Les lois anti-blasphème : Une question de privilège religieux

David Rand
Table ronde sur le blasphème, La « Non-Conference » 2015-08-22

Ce texte est une traduction du discours de David Rand, président de Libres penseurs athées, en tant que participant de la table ronde sur le blasphème, tenue à la « Non-Conference » à Kitchener, Ontario, Canada le 22 août 2015.

Dernière mise à jour : 2015-08-27

Table ronde sur le blasphème
Table ronde sur le blasphème: Christine Shellska, Eric Thomas, Doug Thomas et David Rand
Photo : Chris Elzinga — Cliquer pour agrandir


Nous savons tous qu’il y a au Canada une loi fédérale — l’article §296 du Code Criminel — qui criminalise le « libelle blasphématoire » et que des lois semblables existent dans de nombreux autres pays. Nous savons aussi que toutes ces lois, même celles qui sont rarement appliquées, constituent une menace sérieuse pour les droits humains et doivent toutes être abrogées. Effectivement, c’est la raison pour laquelle nous sommes réunis ici aujourd’hui : pour travailler ensemble afin de débarrasser l’humanité de ces vestiges d’une mentalité religieuse archaïque.

Mais, au fait, qu’est-ce que le « blasphème » ? Dans l’article §296 le législateur ne s’est même pas donné la peine de définir ce terme. Selon le Wiktionnaire, le blasphème se définit ainsi :

  1. Parole qui outrage la divinité ou qui insulte à la religion.
  2. Juron.
  3. Discours ou propos injuste, déplacé.

La dernière de ces définitions laisse libre cours à l’interprétation. Si nous considérons « injustes » ou « déplacés » des propos qui dénigrent ou discréditent des valeurs qui nous sont très chères, alors en théorie nous pourrions dire que rejeter l’évolutionnisme serait « blasphémer » contre la science et la raison, tandis que la pollution débridée serait un « blasphème » contre notre fragile planète Terre dont nous dépendons pour notre survie.

Cependant, nous savons que, dans la pratique, seules les religions ont la suprême et vertigineuse arrogance de prétendre systématiquement que leurs valeurs sont tellement sacrées qu’elles nécessitent une protection légale contre l’irrévérence. Cette attitude est révélatrice, car, de par cette prétention, les religieux admettent implicitement que leur idéologie est intellectuellement indéfendable, autrement pour quelle autre raison auraient-ils besoin de ces mesures répressives pour protéger leurs idées ? La théorie de l’évolution et l’écologie n’ont certes pas besoin d’une protection si factice. À l’évidence, seule une interprétation religieuse du blasphème rend les lois qui le criminalisent si dangereuses pour la liberté humaine. En effet, la première définition, celle selon laquelle le blasphème constitue une insulte à un dieu ou à une croyance, fait explicitement référence à la religion.

Vous connaissez peut-être le vieil adage selon lequel un athée ne peut blasphémer, car il est impossible d’offenser une entité inexistante ! En effet, si par blasphème nous entendons un outrage à la divinité, alors un individu qui ne reconnaît même pas l’existence de cette divinité ne peut en aucun cas l’offenser.

Malheureusement ce n’est pas ainsi que l’on interprète le terme « blasphème » aujourd’hui. Plutôt qu’une injure à une divinité dont on peut reconnaître ou nier l’existence, ce mot s’interprète le plus souvent comme une offense contre un système de croyances et même, par extension, une offense contre une communauté de croyants. Autrement dit, le blasphème est devenu à notre époque un autre privilège religieux, un accommodement particulier accordé aux croyances religieuses et aux croyants, un privilège que la société refuse aux communautés séculières.

Voilà donc comment nous devons, à mon avis, aborder la question de la législation anti-blasphème et comment nous devons nous y opposer. Cette législation n’est qu’une autre manifestation de l’habitude insigne d’octroyer des privilèges spéciaux aux idéologies religieuses ainsi qu’à ceux et celles qui prônent ou qui souscrivent à de telles idéologies.

Cette observation est amplement élucidée par une autre disposition du Code Criminel du Canada déjà mentionné, une disposition qui se trouve seulement quelques articles sous celui du « libelle blasphématoire ». Les articles §318–§320 traitent de la propagande haineuse, tandis que l’article §319 comporte un certain nombre de « défenses » qui ont pour effet d’excuser un geste qui serait autrement condamnable. En particulier, l’alinéa §319(3)(b) déclare que :

Nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction [… s’]il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument;

Cette disposition constitue une exemption accordée aux discours religieux, un sauf-conduit octroyant un privilège dangereux aux religions, leur permettant de proférer des propos haineux en toute impunité. Cette exemption est très significative puisque les écrits dits « saints » incitent souvent les fidèles à la haine ou la violence contre des groupes ciblés comme les non-croyants, les homosexuels ou certaines communautés ethniques. En fait, nous pourrions raisonnablement soutenir que la plupart des cas de propagande haineuse sont motivés par des croyances religieuses ; cette exception accorde donc l’impunité aux plus probables auteurs de ces méfaits.

Ces deux dispositions — l’article du « libelle blasphématoire » et l’exception religieuse à l’alinéa §319(3)(b) — doivent être comprises ensemble, comme deux manifestations semblables du privilège religieux en matière de liberté d’expression. La première protège les religions contre l’offense en limitant notre liberté de les critiquer, tandis que la seconde accorde aux religions le privilège de l’impunité lorsqu’elles tiennent un discours dénigrant les autres, même si ce discours est si venimeux qu’il serait considéré haineux s’il ne se fondait pas sur la religion. Dans les deux cas, la religion bénéficie d’un privilège refusé aux autres.

Cette symétrie entre les concepts du blasphème et de la propagande haineuse, si manifeste dans le Code Criminel du Canada, est très parlante. En effet, deux événements récents — l’un au niveau international, l’autre au Québec — illustrent de façon éloquente le lien insidieux entre eux.

D’abord, nous avons tous entendu parler de l’Organisation de la coopération islamique ou OCI qui s’efforce depuis plusieurs années de faire prohiber par l’ONU la prétendue « diffamation des religions ». Si l’OCI parvenait à ses fins, nous serions aux prises avec l’équivalent d’une loi internationale contre le blasphème. L’OCI a réussi à faire adopter plusieurs résolutions (heureusement non contraignantes) malgré l’opposition de plusieurs pays, dont le Canada, et la condamnation de partisans des droits humains et de la liberté d’expression. Ces résolutions emploient généralement un langage qui dénonce la « haine religieuse », l’« intolérance », la « xénophobie », etc., tout en semant la confusion entre religion et race.

Ensuite, le 10 juin dernier, le gouvernement actuel du Québec, celui du Parti libéral dirigé par Philippe Couillard, a présenté le projet de loi numéro 59 dont le but serait « la prévention et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence ». Cette loi accorderait à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, ou CDPDJ, de nouveaux pouvoirs draconiens. La Commission serait habilitée à initier des enquêtes de son propre chef sans recevoir de plainte, à recevoir des plaintes anonymes sans protéger l’anonymat des accusés, à censurer des propos avant la conclusion d’une enquête, à imposer des amendes exorbitantes et à publier sur internet une liste des « coupables ».

Plus inquiétant encore serait le plan d’action contre la « radicalisation » publié par le gouvernement le même jour que le projet de loi. Le document qui décrit ce plan ne fait presque aucune mention ni de l’intégrisme ni de l’islamisme. Pourtant l’« islamophobie » y figure à plusieurs reprises. En fait, le document situe la cause de la radicalisation djihadiste dans les préjugés en général et dans l’« islamophobie » en particulier, tout en négligeant la cause évidente, soit l’idéologie extrémiste de l’islamisme. Ceci est en totale rupture avec la réalité : si un préjugé anti-musulman existe, il doit être le résultat de l’islam radical, non pas son origine.

D’ailleurs, en décembre 2014, lors d’une entrevue à la radio de Radio-Canada, Jacques Frémont, président de la Commission, a justifié ce renforcement des pouvoirs de la Commission afin d’interdire les « discours haineux » en évoquant des résolutions allant dans ce sens et adoptées par les autorités onusiennes. D’évidence, il faisait allusion aux résolutions contre la « diffamation des religions », mais sans mentionner qu’il s’agissait de résolutions proposées par l’OCI dans le cadre de sa campagne islamiste habituelle.

Il ne faut pas oublier que le gouvernement Couillard actuel est arrivé au pouvoir en gagnant les dernières élections contre le gouvernement péquiste précédent qui avait proposé la Charte de la laïcité, probablement la meilleure législation laïque jamais mise de l’avant dans une juridiction canadienne, et qui était au coeur de la campagne électorale. L’aspect le plus controversé de cette Charte était le code vestimentaire qu’elle imposait aux fonctionnaires lorsqu’ils étaient au travail, un code qui limitait très raisonnablement le port de signes d’affiliation religieuse, tout comme la législation québécoise limite déjà l’affichage de symboles d’affiliation politique dans la fonction publique. C’est-à-dire que la Charte aurait supprimé un privilège religieux.

Cette Charte de la laïcité a été défaite par un mariage de circonstances entre les multiculturalistes et les islamistes qui, ensemble, ont vilipendé la Charte et ceux et celles qui l’appuyaient en utilisant un langage très semblable à celui des résolutions OCI. Le privilège d’afficher au travail et de façon ostentatoire son appartenance religieuse a été rebaptisé « liberté de religion » dans le vocabulaire déformé des opposants de la Charte.

Le Parti libéral sous la direction de Couillard a pleinement profité de cette vague antilaïque pour se faire porter au pouvoir avec une aide considérable des intégristes musulmans. Ce gouvernement est actuellement en train de rembourser cette dette en faisant la promotion de l’idée saugrenue que la radicalisation djihadiste serait causée par la prétendue « islamophobie » et non la propagande islamiste et en présentant ce projet de loi 59 qui s’annonce comme l’équivalent d’une nouvelle loi anti-blasphème au niveau provincial.

Notre organisation, Libres penseurs athées, participe au Rassemblement pour la laïcité (RPL), une coalition fondée en 2013 afin d’appuyer la Charte de la laïcité. Actuellement le RPL prépare un mémoire qui critique sévèrement le projet de loi 59 et qui sera présenté devant la commission parlementaire qui étudie ce projet de loi.

En conclusion, la criminalisation du blasphème est une problématique qui ne peut se résoudre de façon isolée. Nous devons voir plus grand. Il faut reconnaître que la législation anti-blasphème constitue un privilège religieux et que nous devons nous battre contre de tels privilèges à tous les niveaux et dans tous les contextes.

Merci.


Voir aussi :

5 commentaires sur “Les lois anti-blasphème : Une question de privilège religieux
  1. Albatros dit :

    Est ce un blasphème si je dis que le dénommé Rael est un escroc (abus de confiance, détournement de fonds, abus d’autorité, abus sexuels (ses anges) etc… sur fond de fausses promesses dont la venue des Eloïms prévue fort judicieusement après sa mort logique (il aura + de 100 ans)??? Alors qu’il a de nombreux « croyants »….
    Idem pour les 1000 dieux ayant existé (et existant toujours, car personne ne peut prouver la mort de Zeus, Athon, Manitou ou Odin). Et le dieu des incas a-t-il disparu avec le peuple ?? Ou erre-t-il dans l’espace seul abandonné par les humains (sans clientèle)!
    Si j’insulte un individu, il a la loi pour le défendre, mais dieu en a-t-il besoin ?? n’est-il pas assez fort pour punir celui qui l’insulte ???
    Petit détail domestique: dieu a-t-il une oreille qui traîne, à chaque seconde, près des 7 milliards d’individus pour les entendre blasphémer et connait-il les 1000 langues parlées et les milliers de dialectes ?????
    Dieu jgyek uhre neris khis poledaggr ad dtsaiuel POFz Keufgae !!!

  2. Albatros dit :

    Et puis messieurs les politichiens, avant de vous occuper de « blaphème » (qui ne sont que des mots) occupez vous de faire une loi contre les religions génocidaires (but avoué dans l’islam) et dont la démarche est un crime contre l’humanité (et là ce ne sont pas des mots mais des millions de morts de la façon la plus barbare !)

  3. Orecchiette dit :

    Bien dit Albatros! Mon Dieu ne s’offusque pas si on l’insulte. Le Monstre en Spaghetti Volant s’en fout!

  4. Orecchiette dit :

    Bien dit Albatros! Mon Dieu à moi, le Monstre en Spaghetti Volant, n’est pas offusqué si on l’insulte

  5. Denis Valiquette dit :

    Ferait-on une loi qui empêcherait quiconque à critiquer ou insulter un athée. Non, eh bien alors pourquoi les religieux auraient ce privilège. Les croyants bénéficient d’une foule de privilèges alors que le reste de la population (dont on ne connait pas le nombre) qui ne sont pas croyants, eux, subissent le courroux de ces religions qui depuis quelques temps mènent la barque avec leurs exigences. Eux cependant ne se gênent pas pour nous insulter en nous traitant de raciste, xénophobes et nazis. Il est clair, qu’un favoritisme existe envers les croyants pour des raisons connues et inconnues et parfois injuste. En général, la justice devrait traiter les individus sur un pied d’égalité. La religion au Québec devient peu à peu celle que nous avons abandonné pour des raisons de libertés. On étaient ceux que l’on appelaient, des gens nés pour un petit pain. C’est ce que l’église avait fait de nous, des gens inférieurs. Alors nous ne voulons pas revenir en arrière.

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