qu’il s’agisse de croyance ou d’incroyance.

On constate la différence entre ces deux interprétations ; la première exclut les incroyants (athées, etc.) tandis que la deuxième les inclut. Dans la version de « sécularisme » proposé par John Locke, par exemple, c’est la première interprétation qui s’applique.

Le quatrième principe, la séparation, implique que l’État doit rester indépendant et autonome par rapport à toute institution religieuse et à tout système de croyances. Ce principe est absolument essentiel car, sans lui, le troisième principe dégénère en la version faible de neutralité, celle qui n’inclut que les croyants religieux. D’ailleurs, sans la séparation, les deux premiers principes sont aussi compromis. Le principe d’égalité est affaibli car, sans la séparation, les athées ne bénéficient pas de cette égalité et, de plus, l’égalité femmes-hommes est compromise car les religions sont en général assez misogynes. La liberté de conscience de tous et de toutes, que l’on soit athée ou croyant, est menacée par l’influence religieuse au sein de l’État.

Le pseudosécularisme de Locke

John Locke
John Locke

Dans son célèbre Lettre sur la tolérance parue en 1689, le philosophe et médecin anglais John Locke propose une société et un gouvernement qui tolèrent diverses religions. Mais il en exclut les catholiques à cause de leur supposée allégeance à un prince étranger. De plus, Locke est résolument athéophobe car, selon lui, on ne peut jamais se fier à un athée puisque ce dernier est sans religion.

Locke est sans doute la référence en matière de sécularisme dans le monde anglophone, mais selon moi sa vision constitue plutôt du pseudosécularisme puisque Locke suppose que tout individu ayant un minimum de sens d’éthique, méritant le droit de vivre en sociéte aux côtés des autres, doit forcément avoir une religion et, de plus, une religion théiste. Au fait, l’approche de Locke n’est que la version faible de la neutralité religieuse, celle qui exclut la neutralité entre croyance et incroyance et qui ne respecte pas la séparation entre les religions et l’État. Son athéophobie est tout à fait inacceptable.

Ainsi, le pseudosécularisme de Locke constitue une forme tronquée du sécularisme et il est inévitablement communautariste. Les partisans modernes de ce programme ne font que corriger les plus flagrantes lacunes laissées par Locke en remplissant les blancs, pour ainsi dire, en ajoutant au mélange les catholiques et les athées — et possiblement d’autres groupes ou identités. Les partisans modernes de Locke ne proposent malheureusement pas l’application de valeurs universelles, indépendamment de l’appartenance religieuse, ou l’absence d’appartenance, de l’individu. Qui plus est, ils négligent d’étendre le modèle de Locke aux trois autres principes de la laïcité, soit l’égalité, la liberté de conscience et surtout la séparation. Ces athées qui se fient au modèle de Locke se laissent duper par le discours communautariste très à la mode aujourd’hui qui célèbre la « diversité » comme si cette dernière était synonyme de bonté brillante et absolue.

La diversité religieuse ne constitue par un argument pour la laïcité. C’est plutôt un argument pour la neutralité religieuse, au mieux. La laïcité est nécessaire non seulement afin de maintenir la paix entre les religions concurrentes, mais aussi pour empêcher les religions de polluer les institutions publiques avec leurs foutaises surnaturelles.

Dans les pays où le paysage religieux est homogène, la nécessité de la séparation entre religion et État n’est pas moindre. Même dans une nation ayant peu de diversité religieuse, voire une seule religion monolithiquement dominante, la laïcité est toujours nécessaire, peut-être même encore plus nécessaire, afin de prévenir l’ingérence de cette religion dans les affaires d’État, afin de protéger les citoyens, et surtout les citoyennes, contre la puissance écrasante de cette institution religieuse.

D’ailleurs, l’idée que les institutions d’un État laïque devraient en quelque sorte refléter la diversité religieuse du pays nous amène directement à ce que l’on appelle la « laïcité ouverte ». Cette parodie de laïcité se reconnaît par l’absence de séparation entre les religions et l’État, et par sa promotion de la représentation religieuse dans les institutions publiques.

Le sécularisme républicain (Laïcité)

Dans d’autres cultures, d’autres variantes de sécularisme ont été proposées, la plus importante étant organisée autour du principe du républicanisme (à ne pas confondre avec le parti politique américain). En particulier, la tradition française de laïcité est à mon avis la forme la plus avancée et la plus éclairée de sécularisme jamais conçue et c’est un exemple de sécularisme républicaine. Cette laïcité a inspiré les sécularistes dans plusieurs autres pays, tels que la Turquie, le Mexique, ainsi que d’autres.

Selon le dictionnaire en ligne Wiktionnaire, la république est un régime politique non héréditaire qui favorise l’intérêt général. Il s’agit donc de respecter la souveraineté populaire, une approche pragmatique à la gouvernance s’appuyant idéalement sur la science et la raison. Le républicanisme implique une forme d’universalisme où tous les citoyens et toutes les citoyennes, peu importe leur appartenance religieuse ou absence de telle appartenance, sont sur un pied d’égalité, où les religions ne jouissent pas de privilèges.

L’athéisme et la laïcité ne sont pas synonymes, mais partagent un socle commun.

Il est évident que l’athéisme et la laïcité ne sont pas des synonymes. Le premier est une position personnelle adoptée par l’individu, tandis que la seconde est un principe de gouvernance. Toutefois, les deux ont une base commune : la non-reconnaissance de toute autorité divine. L’individu athée ne reconnaît aucune autorité divine en matière de morale personnelle. La collectivité — c’est-à-dire l’État laïque — en fait autant en matière de législation et dans le fonctionnement des institutions de l’État.

Pourtant, et ceci est primordial, l’État laïque n’exclut pas les croyants religieux. Ces derniers participent, comme le font tous les citoyens et toutes les citoyennes, peu importe leur croyance ou incroyance. Mais, pour emprunter les propos de Barack Obama à l’époque où il était sénateur (2006-06-28), les croyants doivent « traduire leurs préoccupations en valeurs universelles, plutôt que spécifiques à une religion », et doivent ainsi respecter la raison.

La laïcité est un principe de gouvernance d’État, tandis que l’athéisme est un principe de morale personnelle. Et l’État laïque et l’individu athée rejettent la théorie du commandement divin, ce dogme selon lequel la morale et la bonne gouvernance doivent se conformer à la volonté de « Dieu », une volonté absolument inconnaissable. Ainsi, l’intersection entre la laïcité et l’athéisme, c’est l’indépendance de la morale et l’éthique par rapport aux dogmes religieux, c’est-à-dire, la séparation entre la morale et la religion.

La neutralité religieuse versus la laïcité, en pratique

Voici quelques exemples concrets qui illustrent la distinction entre la neutralité religieuse et la laïcité.

Approche Neutralité religieuse Laïcité
Dispositions constitutionnelles et législatives La neutralité religieuse est déclarée. Exemple :

  • Premier amendement de la Constitution américaine, “Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof” (Le congrès n’adoptera aucune loi faisant l’établissement d’une religion…)

La séparation n’est pas mentionnée. De plus, cette disposition ne s’appliquait aux états particuliers des É.-U. qu’à partir de milieu du XXe siècle.

La séparation est déclarée. Exemple :

(Le mot « Églises » serait sans doute remplacé par « religions » si la loi était rédigée plus récemment.)

Liberté de religion La liberté de religion est déclarée, mais sans condition, comme si elle était absolue. Exemple :

  • Premier amendement de la Constitution américaine, “Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof” (Le congrès n’adoptera aucune loi entravant le libre exercice de la relgion.)
La liberté de religion est déclarée, mais elle n’est pas absolue. Exemple :

Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, 1789, Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

La prière lors des sessions législatives et lors des conseils municipaux. Plusieurs prières sont prononcées, reflétant la diversité religieuse au sein de la population. Exemples :

Aucune prière. Possiblement un moment de silence. Exemple :

  • Législature de la province de Québec au Canada.
Port de signes religieux par les fonctionnaires Permis, même lorsque l’employé(e) est en service. Exemples :

  • La GRC au Canada permet aux officiers de religion sikhe de porter le turban au lieu du casque de l’uniforme réglementaire.
  • Plusieurs corps policiers au Canada permettent le port du hijab par les policières.
Interdit lorsque l’employé(e) est en service. Exemple :

  • La loi 21 au Québec (ne s’applique qu’aux positions d’autorité)
Port de signes religieux par les nouveaux citoyens et les nouvelles citoyennes Permis, même durant la cérémonie de citoyenneté. Exemple :

  • Zunera Ishaq a porté le niqab durant sa cérémonie de citoyenneté et ce, grâce à la Loi sur le multiculturalisme canadien et à l’alinéa 17(1)b) du Règlement sur la citoyenneté qui stipule que le juge de la citoyenneté doit accorder « la plus grande liberté possible pour ce qui est de la profession de foi religieuse ou l’affirmation solennelle des nouveaux citoyens ».
Interdit lors de la cérémonie de citoyenneté. Exemple :

  • Le gouvernement de l’époque a émis une directive pour interdire le port du niqab, mais cette directive a été contremandée par la cour fédérale. (Ce gouvernement n’était pas nécessairement motivé par des considérations de laïcité.)
Les politiciens à la recherche de votes Les politiciens pratiquent le clientélisme, c’est-à-dire la recherche d’appuis provenant de « communautés » ethnoreligieuses particulières en courtisant et en s’adressant aux leaders communautaires auto-proclamés. Les politiciens et les gouvernements s’adressent à l’ensemble des citoyens et des citoyennes universellement, évitant ainsi de cibler des groupes ayant des intérêts particuliers.
Gestion de la diversité religieuse Multiculturalisme, euphémisme qui implique le communautarisme, c’est-à-dire la reconnaissance de diverses « communautés », surtout les groupes ethnoreligieux. Exemple :

  • La Loi sur le multiculturalisme canadien. Le gouvernement canadien considère que la diversité religieuse est un bien positif à protéger et à promouvoir.
Universalisme. Tous les citoyens et toutes les citoyennes sont sur un pied d’égalité, sans égard à leur appartenance religieuse (ou autre identité particulière) ou absence d’appartenance ou d’identité.

L’État reste aveugle (ou devrait) à l’égard de l’identité religieuse ou non religieuse de l’individu.

Liberté d’expression Des privilèges sont accordés aux religions, soit en limitant la critique des religions, soit en accordant une impunité aux religions en matière de propos haineux. Exemples :

  • Bien que la loi canadienne interdisant le blasphème (§296, inutilisée depuis longtemps) soit récemment abrogée, le parlement a récemment adopté une motion M-103 condamnant la soi-disant « islamophobie ».
  • La loi sur la propagande haineuse dans le Code criminel du Canada comporte une exception religieuse qui a été renforcée en 2003 lors de l’ajout de « l’orientation sexuelle » aux motifs de discrimination interdits dans ce Code.
Aucun privilège accordé aux religions. Aucune reconnaissance du soi-disant « blasphème ». Aucune contrainte imposée à la critique des idées et des idéologies.

Exemples : Plusieurs pays n’ont plus de loi anti-blasphème (Canada, Grande Bretagne, Irlande, France, etc.). Toutefois, la liberté d’expression est en général menacée par des lois et des dispositions qui ne mentionnent pas nécessairement le « blasphème » explicitement mais qui peuvent constituer une forme de censure.

Séparation et neutralité, de fait et d’apparence

Une conséquence majeure de la séparation entre l’État et la religion est que les fonctionnaires d’État doivent rester neutres, et de fait, et d’apparence, et que cette neutralité religieuse doit être du second type, soit la neutralité forte. C’est-à-dire qu’il est inacceptable de permettre de l’ingérence religieuse dans l’État où toutes les religions participeraient de façon égale, car cela violerait évidemment le principe de séparation. En même temps, l’État ne doit pas faire la promotion active de l’athéisme non plus, bien que l’État demeure non religieux et donc fonctionnellement et passivement athée.

Afin que l’État soit indépendant de religion et affranchi de toute influence religieuse, ni ses installations physiques ni ses agents humains ne doivent afficher de signes religieux évidents. Un tel affichage religieux, que ce soit au mur d’un édifice d’État ou sur la personne d’un(e) employé(e) de l’État pendant ses heures de travail, constitue une violation évidente de la séparation religion-État. Dans les deux cas, le signe religieux représente au minimum une approbation passive par l’État de la religion ainsi symbolisée. Un symbole antireligieux ou athée serait également inacceptable dans les deux situations et pour des raisons semblables.

La religion est, ou devrait être, une affaire privée. Lorsque une religion cherche à s’exhiber, il y a forcément un but politique derrière le geste, un but qui n’a pas sa place dans les institutions civiques.

Lorsque un(e) fonctionnaire d’État porte un signe religieux au travail, il ou elle déclare ainsi que son appartenance religieuse est plus importante que son rôle de représentant(e) de l’État ayant le mandat de servir le public. Il ou elle prétend ainsi que sa liberté d’expression personnelle aurait priorité sur la liberté de conscience des usagers et étudiants qu’il ou elle doit servir. C’est le monde à l’envers.

Lorsque l’État interdit les signes religieux (ou antireligieux) portés par les fonctionnaires au travail, il affirme son intention d’accorder un traitement égal à tous les citoyens et à toutes les citoyennes, à tout le public, équitablement, peu importe leur religion ou absence de religion. L’État s’engage ainsi à respecter la liberté de conscience des usagers des services publics et des étudiants dans les écoles.

Lorsque un(e) fonctionnaire refuse de respecter l’interdiction du port des signes religieux au travail, il ou elle déclare ainsi que sa pratique religieuse est si fanatique, si intégriste, qu’il lui est impossible de présenter une image neutre même lorsque son emploi l’exige.

Ici, il faut expliquer une nuance importante : Les soi-disant « obligations » religieuses, cela n’existe pas, sauf, bien sûr, une obligation imposée par une coercition exercée par autrui. Plus précisément, un individu qui participe à des activités religieuses, ou qui affiche certains comportements réliés à des croyances religieuses, ou qui porte des signes religieux, ou bien il a librement choisi ce comportement religieux, ou bien il y a été contraint. Dans ce dernier cas, il est victime d’abus et l’État laïque a le devoir de l’aider à mettre fin à cet abus, surtout si la victime est mineure. Dans le premier cas, où il n’y a pas de coercition, l’individu a toujours un choix, parce qu’il peut choisir s’il veut respecter ou non les « obligations » de la tradition religieuse à laquelle il a choisit d’adhérer.

Finalement, si l’État, par pusillanimité ou par complaisance, permet à l’employé(e) récalcitrant(e) de garder son signe religieux au travail, alors cet État reconnaît implicitement que ce signe religieux fait tellement partie intégrante de la personne que cette dernière ne peux pas ne pas le porter. L’État essentialise ainsi l’appartenance religieuse de l’employé(e), comme si cette identité était immuable comme un attribut génétique ou racial et comme si l’« obligation » de porter le signe était effectivement divinement commandée. L’État donne ainsi son aval à la religion de l’employé(e). Inacceptable !

Étude d’un cas spécifique : La laïcité au Québec

La province canadienne de Québec est à l’avant-garde de la laïcisation. Il a fait des progrès importants dans ce sens récemment, tandis que la plupart des pays stagnent ou reculent vers une plus grande ingérence religieuse dans leurs institutions.

Voici un survol des événements au Québec depuis quelques années en matière de laïcité :

  • 2007-2008 : La Commission Bouchard-Taylor reçoit le mandat d’étudier la controverse autour des « accommodements raisonnables » (qui ne sont jamais raisonnables lorsqu’ils sont religieux). Recommandation : interdire le port de signes religieux chez les fonctionnaires d’État en position d’autorité coercitive seulement (police, juges, procureurs, gardien(ne)s de prison). Pas mis en œuvre.
  • 2013-2014 : Une Charte de laïcité est proposée. Elle interdirait le port de signes religieux pour toute la fonction publique. Appuyée fortement par la population et par tous les militants laïques au Québec. Mais le gouvernement perd l’élection en avril 2014 et la Charte meurt.
  • 2016 : Le nouveau gouvernement adopte la Loi 62 qui prétend favoriser « le respect de la neutralité religieuse de l’État » mais ne fait qu’interdire les couvre-visage (pas les signes religieux) dans la fonction publique et permet les « accommodements ». Même cette loi archi-faible est de trop pour les antilaïques.
  • Janvier 2017 : Massacre à une mosquée de la ville de Québec. Le philosophe catholique Charles Taylor répudie la recommandations de la Commission dont il a été coprésident, alléguant que la promotion de la laïcité serait une cause de la violence anti-musulmane. C’est de la diffamation. Au contraire, l’adoption de la Charte aurait réduit les tensions sociales. (Voir la décision du juge Yergeau.)
  • 2018-10-01 : Un nouveau gouvernement est élu, la Coalition Avenir Québec (CAQ), un nouveau parti politique. Dans les 48 heures, la CAQ annonce son intention d’adopter de la législation laïque.
  • 2019-03-28 : Le Projet de loi 21, « Loi sur la laïcité de l’État », est proposé par le nouveau gouvernement. Le gouvernement promet aussi d’enlever ce moyenâgeux crucifix (celui dans le Salon bleu de l’Assemblée nationale) au moment de l’adoption de la loi. Une motion à cet effet est adoptée à l’unanimité par l’Assemblée.
  • 2019-06-16 : La loi 21 est adoptée !

2019-07-09 : Crucifix enlevé de l’Assemblée nationale
2019-07-09 : Le crucifix est enlevé de l’Assemblée nationale

  • 2019-07-09 : Ce pathétique crucifix qui trône sur la chaire du président au Salon bleu de l’Assemblée nationale est enfin enlevé ! Bon débarras !
  • 2019-07-18 : Le juge Michel Yergeau rejette une tentative de suspendre la Loi 21 pendant qu’elle est contestée devant les tribunaux par le Conseil national des musulmans canadiens et l’Association canadienne des libertés civiles. Dans sa décision il remarque que cette Loi n’est pas la cause de gestes contre les minorités religieuses tel que prétendent les plaignants. Au contraire, la Loi cherche à endiguer ce genre de dérives.

Ce que fait la Loi 21

  1. Elle interdit le port de signes religieux par les fonctionnaires en position d’autorité — c’est-à-dire, tel que recommandé par la Commission B-T, mais avec l’ajout des enseignant(e)s dans les écoles publiques.
  2. Elle interdit les couvre-visage lors de l’offre (par les fonctionnaires) et la réception (par les usagers) de services publics.
  3. Elle inclut une définition claire et simple de la laïcité (semblable à ma définition ci-dessus).
  4. Elle inclut une définition claire et simple de « signe religieux ».
  5. Elle interdit les accommodements religieux.
  6. Elle comporte une clause de droits acquis, c’est-à-dire une exemption de l’interdiction des signes religieux, pour les fonctionnaires en service le 27 mars (veille de la publication du projet de loi) qui gardent le même emploi.
  7. Elle stipule des mesures pour surveiller l’application de la loi et pour répondre à des cas de non-conformité s’il y a lieu.
  8. Elle enchâsse dans la Charte des droits et libertés de la personne le principe de la laïcité d’État, accordant ainsi à ce principe un statut quasi-constitutionnel.
  9. Elle déclare un nouveau droit qui stipule que « Toute personne ait droit à des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques ainsi qu’à des services publics laïques ».
  10. TOUTEFOIS, elle comporte une provision, ajoutée à la dernière minute, qui empêche d’utiliser le principe de la laïcité d’État pour modifier un édifice d’État, permettant ainsi que les signes religieux puissent y rester !

Ce que la Loi 21 ne fait pas

  • Elle n’interdit pas le port de signes religieux dans toute la fonction publique.
  • Elle n’interdit le port de signes religieux ni par les enseignant(e)s dans les écoles privées, ni par le personnel de centres de petite enfance.
  • Elle n’interdit pas le port de signes religieux par les député(e)s à l’Assemblée nationale. Ceci est incohérent avec le retrait du crucifix de cette Assemblée.
  • Elle n’interdit pas tous les signes religieux dans les édifices d’État.
  • Elle ne change rien aux privilèges fiscaux importants (exemptions de taxes et d’impôts, subventions aux écoles privées religieuses, etc.) dont jouissent les institutions religieuses.
  • Elle ne supprime ni ne réforme le très critiqué programme Éthique et culture religieuse (ÉCR), un cours obligatoire à tous les niveaux des écoles québécoises, qui endoctrine les enfants avec une vision communautariste et édulcorée des religions.

Réactions à la Loi 21

La Loi 21 constitue de la bonne législation laïque. Elle est très modérée, voire timide. Pourtant, elle suscite un véritable tsunami de réactions irrationnelles et malhonnêtes.

Il y a l’idée erronée que la Loi 21 discrimine certaines minorités. C’est faux. Cette loi traite toutes les religions sur un pied d’égalité. De plus, elle avantage tout le monde, y compris les croyants, qu’ils soient minoritaire ou non, en élargissant les droits puisqu’elle garantit des services publics laïques à tout le monde. La Loi 21 met fin à plusieurs privilèges religieux (malheureusement pas tous) et protège la liberté de conscience en étendant les droits.

Les ennemis de la Loi 21 prétendent que le port de signes religieux par les fonctionnaires au travail ne pose aucun problème du tout. Cette prétention est absurde. Ils n’ont jamais entendu parler de l’industrie de la publicité ? Les compagnies dépensent des millions de dollars sur la publicité, parce que ça marche. Une campagne qui s’appelle « publicité » dans le domaine du commerce s’appelle « prosélytisme » dans le domaine des idéologies et des religions. Les deux mots sont à peu près synonymes. Et comme le but d’une publicité n’est pas toujours de faire une vente immédiate, le but du prosélyte n’est pas toujours de convertir des gens à son idéologie ou à sa religion. Souvent, le but, c’est tout simplement de publiciser et de normaliser la marque, la rendre familière et acceptée par tout le monde en toute part, afin que cette marque fasse partie du décor, qu’elle passe partout.

Les ennemis de la Loi 21 prétendent aussi souvent que le voile islamique, par exemple, ne serait qu’un banal vêtement, porté volontairement, par choix. Pourtant, ce vêtement serait si irrésistiblement important à celle qui le porte qu’elle ne peut même pas l’enlever pour aller travailler comme, disons, policière. Apparemment, l’obligation religieuse de porter ce vêtement est absolument incontournable. Il s’agit d’une partie essentielle de sa personne, un aspect clé de son identité, à ce que l’on dit. Eh bien, moi je pose la question, allez-vous enfin vous décider ? Est-ce un choix ou bien est-ce une obligation ? L’imposture et la malhonnêteté de ce stratagème sont évidentes.

La seule « minorité » qui serait négativement touchée par la Loi 21, ce sont les intégristes et fanatiques religieux qui cherchent à imposer leur idéologie politico-religieuse partout, même dans les institutions d’État. Ceci est surtout le cas des islamistes que prétendent faussement parler au nom de l’ensemble des musulmans.

La réaction de beaucoup de médias de masse et de politiciens a été extrêmement hostile et irrationnelle, surtout venant du Canada anglais, où la laïcité demeure essentiellement inconnue, même si le mot « secularism » y est utilisé fréquemment. En pratique, seule la neutralité religieuse trouve un appui dans le monde anglophone et, comme je l’ai expliqué ci-dessus, la simple neutralité religieuse est une recette favorisant la reconnaissance et l’extension des privilèges religieux.

Le rôle d’une bonne partie de ce qui s’appelle la « gauche », et de ceux qui s’en inspirent, a été tout à fait honteux. Même un grand nombre d’organisations athées et humanistes qui se prétendent sécularistes ont capitulé devant l’obscurantisme religieux en se conformant à l’idéologie dominante du communautarisme qui idolâtre et essentialise l’identité religieuse, tout en abandonnant l’universalisme et les valeurs de Lumières. Ces pseudogauchistes se conforment systématiquement aux stratégies islamistes suivantes :

  1. Confondre race et religion. Ainsi, l’appartenance religieuse devient un aspect essentiel de l’individu. Ce stratagème facilite les accusations gratuites de « racisme » contre les laïques.
  2. La rhétorique d’inversion, par laquelle les islamistes redéfinissent les privilèges comme des droits, leur permettant ainsi de détourner et subvertir les droits humains.
  3. L’instrumentalisation du préjugé ethnique (c’est-à-dire, le racisme) anti-Québécois, un thème majeur qui traverse l’histoire du Canada, se servant de ce préjugé dans leur guerre contre la laïcité.

En revanche, des sondages révèlent qu’un grand nombre de Canadiens hors-Québec sympathisent avec l’interdiction des signes religieux. Le pourcentage hors-Québec demeure plus modeste que la majorité écrasante au Québec, mais il indique tout de même qu’il existe un grand décalage entre ce que pense la population et ce que les grand médias et la plupart des politiciens prétendent, de façon péremptoire et arrogante, que cette population devrait penser. La situation frise un scénario orwellien. Il y a une extrême intolérance de toute diversité intellectuelle sur cette question.

La laïcité, le sécularisme républicain : Un héritage inestimable

Actuellement la laïcité de type républicain est gravement menacée par les religions politisées, en particulier par l’islam politique, et par les forces régressives communautaristes (qui se prétendent faussement de gauche ou progressistes) qui sont les alliées objectives de l’islam politique. Cette menace est évidente dans les réactions toxiques à la Loi 21. Mais la laïcité est sérieusement menacée dans beaucoup de pays, et particulièrement en France, lieu de naissance du modèle le plus avancé de laïcité qui nous soit disponible. L’obscurantisme religieux d’extrême droite et ses alliés objectifs rêvent de tuer ce modèle de laïcité républicaine à même sa source.

Il s’agit d’une lutte entre l’intégrisme, le fanatisme et l’obscurantisme religieux d’un côté, et la laïcité, les valeurs des Lumières, les droits humains et la démocratie de l’autre.

Nous devons faire tout ce qui est humainement possible afin de préserver, protéger et développer cette laïcité, la vraie. En tant qu’athées et laïques, nous de Libres penseurs athées—Atheist Freethinkers et nos alliés du Rassemblement pour la laïcité (une coalition québécoise) célébrons cette réussite que représente l’adoption de la Loi 21, malgré ses faiblesses, et poursuivrons notre travail vers une laïcité complète.


4 commentaires sur “La neutralité religieuse ne suffit pas
  1. Réal Boivin dit :

    Merci David pour ce texte qui contient beaucoup d’informations très utiles pour tout le monde.
    J’ai beaucoup apprécié d’en connaître plus sur ce John Lock. On s’aperçoit que sa pensée pouvait être très utile à son époque. Mais aujourd’hui, ceux qui y adhèrent sont aussi archaïques que les croyants qui se basent sur des textes écrient par des ignorants qui pensaient que la terre était plate.

  2. Jean Gaillat dit :

    Merci pour ce texte que je découvre depuis la France. Je vous met ci-dessous un lien vers des articles dans mon Blog personnel où je parle de Laïcité …

  3. Jaques LACOTE dit :

    Bonjour,
    Est-il possible d’espérer que l’athéisme ait, un jour, la même audience officielle que les religions dans les grands médias, notamment TV et radios ?
    Et que dire des images opportunistes du style footballeur qui se signe en entrant sur le terrain ou qui lève les yeux et un doigt au ciel, lorsqu’il a marqué un but (idem, de plus en plus, pour d’autres reportages sportifs : rugby, vélo…) ? D’autant que ces images sont souvent reprises lors du compte-rendu TV du soir !
    Et Donald Trump, encore lui, qui fait constamment référence à la religion chrétienne, ainsi que quelques autres chefs d’états ou dirigeants du même style … Comment le Pape et les croyants sincères peuvent-ils accepter ces attitudes fourbes qui, en fait, dévalorisent plutôt la religion ?
    A moins que la religion atténue sévèrement les capacités de jugement des adeptes.
    Ceci ne serait bien qu’un point de vue d’athée.
    Quand venez-vous faire une conférence en France, svp ? Merci.
    Bien amicalement.
    J.L.
    PS : ce jour, j’ai voulu m’inscrire en soutien mai j’avais oublié que je l’avais déjà fait !!

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