Religiosité et humanisme

l’idéal et la réalité

Pierre J. MAINIL

Celui qui adopte un paradigme humaniste, va se trouver dans une situation paradoxale. Il va constater que les principes éthiques auxquels il tient, sont souvent en contradiction avec ceux inscrits dans le paradigme politique du monde dans laquelle il vit. Quoiqu’il veuille, s’il prend des responsabilités dans la cité, il sera amené à composer, à admettre des situations contraires aux exigences qu’il s’est fixées à titre personnel.

Respecter l’autre, c’est lui accorder la liberté d’expression et d’action. Qu’est-ce à dire sinon être capable d’écouter l’autre exprimer ce que l’on ne voudrait pas entendre, c’est être capable d’accepter que l’autre fasse ce que l’on ne voudrait pas qu’il fasse.

Tout devrait pouvoir être dit, verbalement, par l’image, par l’écrit, par tout support propre à donner l’information. La liberté d’expression devrait être la plus large possible.

Mais cette définition est-elle sage ? Je risque de laisser s’exprimer des êtres éventuellement nuisibles ! Où se trouve alors la solidarité avec autrui ? Aussi importe-t-il de ne pas oublier ce qui doit accompagner cette liberté d’expression. Ce n’est pas laisser le champ libre à l’intolérant.

Que l’on ne s’y méprenne pas, la tolérance n’est jamais ni l’autocensure, ni le laxisme. Ce n’est pas masquer son sentiment et, surtout, ne pas se taire devant celui qui avec morgue étale sa suffisance.

On autorise certes l’autre à s’exprimer, mais alors vient la réciproque. Celle de pouvoir s’insurger lorsque les menaces existent. Ce qui serait dramatique, serait de rester dans l’inaction.

Le paradoxe

Le plus étonnant dans notre monde occidental est que la majorité des personnes qui disent faire partie de la mouvance catholique, vivent comme s’ils ignoraient tout du paradigme coutumier qui est à la base des enseignements de leur Eglise. Des fautes graves, ce qui était appelé dans le passé des péchés mortels et condamnaient le malheureux à être damné pour l’éternité, n’en sont plus.

Des chrétiens ont mis aussi dans leur paradigme personnel des postulats tels que « le respect d’autrui » et sa « réciproque », ainsi que le principe de la « solidarité vis-à-vis d’autrui ». Il en est parmi eux qui adoptent des comportements très humanistes. Mais la grande majorité des catholiques belges s’adonnent à la contraception. Il n’y a pas que les athées et agnostiques qui pratiquent l’avortement thérapeutique. Et pas mal d’entre eux ne voient pas l’euthanasie active d’un œil plus défavorable que des laïques.

Le paradoxal est que ces croyants font l’impasse du paradigme coutumier de la mouvance à laquelle ils déclarent appartenir. Ils oublient ces éléments qui devraient faire partie de leur paradigme personnel et qui ont été codifiés dans le Catéchisme publié en 1992 et surtout dans l’Encyclique VERITATIS SPLENDOR, à savoir que la divinité a

  • différencié l’homme des animaux en lui implantant une âme au moment où le patrimoine génétique du spermatozoïde masculin a fusionné avec celui de l’ovule féminin ; cette âme est immortelle ; elle restera chargée des fautes commises par l’homme avant la désintégration du corps, et, en fonction d’un compte de résultats où interviennent les actes positifs et certaines soumissions rituelles, pourra en être punie, et ce pour toute l’éternité ;
  • Dieu est la bonté même au-delà de tout ce que la créature humaine peut imaginer ; il est le Maître du Bien et du Mal ; Dieu qui seul est bon, connaît parfaitement ce qui est bon pour l’homme en vertu de son amour même, et le lui propose dans ses commandements ;
  • Dieu a laissé à des hommes privilégiés le soin de mettre en application ces principes par l’édiction des règles morales. L’homme ne peut s’arroger ce rôle. L’homme ne peut pas s’abandonner au relativisme et au scepticisme, à cette attitude par laquelle il ne ferait que rechercher une liberté illusoire en dehors de la vérité elle-même. L’homme jouit d’une liberté très considérable, mais cette liberté n’est pas illimitée et doit s’arrêter devant l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Dieu interdit de tolérer en matière morale une pluralité d’opinions et de comportements, laisser au jugement de la conscience subjective individuelle ou dépendant de la diversité des contextes sociaux et culturels ;
  • L’homme qui primitivement était prédisposé au Bien, s’en est détourné par son orgueil à vouloir égaler son Créateur : ce fut le péché originel qui s’est reporté sur toute la descendance du premier couple humain ; l’homme est de ce fait enclin à faire le mal ;
  • Mais Dieu est miséricordieux et n’a pas voulu laisser l’homme à sa pauvre destinée : il a voulu racheter la faute d’Adam et Ève. Pour ce faire, il a placé une partie de lui-même, son fils, dans le sein d’ une Vierge exemptée tout spécialement de la faute originelle, l’Immaculée Conception ;
  • La destinée de ce fils de l’Homme était de servir de victime expiatoire, de ramasser sur ses épaules toute la faute originelle et de l’expier en mourant crucifié ; Dieu apaisait ainsi son courroux contre le genre humain et donnait à celui-ci l’occasion de retrouver l’harmonie originelle qui prédisposait au Bien son lointain ancêtre.

Alors vient à l’esprit la question suivante : peut-on se déclarer humaniste et en même temps accepter cette abomination selon laquelle un être infiniment bon, infiniment parfait, la perfection infinie, se conduirait comme un tyranneau qui reporte la faute présumée de l’aïeul sur toute sa descendance.

Que dire de celui qui tolère que son « dieu » ne soit qu’un être injuste, vindicatif et répugnant qui ne se calme qu’après avoir fait immoler une victime ?

Est-ce crédible ?

Il y a 2300 ans, ÉPICURE disait de ce dilemme à savoir « la présence permanente du mal et l’existence d’un Dieu omniscient, omni puissant et incarnant la bonté » :

Le mal existe, donc de deux choses l’une, ou Dieu le sait, ou il l’ignore. Si Dieu sait que le mal existe, il peut dès lors le supprimer, mais il ne le veut pas… un tel Dieu serait cruel et pervers : est-ce admissible ? Dieu sait que le mal existe, il veut le supprimer mais il ne peut le faire … un tel dieu serait impuissant, est-ce admissible ? Dieu ne sait pas que le mal existe… un tel Dieu serait aveugle et ignorant : est-ce admissible ?

Et que l’on ne vienne pas suggérer que l’on peut rester catholique et nier l’existence du fondement même de sa croyance ? Sans ce péché originel, le sacrifice du Christ n’a plus de raison d’être !

Je n’ai jamais refusé d’écouter ceux qui ont des conceptions différentes des miennes. « Laisse parler les hommes » fait partie du principe éthique du « Respect de l’autre ».

Mais que ce soit une écoute sincère dans une hospitalité qui n’a nul besoin pour être offerte d’en « avoir ressenti soi-même le besoin ». . Et que celui qui ne la partage pas accepte d’en faire de même.

Le danger actuel

L’archevêque André LÉONARD, Primat de Belgique, n’a-t-il pas publié un livre dans lequel il a déploré les « nombreux abus commis actuellement en matière de démocratie parlementaire » et a regretté notamment que « le PARLEMENT s’arroge le droit de décider par vote majoritaire du sens de la sexualité, de la différence du masculin et du féminin, de la signification du mot MARIAGE, du rapport métaphysique de l’être humain à la finitude et à la mort, de la qualité des embryons méritant au moins d’être respectés, … ».

En d’autres termes, la démocratie parlementaire aurait été bafouée par les lois qui autorisent le divorce, la publicité des méthodes contraceptives, l’avortement thérapeutique, l’euthanasie, etc. Ce que cet Archevêque fait mine de ne pas comprendre, c’est que ces lois ne doivent pas être obligatoirement suivies.

Et tout catholique qui veut appliquer à la lettre ce qui est prescrit par le Magistère de sa philosophie religieuse, a le droit de ne pas faire application des latitudes que ces lois votées démocratiquement accordent. Il conserve son entière liberté.

Mais en vertu de quoi pourrait-il s’opposer à ce que en fassent usage d’autres qui ne partagent pas les mêmes conceptions philosophiques,?

Si une majorité d’élus du peuple étaient d’une même conviction, qu’elle soit profane ou religieuse, et partageaient l’opinion selon laquelle ils doivent s’opposer à toute loi contraire à leur dogmatique, existerait-il encore une quelconque liberté de pensée pour ceux qui ne la partagent pas ?

Le mythe du Cheval de Troie

Au risque de paraître obsédé par le mythe du cheval de Troie qui me reste dans la gorge, au risque d’être accusé de diaboliser les intentions de celui qui est peut-être sincère, je prétends que « si une hirondelle annonce le printemps », elle ne garantit jamais qu’il sera radieux.

Aussi suis-je toujours sur mes gardes.

A titre personnel, j’aime dialoguer, non pas pour convaincre autrui, mais pour éliminer le plus de rugosités de ma dogmatique. Et la réduire. Mais qu’est-ce que l’État séculier aurait à faire du « devenir des religions » ? Tandis que moi, j’ai à lutter contre les tabous et interdits qu’elles propagent et dont est meublé le paradigme politique de notre pays.

Le paradigme coutumier religieux reste encore trop présent dans notre société. Que de lois et de règlements sont pris sur base de postulats qui en font partie ! Que de guérillas de retardement ! Que de temps a été perdu pour que la publicité de la contraception pourtant pratiquée par la majorité de la population soit acceptée légalement ! Et il a été de même pour la loi de dépénalisation partielle de l’avortement ! Et le même scénario est en train de passer pour l’euthanasie active.

Dans la mouvance catholique, il y a toujours eu des minorités qui ont contesté. Les unes très radicales jettent leur froc aux orties. Les autres croient pouvoir travailler de l’intérieur. Comme on le ferait dans un parti politique ! Alors m’a-t-on dit, pourquoi ne pas laisser au temps le soin de faire de faire le travail de purification ? A quoi bon toute cette discussion, m’ont dit ces amis ? Mais pensent-ils à tous ceux qui n’auront pas le temps avec eux pour connaître ce bouleversement !

Et que ceux qui privilégient la voie du « consensus mou » avec les religions, comprennent qu’il est important que les interlocuteurs fixent les composantes de leurs paradigmes respectifs pour qu’un débat fructueux ait lieu.

Après que soit analysée leur cohérence ! Et critiquées leurs incohérences !


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