David Rand
Date de publication : 2023-01-23
Voici le discours prononcé par David Rand, auteur du livre Stillbirth, The Failure of Secularism in the English-Speaking World (« Mort né, L’échec du sécularisme dans le monde anglophone ») lors du lancement de ce livre à la libraire Le Port de tête, à Montréal, le 18 janvier 2023.
Vidéo : Jean-Paul Lahaie
Présentateur : Michel Caron
- Liste de lecture Stillbirth dans notre canal Youtube.
- Recension de Stillbirth par Pierre Marchand
Dans la foulée de l’adoption, par le gouvernement du Québec, de sa Loi 21, c’est-à-dire la Loi sur la laïcité de l’État, la controverse autour de cette Loi faisait rage dans les médias québécois. Mais dans les médias canadiens hors Québec, il n’y a pas eu de controverse, ou si peu. C’est-à-dire que la majorité écrasante de ces médias canadiens se trouvait bien d’accord que la Loi 21 était, selon eux, une horrible atteinte aux libertés fondamentales et la preuve d’une sérieuse aberration, une xénophobie extrême, dont le Québec et les partisans de cette Loi seraient atteints.
Pendant ce temps, parmi les diverses associations humanistes ou athées anglo-canadiennes qui se déclarent « secular », il n’y en avait aucune qui appuyait la Loi 21. Pis encore, au moins trois de ces associations s’y opposent explicitement et au moins une a déclaré son intention d’intervenir devant la Cour suprême du Canada contre cette Loi si la contestation s’y rend, ce qui est fort probable.
Pourtant, la Loi 21 est une importante, quoique modeste, étape vers la laïcité. Quiconque s’y oppose se rend carrément anti-laïque. En effet, définissons la laïcité par les quatre principes : (1) protection de la liberté de conscience; (2) égalité des citoyens et des citoyennes; (3) neutralité religieuse de l’État et (4) séparation entre religions et État. Alors il est évident que le port d’un signe religieux par un agent de l’État en position d’autorité — tel qu’interdit par la Loi 21 — viole au moins le principe de séparation. Si par exemple un policier ou un juge porte un hijab ou un crucifix visible en faisant son travail, il y a évidemment absence de séparation (principe 4). Au fait, permettre le port de ces signes viole les trois autres principes aussi.
Certaines personnes qui seraient plutôt d’accord avec ce que je viens de dire trouvent tout de même que j’exagère si j’applique ce jugement aux anglophones qui ont appris une autre définition de la laïcité — le sécularisme au lieu de la laïcité républicaine. Ces critiques protestent que, pour les anglophones, la religion fait partie de l’identité intime de la personne et, par conséquent, on ne peut demander au croyant ou à la croyante qui porte un tel signe identitaire de l’enlever pour aller travailler. Les anglophones seraient-ils congénitalement incapables de comprendre qu’une croyance religieuse n’est pas très différente d’une opinion politique ou d’une conviction philosophique non religieuse ?
Or, je suis très au courant de la distinction entre les deux modèles : le sécularisme — que j’appelle plutôt le pseudosécularisme lockéen — dans le monde anglophone et la laïcité républicaine dans le monde francophone. Ce pseudosécularisme prétend protéger la liberté de religion, mais néglige souvent le principe de séparation. La laïcité, en revanche, protège la liberté de conscience qui comprend à la fois la liberté de religion et la liberté de s’affranchir de la religion.
Pourtant, le concept de séparation entre religions et État est très connu en anglais, surtout que Thomas Jefferson y tenait fermement, même si dans la pratique ce principe est rarement respecté intégralement. De plus, la liberté de s’affranchir de la religion (« freedom from religion » en anglais) est un concept bien connu en anglais aussi. Une des plus importantes associations séculières américaines s’appelle la « Freedom From Religion Foundation »
Finalement, si moi je suis capable de comprendre la laïcité républicaine, les autres anglophones aussi peuvent faire un petit effort dans cette direction-là. La différence entre les deux modèles peut expliquer l’énorme retard des Canadiens anglophones en matière de laïcité, mais elle ne le justifie pas. Il ne suffit pas d’en comprendre la différence. Il faut travailler pour que tout le monde comprenne la nécessité et l’avantage de la laïcité républicaine.
Ici, j’utilise la Loi 21 comme une sorte de test décisif d’appui à la laïcité. Cette loi, malgré sa modestie, est tellement avant-gardiste dans le contexte nord-américain, et la réaction des anti-laïques est tellement malhonnête, fanatique et hystérique, qu’une prise de position pour ou contre cette Loi constitue un indicateur capital. Toutefois, cette question n’est pas la seule qui importe, évidemment. Les sécularistes (ou pseudosécularistes) au Canada sont confrontés à d’autres défis importants. Quelques exemples :
- La Motion parlementaire M-103 condamne la soi-disant « islamophobie » et associe celle-ci au « racisme ». Ce terme tendancieux « islamophobie » pose plusieurs problèmes : (1) une phobie est une peur irrationnelle, mais craindre une religion n’a rien d’irrationnel; (2) ce terme représente une confusion entre une idéologie (islam) et un ensemble de personnes (musulmans); et finalement (3) ce terme amalgame appartenance religieuse et identité raciale. Toute association séculière se doit de s’opposer à cette Motion M-103.
- Il faut également reconnaître la faiblesse constitutionnelle du sécularisme aux États-Unis. C’est-à-dire que la constitution de ce pays ne respecte ni le principe de séparation ni la liberté de s’affranchir de la religion. On n’a qu’à lire le premier amendement pour le constater. Il ne fait qu’interdire l’établissement d’une religion d’État et ne protège que la liberté de religion, non pas la liberté de s’en affranchir.
- Il faut aussi reconnaître la nature hautement politique des signes religieux, surtout le voile islamique. Prendre ces signes pour de simple vêtements, ou réduire le port à un simple choix personnel, c’est de l’ignorance capricieuse. Un signe religieux a un sens idéologique objectif, indépendamment de la volonté de la personne qui le porte.
- Il faut constater que les islamistes instrumentalisent la mouvance soi-disant « antiraciste » afin de lutter contre la laïcité. Ceci se fait surtout par la promotion de la confusion entre « race » et religion. Ceci se voit dans l’amalgame spécieux entre « islamophobie » et « racisme ».
- Finalement, il faut se rendre à l’évidence que le préjugé anti-Québécois est un aspect important de l’opposition à la laïcité au Canada anglais. Ce préjugé est instrumentalisé par les opposants de la Loi 21 afin de diaboliser cette Loi, tout en dénigrant les Québécois qui l’appuient majoritairement.
Or, sur chacune de ces questions cruciales, sauf erreur de ma part, les associations soi-disant « séculières » au Canada anglais se sont tues, ou bien elles se sont ralliées à une position anti-laïque. Elles ont échoué lamentablement. Deux exemples : un organisme torontois soi-disant « séculier », dans sa page web traitant de la Loi 21, suggère le plus sérieusement du monde que cette Loi serait « raciste » et une expression de « christianisme culturel ». Un autre organisme en Colombie-Britannique affirme que la Loi 21 nuirait aux « gens de couleur ». Ainsi, ces deux organismes essentialisent l’appartenance religieuse et évacuent la liberté de conscience, car si on confond race et religion, cette dernière devient immuable.
Pourtant, il y a à peine une décennie, à l’époque de la Charte de la laïcité proposée par le gouvernement du Parti Québécois en 2013 (et défaite en 2014), trois de ces associations, y compris Humanist Canada, ont exprimé une position sympathique à cette Charte. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Pourquoi y a-t-il actuellement une total absence d’appui de la part des associations anglo-canadiennes ?
L’explication est plutôt évidente : depuis plusieurs années, la mouvance que l’on appelle couramment le « wokisme » a gagné beaucoup d’influence dans les médias, parmi nos politiciens, ainsi que dans un grand nombre d’organismes militants, y compris parmi les soi-disant « sécularistes ». Mais il faut mieux définir ce phénomène, le terme « wokisme » étant bien trop vague. Il s’agit d’une mouvance dont les fondements théoriques comportent plusieurs tendances. Mais les deux principales sont (1) le postmodernisme appliqué au militantisme politique et (2) une sorte de post-marxisme orphelin et lobotomisé, résultant de la fin définitive du rêve soviétique.
Cette mouvance, je l’appelle la pseudo-gauche anti-Lumières ou, plus succinctement, la post-gauche, car sa caractéristique essentielle, c’est le rejet des valeurs des Lumières, des valeurs qui sont à l’origine de la définition même de la gauche politique. Aujourd’hui, ces valeurs sont largement acceptées (ou du moins l’étaient, avant la venue de la post-gauche). Même la droite modérée y adhère. Ce qui fait que parfois les adhérents de la post-gauche, malgré leurs prétentions d’être à gauche, se situent à la droite de cette droite modérée.
La post-gauche est foncièrement anti-laïque, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, la laïcité, comme la modernité, l’objectivité, la raison et la science — est un produit-clé de ces Lumières rejetées par la post-gauche. Deuxièmement, de par son penchant postmoderniste, la post-gauche verse dans le relativisme culturel, le tout-se-vaut, comme si toute tradition, voire religieuse, avait sa propre « vérité » à elle que l’on ne saurait critiquer. Écarter les religions de l’État devient donc inacceptable, car par quel droit peut-on choisir une « vérité » plutôt qu’une autre ? D’autant plus que cette « vérité » religieuse devient pour la personne croyante une identité intime qu’il faudrait protéger au nom des droits des minorités.
Les dégâts faits par la post-gauche sont très nombreux et bien connus. Mentionnons, par exemple, la censure du titre Nègres blancs d’Amérique du livre de Pierre Vallières. Ou l’exclusion, à certains postes universitaires, de candidats ayant un nombre insuffisant de points intersectionnels. Ou l’annulation de la pièce de théâtre SLĀV. Ou les subventions accordées à une certaine association islamique (pour ne par dire islamiste) pour promouvoir le port du hijab et lutter contre l’« islamophobie ». La liste est longue.
Je vous raconte un autre exemple de l’influence hautement néfaste de la post-gauche. En novembre et décembre de 2020, j’ai assisté à la quasi-totalité des séances où plusieurs individus et organismes contestaient la Loi 21 devant la Cour supérieure du Québec. Jour après jour, un thème se dégageait de la stratégie de ces opposants : l’idéologie de la post-gauche. L’argumentation contre la Loi 21 était une orgie de dogmes post-gauchistes, avec l’utilisation répétée de thèmes tels que le racisme, l’obsession des identités personnelles et des minorités, la rhétorique de l’inversion (c’est-à-dire la redéfinition des privilèges en « droits »), le dénigrement des gens de souche européenne et le préjugé anti-québécois.
Plusieurs avocats ont affirmé que le but de la Loi 21 était non seulement de discriminer les femmes et certaines minorités religieuses mais, pire encore, de fomenter le génocide de ces minorités. Pourtant, cette loi n’exclut personne et ne vise aucun groupe identifiable. Elle ne fait qu’exclure certains comportements — le port de signes religieux — dans des contextes spécifiques. Les adversaires de la loi ont nié toute suggestion que les signes religieux pourraient avoir un quelconque effet négatif sur quiconque, même sur les enfants à l’école, comme si de tels signes étaient complètement anodins et innocents dans tous les contextes. Ils ont totalement rejeté toute tentative de déterminer la signification objective de tels signes — y compris le voile intégral islamique manifestement misogyne — et n’ont reconnu que la signification subjective exprimée par la personne qui porte le signe.
Un avocat a comparé la Loi 21 au serment d’allégeance au monarque britannique qui, avant 1774, obligeait les candidats à l’emploi de l’État à renoncer à la foi catholique. Pourtant, la Loi 21 ne fait rien de tel, puisqu’elle ne touche que l’expression religieuse, pas la croyance, et uniquement sur le lieu de travail.
Les avocats contre la Loi 21 ont tenté à plusieurs reprises d’établir une équivalence entre les minorités religieuses d’une part, et les minorités d’autres types, telles que les minorités raciales, les homosexuels, les personnes handicapées, etc. Les témoignages de plusieurs experts opposés à la loi ont été presque entièrement consacrés à ce faux parallèle, cette confusion entre le modifiable et l’inaltérable. Un expert a admis lors de son témoignage qu’il ne faisait pas — et ne comprenait même pas — la distinction entre l’identité religieuse et d’autres types d’identité. Le témoignage d’un autre expert ne portait que sur les minorités raciales, en particulier les Afro-Américains, aux États-Unis. Un avocat a déclaré que toutes les conclusions fondées sur la race peuvent être appliquées à l’appartenance religieuse, évacuant ainsi le concept de liberté de conscience.
Mais le prix wokissime va au Maître Azim Hussain qui a comparé la Loi 21 aux règles racistes aux États-Unis qui obligeaient les Noirs à s’asseoir à l’arrière du bus, et à l’internement des Canadiens d’origine japonaise dans des camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a même fait la comparaison extravagante entre cette loi et les lois nazies de Nuremberg, comme si la Loi 21 pouvait être génocidaire. Dans sa détermination à discréditer deux experts qui ont témoigné en faveur de la Loi, Hussain a qualifié l’un d’« homme hétérosexuel blanc âgé » et l’autre d’« homme blanc ». On s’attendrait à ce qu’une telle impertinence ad hominem ne soit pas tolérée devant un tribunal. Pourtant, dans les deux cas, le juge n’est pas intervenu. Notons que ce même Hussain a été nommé à la magistrature de la Cour supérieure du Québec un an plus tard.
En résumé, les opposants à la loi 21 ont systématiquement semé la confusion en essentialisant l’appartenance religieuse et en ignorant la liberté de conscience, faisant ainsi complètement fi d’un aspect majeur de laïcité.
Alors, que faire face à de telles dérives, à de telle folies ? À mon avis, il y a deux principaux axes d’action. Premièrement, il faut viser l’éducation à la laïcité, tant au Québec qu’au Canada anglais. Le Rassemblement pour la laïcité (RPL), une coalition de groupes québécois laïques, est justement en train de produire une série de capsules vidéo pédagogiques pour la promotion de la laïcité. Quant à promouvoir la laïcité dans le Rest of Canada (ROC), le livre Stillbirth est ma modeste contribution à ce projet.
Et deuxièmement, il faut lutter contre les ravages de la post-gauche en s’attaquant à ses assises philosophiques. C’est-à-dire qu’il faut défendre et promouvoir les valeurs des Lumières telles que l’universalisme, l’objectivité, la raison, la science et la laïcité, tout en dénonçant le relativisme culturel et le dogmatisme de la post-gauche. À mon avis, le post-gauchisme constitue une parareligion, tandis d’autres observateurs le considèrent carrément une religion au sens propre du terme. Quoiqu’il en soit, j’ai bien peur que cette post-gauche, alliée de l’islam politique, soit en train de dépasser, et le christianisme, et l’islam en tant que mouvance religieuse obscurantiste constituant la plus sérieuse menace pour la laïcité.
Un document public est une référence qui ne peut être « annulée » et peut servir comme preuve ou exhibit lors d’une cause judiciaire.
Voilà je crois un document qui sera utile lors du procès de la loi 21.
Merci pour ce livre qui aidera à comprendre et non à pourfendre la laïcité.