Pierre Cloutier ll.m
2019-04-08
Ce texte est une réponse à la lettre ouverte de 250 universitaires contre le projet de loi 21 paru dans Le Devoir le 5 avril 2019.
- Pourquoi faudrait-il que l’interprétation du droit à la religion de 7 juges non élus de la Cour suprême du Canada, basée sur la conception anglo-saxonne de la neutralité religieuse de l’État soit supérieure à l’interprétation d’inspiration civiliste québécoise des représentants du peuple québécois, que sont les députés de l’Assemblée nationale ?
- Doit-on préciser en plus que la Charte canadienne des droits et libertés intégrée à la loi (britannique) constitutionnelle du Canada de 1982, a été imposée de force au Québec qui ne l’a jamais signée ni n’a fait l’objet d’un référendum ni au Québec ni au Canada alors que le Québec a depuis 1977 sa propre charte qui est supérieure en termes de droits à la charte canadienne ?
- Le droit à la religion, comme tous les droits fondamentaux, n’est pas un droit absolu, pas plus, à titre d’exemple que le droit à la liberté d’expression face à la diffamation.
- Tous les droits fondamentaux peuvent être restreints par une règle de droit qui soit raisonnable dans le cadre d’une société libre et démocratique (article 1 de la Charte canadienne) et doivent s’exercer aussi au Québec (en ce qui concerne les lois québécoises) dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien être des citoyens du Québec (article 9.1 de la Charte québécoise) et le projet de loi 21 ajoutera à cet article, la laïcité.
- Limiter le droit à l’expression de la religion dans l’espace civique (celui des institutions de l’État) pour certaines personnes en position d’autorité est tout à fait raisonnable et ne menace d’aucune façon le droit à la religion (et la manifestation de la religion) dans l’espace public.
- En plus, la loi constitutionnelle du Canada de 1982, même si on l’a enfoncée dans la gorge du Québec lors de la « nuit des longs couteaux », permet à son paragraphe 33 (1) ce qui suit :
« Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte. » - C’est exactement ce que le projet de loi 21 fait à son article 30 :
« La présente loi ainsi que les modifications qu’elle apporte par son chapitre V ont effet indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre 11 du recueil des lois du Parlement du Royaume-Uni pour l’année 1982. » - Comme disent les anglos : where is the problem ?
Je résume :
- L’État du Québec est laïque (article 1 du projet de loi 21) ;
- Les droits fondamentaux doivent s’exercer aussi dans le respect de la laïcité (article 9.1 modifié éventuellement par le projet de loi 21) ;
- Le projet de loi 21 a effet indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne.
Pierre Cloutier ll.m
Je le trouve excellent.
Mais incomplet comme le projet de loi 21 lui-même.
Voici ce qu’il faut ajouter :
Pour une laïcité complète
Invitation au gouvernement du Québec à compléter le projet de loi pour une laïcisation complète qui, ainsi, sera pleinement réussie.
Étirer, ménager ou temporiser, c’est traîner. Protégeons l’avenir par une loi vraiment complète :
Mesures :
1, Abrogation des exemptions fiscales aux organisations religieuses; aucun retour d’impôt sur les dons des particuliers aux organisations religieuses; : tout don est défini comme un revenu pour qui en vit.
2, Refonte du cours ECR par le retrait de la partie «culture religieuse» au profit de l’éthique moderne (cf. André Comte-Sponville «Petit traité des grandes vertus»).
3, Laïcisation et rajeunissement de la toponymie du Québec avec mise à l’honneur des cultures autochtones, des grands modernistes de l’histoire du Québec, et surtout des femmes illustres si absentes de notre toponymie.
4, Abrogation des cimetières religieux. Tout cimetière est laïque.
5, Abrogation de la loi des évêques et autres lois liant le Québec avec le Vatican
6, Inclusion de toutes les écoles (privées, subventionnées ou non) en vue de la protection de tous les enfants du Québec de toute forme d’endoctrinement
7, Constitution d’un comité en aide aux victimes de pédophilie par les religieux au Québec, toutes institutions et confessions confondues.
8, Extension à toutes les entreprises des règles de la laïcité à celles qui voudraient s’en prévaloir.
9, Aucune invitation et participation à quelque représentant d’organisations religieuses pour les grandes occasions de l’État (commémoration, funérailles, etc.)
10, Nationalisation sans compensation de toutes les archives de l’Église catholique au Québec en tant que patrimoine du peuple québécois.
11, Abolition de toute subvention pour le patrimoine à la seule charge des organisations religieuses avec dispense si l’actif patrimonial est cédé gratuitement à l’État
12, Interdiction de la commercialisation ou les sur-coûts (affectant le public non croyant) des aliments kasher ou halal.
13, Remplacement de l’expression «liberté de religion» (trop large, abusive et surfaite) par «liberté d’expression à 7 volets» d’égale importance :
médiatique, scientifique, commercial, religieux, journalistique, artistique et académique; volets tous régulés par nos lois.
14, Confinement de toute expression religieuse dans le domicile privé et les lieux de culte, comme les autres activités (sport, alimentation, activités sociales) sont soumises à des lieux obligés. Sauf les grandes fêtes religieuses permises après autorisation à la municipalité dans les rues et les parcs; et dont les coûts de la sécurité sont assumés par les organisateurs.
15, Dans toutes les écoles, publiques et privées, l’État approuve les projets éducatifs obligatoires, affirme et protège les valeurs de la modernité : égalité des sexes, orientation sexuelle, rationalisme, hédonisme responsable et préséance de la science moderne dans la formation pédagogique et la délibération publique. Aucun projet éducatif privé devant les contourner ou les édulcorer.
16, Les anciennes fêtes chrétiennes, largement sécularisées, restent au calendrier des fêtes légales mais non religieuses.
17, Aucune fête religieuse n’est chômée par l’État et par les entreprises privées.
18, Aucun accommodement religieux n’est permis dans les entreprises privées.
19, Pour la protection de la liberté de conscience en formation des enfants, aucun enseignement religieux n’est permis avant 18 ans.
20, Tout l’état civil est tenu par les autorités civiles uniquement.
21, Les organisations religieuses sont tenues à fournir annuellement l’état des revenus et dépenses de toutes leurs œuvres caritatives.
22, Tout membre du clergé devant approcher les familles doit être muni d’un diplôme en psychopédagogie.
23, Pas de clause grand-père, car elle envoie le signal que ce qui peut être toléré aujourd’hui peut logiquement donc l’être pour demain.
Il s’agit de cohérence. Cette dernière qualité doit être sauvegardée dans la loi et avoir préséance sur le caprice et la rigidité d’adaptation d’un employé. Quand de nouvelles mesures légales affectent la santé publique, elles s’appliquent maintenant. De même la protection de nos enfants contre l’endoctrinement et l’image publique de l’État par ses fonctionnaires.
24, Les signes religieux interdits dans toutes les institutions de santé, tant publics que privés, tant sur les murs que sur les personnes.
25, Les tolérances en laïcité ne sont pas des compromis, mais des aveux de faiblesse dans la détermination politique et un aveu de la non-urgence de la laïcité. Pourquoi, ce qui est bien, la laïcité, devrait-elle attendre ou être limitée ? Perdre son emploi ?
26, On ne postule pas un emploi qui ne nous convient pas, et on le quitte s’il ne nous convient plus. Des milliers de travailleurs font tout naturellement ces deux choix chaque année. Des milliers d’enseignants ont naguère enseigné dans des commissions scolaires catholiques tout en ne l’étant plus, et aucun n’affichait son incroyance. À l’inverse et tout aussi légitimement, un croyant peut devenir fonctionnaire sans manifester sa croyance.
27, Il ne s’agit pas, en laïcité, d’«identité » québécoise ou de «nettoyage ethnique» ou de «pureté raciale» ou «d’atteintes aux libertés». La laïcité œuvre à la continuation, toute naturelle et conséquente, de la sécularisation de la culture du peuple québécois. Elle n’est que l’affirmation de son héritage moderne.
Plus encore, les juges sont nécessairement et obligatoirement en retard sur l’évolution des valeurs et des moeurs. Ils le savent et ils tentent sans cesse de s’ajuster, jusqu’à ce que leur souplesse deviennent impossible tant la loi sur laquelle ils se basent et qu’ils doivent faire respecter est devenue obsolète.
De même avec nos Chartes qui inclut la «liberté de religion» surfaite, gonflée et devenue abusive et déraisonnable.
Voilà pourquoi nous ne devons pas nous baser sur les jugements de Cour pour disposer de la religion et de la laïcité. Mais bien partir des valeurs modernes (sécularisation, rationalisme). Avec ces valeurs modernes, fabriquer une nouvelle loi (celle de la laïcité) elle-même déjà demandée par les juges qui ne s’y retrouvaient plus dans leur jurisprudence embrouillée dans tant de lois disparates.
Les juges seront fort heureux pour enfin juger des reliquats religieux avec une loi moderne.
Que tous aient en tête ce principe : la valeur précède le droit qui, ensuite, la régule.