Nadia El-Mabrouk et François Dugré
Membres du CA du Rassemblement pour la laïcité
2023-11-11
Ce texte est paru dans Le Devoir du 2023-11-11
Irresponsable ? Catastrophiste ? Incendiaire ? On hésite à trouver le bon adjectif pour décrire ce rapport sur l’islamophobie que le Comité sénatorial [Cs] permanent des droits de la personne vient de déposer.
Les attentats à la mosquée de Québec et de London ont profondément bouleversé les Canadiens. Tous les crimes haineux mentionnés dans le rapport sont inacceptables et les gouvernements ont la responsabilité de les combattre et doivent tout mettre en œuvre pour favoriser la coexistence pacifique et la sécurité de leurs citoyens. Mais amplifier indûment la menace en dépeignant un climat de terreur pour les musulmans canadiens ne peut que nuire davantage. Les chiffres de Statistique Canada infirment d’ailleurs cette thèse alarmiste. Pourquoi taire, par exemple, que les populations noire et juive sont, et de loin, davantage victimes de crimes haineux ?
Ce rapport, s’il suggère bien quelques rares mesures raisonnables, préfère brosser un tableau hideux et sans nuances de la situation des musulmans canadiens. Ils se sentiraient attaqués, des femmes et des filles auraient « peur de quitter leur domicile pour aller au travail et à l’école », certains subiraient même de l’islamophobie tous les jours.
Définition, laïcité et idéologie
C’est que la définition proposée de l’islamophobie est très large afin d’englober le plus de cas possibles. Par exemple, le fait de ne pas accorder aux musulmans, dans le milieu de travail, des locaux et du temps pour les prières, est considéré comme relevant de l’islamophobie, au sens de racisme antimusulman (p.66). L’approche intersectionnelle, comme les notions d’islamophobie systémique et de micro-agressions inconscientes, permettent également d’amplifier le phénomène.
Le rapport reconduit également une compréhension hautement caricaturale de la Loi sur la laïcité de l’État. Les témoins interrogés, qui confondent le respect des personnes avec le respect absolu des préceptes de l’islam, « s’entendent tous pour dire que la Loi 21 est discriminatoire, qu’elle a exacerbé l’islamophobie et qu’elle devrait être abrogée. » (p. 66). Elle est même accusée de « déshumaniser les personnes ». On le voit, le Cs n’a pas entendu comme témoin un seul des nombreux musulmans qui soutiennent la Loi 21.
Le rapport évite également de penser la réalité de l’islamisme violent et la peur légitime qu’il soulève, y compris chez les musulmans. Seul Rachad Antonius, parmi les 138 témoins entendus lors des 21 séances publiques, ose en traiter expressément, mais le rapport le passera sous silence. Il n’y aurait, à entendre les autres témoins, que des préjugés et des stéréotypes à combattre à grands coups de campagnes médiatiques et de formations obligatoires contre les biais inconscients pour tous les fonctionnaires et les élèves.
Le rapport ne retient que ce qui donne du crédit à une conclusion tirée d’avance. Tout écart statistique, comme la sous-représentation des musulmans chez les fonctionnaires ou leur surreprésentation dans les prisons, est compris comme une « preuve » d’islamophobie systémique, sans jamais rechercher une autre explication plus plausible. Le rapport confond également idéologie et science en prétendant, sans justification, que « la plus grande menace pour la sécurité nationale provient des groupes militant pour la suprématie blanche » (p.50). On taira donc un document sur la stratégie antiterroriste du Canada qui précisait pourtant que « l’extrémisme islamique violent est la principale menace pour la sécurité nationale du Canada ».
Une offensive contre les institutions de l’État dédiées à la sécurité
Ce sont assurément les instances responsables de la sécurité nationale qui hantent ce rapport. Cinq des 13 recommandations y sont d’ailleurs consacrées, mais dans le sens opposé à celui qu’on attend de la part d’un Cs crédible. C’est que ce dernier semble surtout à la remorque des recommandations du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) contre lesquelles nous mettions déjà ici en garde. Le CNMC réclame en effet rien de moins que d’interrompre la stratégie nationale de lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation, et de suspendre la Division de la revue et de l’analyse (DRA) de l’Agence de revenu du Canada (ARC) chargée de repérer les menaces de financement du terrorisme au Canada par l’entremise d’organisations caritatives. Il propose plutôt de scruter les organismes de sécurité nationale, dont le SCRS, et les services frontaliers du Canada, qu’ils soupçonnent de pratiques racistes, xénophobes, islamophobes, et même de subir la « pénétration de la suprématie blanche ».
Le Cs approuve tout cela et affirme que « les lois, les politiques et les pratiques relatives à la sécurité nationale sont profondément ancrées dans l’islamophobie et continuent de perpétuer des préjugés à l’encontre des musulmans » (p. 51). La preuve ? 75% des révocations d’associations caritatives qui posent le plus grand risque de financement du terrorisme au Canada sont musulmanes, alors qu’elles représentent moins de 1% de celles-ci (p. 57). Malgré le témoignage de Sharmila Khare (DG de la Direction des organismes de bienfaisance de l’ARC) expliquant que « les vérifications de la DRA ne sont entreprises que lorsqu’il y a un risque d’abus terroriste », le rapport conclut néanmoins que la DRA, « fait preuve d’un parti pris structurel à l’encontre des organismes de bienfaisance musulmans » (p. 58). Le simple fait que le modèle d’évaluation du ministère des Finances soit axé sur le risque serait même, selon le professeur de droit et d’histoire Anver Emon (Université de Toronto), « une déclaration explicite d’islamophobie ». Mieux, qu’un Canadien voyageant à Gaza et combattant pour le Hamas devienne suspect pour le gouvernement serait, ajoute-t-il, un « exemple d’islamophobie systémique » ! Faut-il vraiment relever que le Cs perd ainsi toute crédibilité en « oubliant » que le Hamas est sur la liste des entités terroristes du Canada ? Qu’en amalgamant islam et islamisme violent sous le parapluie de l’islamophobie, il mine le sentiment de sécurité de ses citoyens ?
Comment expliquer pareille intoxication irresponsable ? Une partie de l’explication réside peut-être dans le fait que la présidente de ce Comité sénatorial, Salma Ataullahjan, est toujours Conseillère au CNMC. Rappelons pour finir que cette organisation fait partie des plaignants devant les tribunaux pour faire invalider la Loi 21.
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