La racialisation de l’appartenance religieuse est à la fois profondément malhonnête et un recul considérable vers l’obscurantisme religieux et le tribalisme.
David Rand
2020-07-28
Ce texte est la traduction française d’un article récemment paru en anglais, « The Battle Raging Between Racialism and Secularism », dans la revue en ligne Topical Magazine.
Un reportage d’actualité plutôt mineur d’il y a quelques mois nous donne un aperçu convaincant d’une tendance politique actuelle, avec des implications considérables pour le militantisme de gauche en particulier. Un article paru le 3 février 2020 sur le site web Scottish Legal News nous informe que les sikhs intenteront possiblement une action en justice contre le gouvernement écossais si, lors du recensement, ils sont classés sous la catégorie religion plutôt que celle de minorité ethnique. Le gouvernement a refusé d’accéder à cette exigence, décidant de laisser le sikhisme sous la section religion du recensement, avec néanmoins la possibilité de s’identifier manuellement comme sikh sous la section ethnique.
Les sikhs en Écosse voudraient donc être reconnus comme groupe ethnique, pas uniquement comme une appartenance religieuse. Qu’importe? Cela importe beaucoup, car les implications sont considérables.
L’appartenance religieuse n’est pas une « race »
Selon les dictionnaires en ligne Wiktionnaire et le Robert, le terme « ethnie » signifie un ensemble de personnes qui partagent certaines caractéristiques communes comme la langue et la culture. Pour le Robert, « communauté » et « race » en sont des synonymes. À mon avis, une ethnie ou un groupe ethnique est une extension du concept de groupe racial. Sans passer sous silence la nature parfois problématique du terme « race », l’essentiel est de se rappeler qu’il fait référence à un concept de la biologie, car il identifie un groupe dont les membres partagent un certain patrimoine génétique. Un groupe ethnique est un tel groupe, mais augmenté au fil du temps par l’ajout de nombreux individus, d’origines variées, qui se sont assimilés en adoptant la langue, les coutumes ou d’autres caractéristiques culturelles du groupe d’accueil.
Pour résumer donc, l’ethnie, comme la race, fait référence principalement aux caractéristiques innées et immuables de l’individu. La religion, par contre, est une idéologie, un ensemble d’idées, de croyances et de pratiques. Une ethnie est une identité personnelle, tandis qu’une religion est une opinion, un choix. Cette distinction est cruciale. Changer de « race » est impossible. Changer de religion, au contraire, peut être facile ou difficile, selon le degré d’endoctrinement de l’individu, mais ce n’est certainement pas impossible. Il peut être aussi aisé qu’un simple changement d’avis.
Si nous élevons l’appartenance religieuse au statut d’ethnicité, elle sera alors vue comme pratiquement immuable, fixée pour la vie de la personne, faisant de celle-ci une prisonnière de la religion dans laquelle elle est née et a grandi. Faire l’amalgame entre la race ou l’ethnie d’un côté et la religion de l’autre constitue la négation de la liberté de conscience. Cela ouvre également la voie à une censure sociale — ou même légale — de la critique de la religion, car si une religion est une « race », alors la critique de cette religion n’est-elle pas une forme de « racisme » ?
Racialiser la religion
Nous sommes actuellement témoins du processus de racialisation de la religion, ou du moins de son ethnicisation, une métamorphose extrêmement dangereuse. Si nous examinons deux autres religions, l’islam et le judaïsme, nous constatons un phénomène semblable.
Considérez donc le terme « islamophobie » qui, bien que contesté fréquemment, a fini malheureusement par être largement accepté et utilisé, principalement comme synonyme de préjugé contre les musulmans. Il est bien reconnu qu’il y a au moins deux problèmes sérieux avec ce terme:
- Il fait référence à la religion islam, non pas aux adhérents de celle-ci, c’est-à-dire aux musulmans. Ainsi, son usage dans le sens d’un préjugé constitue forcément un amalgame entre une idéologie et un groupe de personnes.
- Le suffixe « phobie » implique une peur irrationnelle. Mais craindre une religion, et en particulier craindre une variante intégriste de cette religion, n’est pas nécessairement irrationnel. Au contraire, cela peut très bien être prudent, voire sage.
C’est le premier de ces deux points qui nous intéresse ici. Si l’« islamophobie » est un préjugé contre un groupe de personnes, alors il devient difficile de critiquer l’islam sans risquer de se faire la cible d’accusations gratuites de préjugés contre ce groupe. Encore pire, si on considère que ce groupe est une ethnie ou une « race », alors ces accusations sont des condamnations pour racisme. Ceci est, en fait, précisément le but recherché par les islamistes. (Par « islamiste », j’entends toute personne qui fait la promotion de l’islam politique, c’est-à-dire qui cherche à acquérir pour cette religion du pouvoir ou de l’influence politiques, ou des privilèges.) En racialisant l’islam, ils visent l’impunité pour cette religion, plaçant celle-ci au-dessus de toute critique. Les coûts de cette racialisation sont énormes, d’abord et avant tout pour les musulmans eux-mêmes, car ceux-ci sont ainsi pris en otage par une idéologie que la plupart d’entre eux n’ont pas choisie. Ils ont tout simplement eu la mauvaise chance d’être nés dans cette religion.
Ce que tentent de faire les islamistes avec l’islam — malheureusement avec assez de succès jusqu’ici — s’est déjà fait dans le cas du judaïsme. Considérons le substantif « Juif ». Il a deux significations principales :
- Un adhérent de la religion le judaïsme.
- Un membre ou un descendant du peuple juif.
La première est une appartenance religieuse, la seconde une ethnie. Le seul mot « Juif » signifie les deux à la fois. Ici, l’amalgame entre religion et ethnicité est total, et c’est ainsi depuis des siècles sinon des millénaires, et ce, pour des raisons historiques bien connues : la persécution et la ghettoïsation millénaires du peuple juif. Cette confusion peut rendre difficile la critique du judaïsme, avec le risque de s’attirer des accusations d’antisémitisme — bien que, pour être bien franc, dans le contexte politique actuel, critiquer le judaïsme est rarement aussi controversé ou périlleux que la critique de l’islam.
Quoiqu’il en soit, le but des islamistes, qui font la promotion du très douteux terme « islamophobie », est de faire pour l’islam ce qui est déjà accompli pour le judaïsme : racialiser la religion.
Pour lutter contre cette tendance rétrograde, nous devons rejeter le terme « islamophobie » et, qui plus est, distinguer les deux sens du terme « Juif ». Chaque fois que nous parlons de la judaïté, nous devons préciser laquelle des deux significations nous entendons. Une façon de ce faire, c’est d’utiliser explicitement le mot « judaïsme » chaque fois que nous nous référons à l’aspect religieux.
La liberté de conscience
Ainsi, nous reconnaissons la sagesse du gouvernement écossais en refusant d’ethniciser le sikhisme. Si nous permettions cet amalgame entre race ou ethnie et religion, nous jetterions ainsi la liberté de conscience aux poubelles et retournerions à l’ère antique des religions tribales, à l’époque où la norme était : « Vous êtes nés X, vous restez X pour la vie ». (Le gouvernement écossais s’est montré pourtant moins sage en projetant une nouvelle loi contre les « crimes haineux », une législation qui risque de menacer la liberté d’expression et de constituer un nouveau délit de blasphème, mais ce sujet sort du cadre du présent texte.)
Plusieurs apologistes religieux et leurs alliés semblent être très épris de cet amalgame malhonnête entre « race » ou ethnie et religion, car cet amalgame constitue l’outil idéal pour parer aux critiques de leur religion. Pourtant, ces apologistes devraient réfléchir sérieusement aux conséquences. Si nous acceptions réellement l’idée qu’un tant soit peu d’antipathie pour une religion constituerait une forme de « racisme », alors les trois religions abrahamiques monothéistes — le judaïsme, le christianisme et l’islam — deviendraient de ce fait explicitement et incontournablement racistes. Le judaïsme affirme que les Hébreux sont le peuple élu de Yahweh, et les autres peuvent aller se rhabiller. Le christianisme condamne toute personne non chrétienne, c’est-à-dire qui n’accepte pas son « Christ », à l’enfer, où elle subira une éternité de torture. Quant à l’islam, son livre « saint », le coran, exprime à plusieurs reprises une hostilité virulente à l’égard des non-musulmans et, dans certains cas, enjoint aux musulmans de les tuer. Les adeptes de ces trois religions feraient bien de réfléchir à tout cela avant de gober cette fraude religion-égale-race.
D’autres religions peuvent être coupables d’une intolérance extrême semblable. Toutefois, le sikhisme est apparemment plus tolérant à l’égard d’autres religions.
C’est quoi une « race » au fait ?
Si la « race » est un concept strictement biologique, quelle est alors sa signification précise ? Ce terme a bien sûr été galvaudé souvent par des racistes — d’où l’habitude de le placer fréquemment entre guillemets. Il ne s’agit pas d’un synonyme d’espèce, mais plutôt de sous-espèce (ou même de sous-sous-espèce), où le préfixe « sous » est employé ici au sens d’un sous-ensemble ou d’une sous-catégorie, et non pas pour indiquer l’infériorité. Les variations génétiques entre les humains sont tellement infimes que, si nous définissons la « race » comme synonyme de sous-espèce, il n’y a qu’une seule « race » humaine et nous en sommes tous et toutes des membres. Les racistes sont ceux qui exagèrent l’importance de ces variations génétiques, établissent des groupements qu’ils étiquettent mal comme des « races » et tentent ensuite d’établir une hiérarchie de ces groupements. Les groupements ainsi établis ont peu de rapport avec la réalité, car les lignes de démarcation entre eux sont extrêmement floues ou inexistantes.
On dit souvent qu’il n’y a pas de race chez les humains. Nous entendons aussi dire que nous sommes tous et toutes de la même race. Mais ces deux assertions se contredisent. Vous ne pouvez pas avoir les deux. Selon la première assertion, le nombre de races est égal à zéro. Selon la deuxième, ce nombre est un. C’est cette dernière qui est vraie si nous définissons la race comme sous-espèce. Il n’y a qu’une seule sous-espèce humaine et elle est identique à l’espèce humaine. Cela veut dire que des expressions comme « la race noire » ou « la race blanche » n’ont aucune réalité, à moins de définir la « race » comme sous-sous-espèce — indiquant à quel point ces catégories sont sans importance, peut-être utiles à des fins médicales ou de traçage, mais guère plus.
Pour être bien précis, il n’y a qu’une seule sous-espèce humaine actuellement. Dans le passé il y a eu l’existence simultanée d’au moins deux sous-espèces. Prenons l’exemple de l’homme de Néandertal, c’est-à-dire Homo sapiens neanderthalensis qui a co-existé avec Homo sapiens, bien que le consensus scientifique actuel soit de le classer comme espèce à part, c’est-à-dire Homo neanderthalensis, et non comme sous-espèce. Et qui sait ce que nous réserve l’avenir lointain ? Si une population d’humains s’éloignait physiquement du reste de l’humanité pour une période de temps suffisamment longue — par exemple, si des humains colonisaient la planète Mars et si les voyages entre la Terre et Mars restaient peu fréquents —, cette population isolée pourrait alors constituer une sous-espèce distincte après plusieurs centaines de milliers d’années, ou plus, d’adaptation à leur environnement distinct.
Il est important de préserver le sens biologique du mot « race » afin d’éviter que des adeptes de certaines idéologies s’emparent du concept pour l’instrumentaliser dans le but d’avancer leur propre programme douteux.
La dégénérescence de l’antiracisme du XXIe siècle
La racialisation de l’appartenance religieuse n’est qu’une parmi les nombreuses façons dont le mouvement antiraciste actuel s’est écarté de son objectif principal, la lutte contre le racisme :
- Ce mouvement a abandonné l’universalisme et est maintenant obsédé par l’identité raciale de chaque personne (ou par ses autres identités). Ce problème est si grave que le mouvement lui-même est devenu raciste, bien que le terme « racialiste » soit probablement plus approprié.
- Le mouvement regorge de chauvinisme américain, c’est-à-dire qu’il exporte les priorités américaines, ignorant le fait évident que d’autres pays ont généralement des histoires de racisme très différentes de celle des États-Unis, où le rôle économique majeur de l’esclavage durant le premier siècle de la république et l’héritage de cette odieuse institution ont fait du racisme anti-noir une question d’une importance capitale. Au Canada, par exemple, le racisme anti-noir existe bien sûr, mais le racisme contre les peuples des Premières Nations est un problème plus significatif.
- Le mouvement voit du racisme partout, même là où il n’existe pas, ou bien il est beaucoup moins important que le mouvement le prétend. Et pourtant, ce même mouvement néglige de dénoncer certains exemples flagrants de racisme ou de préjugé ethnique. Par exemple, nous entendons rarement des critiques du racisme anti-noir qui se manifeste parmi les Arabo-musulmans en Afrique du Nord.
- Le mouvement est fortement influencé par la théorie douteuse de l’intersectionnalité, connue pour son modèle hiérarchique fixe des relations raciales et son refus de reconnaître les relations oppressives qui peuvent se produire au sein d’un groupe donné, par opposition à des groupes distincts.
- Le mouvement a adopté une approche thérapeutique au racisme, comme s’il s’agissait d’un problème purement individuel et non sociétal. Souvent on voit le racisme comme une sorte de « péché originel » chez les « Blancs ». Cette approche ressemble, à mon avis, à une parareligion au mieux, ou à une arnaque lucrative au pire.
Le sens du mot « racialisme » se rapproche de celui du mot racisme, mais il s’agit d’une variante, non pas d’un synonyme exact. Le racialisme se reconnaît par une obsession poussée et malsaine pour l’identité raciale, ce qui est certainement une caractéristique de beaucoup d’antiracistes actuels, exagérément attachés aux concepts raciaux pseudo-scientifiques du XIXe siècle tels que « les Noirs » et « les Blancs ». À son pire, le racialisme devient carrément raciste. La phrase « Le racisme anti-blanc n’existe pas », par exemple, est elle-même un exemple de racisme anti-blanc. Cependant, cela étant dit, cette obsession de la « blanchité », du « privilège blanc », de la « fragilité blanche », etc., n’est qu’un symptôme du problème sous-jacent : l’abandon de l’universalisme et des valeurs des Lumières.
La racialisation de l’appartenance religieuse et les accusations gratuites de « racisme » qu’elle engendre sont des signes distinctifs du racialisme et probablement les plus importantes et les plus toxiques des armes de propagande utilisées par les opposants les plus acharnés de la laïcité. Ces opposants sont actuellement sur le pied de guerre dans plusieurs pays. Prenons quelques exemples. Mais d’abord…
Qu’est-ce que la laïcité ?
Avant de parler des opposants de la laïcité, il nous faut bien définir celle-ci. Plusieurs définitions ont été proposées, mais en voici une qui représente tout de même un consensus assez large :
La laïcité est un programme politique inspiré de l’universalisme des Lumières et qui se fonde sur les quatre principes suivants :
- L’égalité des personnes, y compris l’égalité femme-homme ;
- La protection de la liberté de conscience, ce qui inclut à la fois la liberté de religion et la liberté de s’affranchir de la religion ;
- Le neutralité religieuse de l’État ;
- La séparation entre la religion et l’État.
Ce programme de la laïcité est motivé par les constatations (1) que les religions deviennent généralement dangereuses dès qu’elles acquièrent un degré quelconque d’influence au sein du gouvernement et de l’État (au fait, la plus grande menace pour la liberté de religion, c’est les religions elles-mêmes) ; et (2) qu’une influence dans l’autre sens aurait tendance à corrompre la religion. D’où le besoin de séparer la religion de l’État. En effet, sans cette séparation, les trois autres principes de la laïcité sont tous affaiblis.
Le racialisme en France
Houria Bouteldja se dit militante contre l’« islamophobie » et contre le néocolonialisme. Elle est porte-parole du parti politique Les Indigènes de la République qui se définit comme antiraciste et décolonial, et auteure de Les Blancs, les Juifs et nous (2016). Ce livre a paru en traduction anglaise en 2017 sous le titre Whites, Jews, and Us. En France, la réputation de Bouteldja est faite : on reconnaît son antisémitisme, sa misogynie et son homophobie. De plus, elle rejette la laïcité et affiche un racialisme assez prononcé dans lequel convergent l’antisémitisme et une antipathie pour les « Blancs ».
Pourtant, aux États-Unis, son livre a été beaucoup mieux reçu, même adulé, notamment par un certain Ben Ratskoff de la Los Angeles Review of Books qui, comme beaucoup d’Américains, est particulièrement enamouré de la haine que porte Bouteldja à la laïcité :
“Bouteldja termine son ouvrage par une critique émouvante de la laïcité, de sa collusion avec le racisme d’État et de l’homme blanc désenchanté par lequel elle remplace Dieu. … Les lecteurs séculiers peuvent être très mal à l’aise devant la discussion franche de Bouteldja sur Dieu et le potentiel radical de soumission devant l’Unique. Une telle réponse ne ferait que révéler leur propre soumission à l’hégémonie du laïque, avec sa racialisation dédaigneuse du religieux.” (Trad. : D.R.)
La dernière phrase de Ratskoff est particulièrement mensongère : ce n’est pas la laïcité qui racialise le religieux ; au contraire, ce sont les prétendus antiracistes comme Bouteldja qui le font.
Henri Peña-Ruiz est philosophe français, spécialiste de la laïcité et auteur de plusieurs livres dont Histoire de la laïcité (2005) et Dictionnaire amoureux de la laïcité (2014). En août 2019, La France insoumise (LFI, parti politique du candidat présidentiel Jean-Luc Mélenchon) lui à proposé de faire un atelier au sujet de son domaine d’expertise.
À un moment donné de son atelier, Peña-Ruiz a fait l’observation que l’on a parfaitement le droit d’être cathophobe, islamophobe ou athéophobe, mais l’on n’a pas le droit de « discriminer les gens pour ce qu’ils sont ». Il s’agit là d’une déclaration éminemment raisonnable qui exprime l’une des leçons clés de la laïcité : que la critique des systèmes de croyance ou d’incroyance ne doit pas être confondue avec l’attaque contre des gens. En d’autres termes, les gens méritent le respect, mais pas les idées ni les idéologies.
Pour avoir fait cette assertion plutôt banale, en particulier son usage du mot « islamophobie », certains éléments de LFI ont accusé Peña-Ruiz de « racisme », une accusation manifestement fausse, étant donné que le vénérable philosophe avait pris soin de faire précisément la distinction nécessaire entre les idées et les personnes. Tels sont les résultats de la racialisation de l’appartenance religieuse.
Le racialisme au Canada
La province canadienne de Québec a récemment (juin 2019) adopté une législation (Loi 21) qui implante partiellement la laïcité d’État. La loi comprend une interdiction du port des signes religieux par les employés d’État en positions d’autorité — police, juges, procureurs, gardiens de prison et, dans les écoles publiques, les enseignants et directeurs — au travail. Cette interdiction s’applique à toutes les religions et à toute personne, sauf celles qui occupaient déjà un tel poste avant la publication du projet de loi en mars 2019.
La loi 21 est une législation éminemment sensée et modérée. C’est une question d’éthique professionnelle. Un agent de l’État, au travail, ne doit pas afficher de symboles partisans politiques ou religieux. Permettre le port de tels signes par les employés d’État constituerait un privilège indu et inacceptable accordé à l’idéologie dont le signe fait la promotion. Plusieurs pays — la France et certaines régions de la Suisse, de la Belgique et de l’Allemagne — interdisent aussi les affichages ostentatoires de signes religieux portés par certains ou tous les fonctionnaires d’État. La Loi 21 interdit aussi les couvre-visage portés par les fonctionnaires qui fournissent et par les usagers qui reçoivent les services gouvernementaux, ce qui est aussi le cas pour plusieurs pays d’Europe et d’Afrique, y compris plusieurs pays à majorité musulmane.
Pourtant, la réaction de la part de plusieurs éléments, y compris beaucoup qui se prétendent de gauche et devraient alors appuyer de telles mesures, a été franchement et extrêmement réactionnaire.
Au moins 18 municipalités, la plupart hors Québec, ainsi que deux provinces, le Manitoba et l’Ontario, ont adopté des résolutions formelles qui condamnent la Loi 21. Ces résolutions partagent certains thèmes communs : généralement la prétention que la Loi 21 serait discriminatoire (FAUX), qu’elle menacerait la liberté de religion (FAUX) ou qu’elle exclurait certaines minorités religieuses de l’emploi (FAUX). Beaucoup de ces déclarations font l’amalgame entre race et religion, ce qui est très courant chez les antilaïques. Au moins deux accusent explicitement la Loi 21 de « racisme ». Le maire de la banlieue montréalaise de Hampstead mérite le prix de la déclaration la plus extravagante : selon lui, cette loi constituerait du « nettoyage ethnique », ajoutant ainsi sa voix à l’ethnicisation de l’appartenance religieuse.
Mais il y a pire encore. Sur le site web de Ricochet.media, un individu pourvu d’une imagination particulièrement féconde associe la Loi 21 au racisme anti-noir et anti-autochtone et prétend même qu’elle pourrait mener au génocide :
“Les musulmans, les juifs et les sikhs ne sont pas actuellement tués par la police dans les rues du Québec, mais l’histoire nous apprend que la Loi 21 — en faisant d’eux des citoyens de seconde zone — pourrait mener à cela dans un avenir pas trop lointain. En effet, les enjeux sont insupportablement élevés : si nous réussissons dans notre lutte contre la Loi 21, nous sauverons des vies qui pourraient autrement être perdues à cause du racisme dans des décennies, en 2050 ou 2070. Si nous vacillons ou cédons maintenant, nous serons responsables de ces décès futurs.” (Trad. : D.R.)
À la lumière des exemples énumérés ci-dessus, dire que la Loi 21 rencontre une réaction hostile serait un euphémisme. Cette réaction est hystérique, fanatique et manifestement démentielle.
Bien que tous les organismes laïques importants au Québec appuient la Loi 21, en dehors de la province, c’est une tout autre histoire. Pas un seul organisme, à notre connaissance, n’a exprimé son appui pour cette législation. Encore pire, au moins deux se sont prononcés explicitement contre, un geste qui est non seulement lâche, se conformant à la pensée unique et capitulant ainsi à l’hystérie ambiante, mais grossièrement hypocrite, étant donné leur prétention de promouvoir le « secularism ». Aux États-Unis, deux blogueurs du réseau « Friendly Atheist » ont affiché un manque flagrant d’amicalité en s’opposant aussi hypocritement à la Loi 21, sous prétexte que celle-ci serait « discriminatoire »,
Instrumentaliser le meurtre pour promouvoir le racialisme
Depuis le meurtre de George Floyd à Minneapolis, le vacarme des accusations spécieuses contre la Loi 21 a atteint le paroxysme. La législation a été condamnée par des militants se disant « antiracistes » (c’est-à-dire des racialistes) sous prétexte qu’elle serait « raciste » et qu’elle constituerait du « racisme systémique ». Parmi ces militants on constate, pour des raisons mystérieuses, beaucoup de hijabis. Pourtant, on ne nous explique jamais quel serait le rapport entre, d’une part, une loi qui impose la neutralité religieuse dans la fonction publique québécoise et, d’autre part, le meurtre d’un Afro-américain par un policier dans un pays étranger.
Il est à noter que la section canadienne de Black Lives Matter condamne la soi-disant « islamophobie ». Parmi les revendications de cette association, nous lisons « END ISLAMOPHOBIA & WHITE SUPREMACY » (Mettons fin à l’islamophobie et au suprémacisme blanc). Comment on fait pour passer de la lutte contre le racisme anti-noir à la défense d’une religion n’est pas expliqué.
Les accusations d’« islamophobie » fonctionnent effectivement comme une censure sociale. La très douteuse motion M-103, adoptée par le parlement canadien en mars 2017, condamne « l’islamophobie et toutes les formes de racisme et de discrimination religieuse systémiques », dessinant ainsi un lien explicite entre la religion et la race. Il serait à craindre que cette motion constitue une première étape vers la recriminalisation du blasphème, mais en privilégiant une religion en particulier. Ironiquement, l’ancienne loi anti-blasphème canadienne n’a été abrogée que quatre mois auparavant.
La motion M-103 a vu le jour dans la foulée de cet horrible massacre à Québec en janvier 2017, lorsqu’un jeune homme lourdement armé a fait irruption dans une mosquée, faisant ainsi six morts et plusieurs gravement blessés. Cette attaque, un exemple extrême de violence anti-musulmane, a bouleversé le Québec tout entier. Mais elle a été rendue encore pire pas les actions sans scrupules des soi-disant « antiracistes », ceux qui font l’amalgame race-religion, qui ont véhiculé l’hypothèse gratuite que le meurtrier serait un adepte du suprémacisme blanc. Cette désinformation a été répétée par plusieurs médias comme s’il s’agissait d’un fait, établissant ainsi un faux lien entre un acte de violence dirigé contre une communauté religieuse et une forme très radicale de racisme.
Le résultat de cette manœuvre par les racialistes et leurs alliés islamistes a été l’adoption de la motion M-103. Cette motion et son amalgame race-religion ont ensuite donné lieu à un comité parlementaire dont les recommandations permettraient de prendre des fonds publics prévus pour la lutte contre le racisme pour les rediriger, donc mal diriger, vers la défense des minorités religieuses, voire des religions.
Nous constatons donc que des antilaïques se disant « antiracistes » instrumentalisent des meurtres – à Minneapolis et à Québec – afin de promouvoir leur amalgame malhonnête race-religion dans le but de lutter contre la laïcité.
Le suprémacisme blanc est une question cruciale aux États-Unis. Cette idéologie a été incontournable pour rationaliser et légitimer l’esclavage dans ce pays et elle persiste encore aujourd’hui. Au Canada, par contre, elle a peu d’importance. Cependant, l’anglo-suprémacisme est un thème majeur de l’histoire et de la politique du Canada, les Britanniques affirmant leur supériorité sur les peuples autochtones et sur les francophones. Cet anglo-suprémacisme a été ravivé en tant que composante importante de la manie antilaïque actuelle. La laïcité, en particulier sa composante essentielle de séparation religion-État, est mal comprise dans le monde anglophone, mais elle est bien mieux soutenue et mieux mise en œuvre dans le monde francophone. La Loi 21 est une manifestation de cette compréhension plus complète de la laïcité chez les francophones, alors que l’opposition hystérique à celle-ci repose au moins en partie sur le préjugé anti-québécois, c’est-à-dire le racisme.
Conclusion
La racialisation de l’appartenance religieuse est à la fois profondément malhonnête et un recul considérable vers l’obscurantisme religieux et le tribalisme. Cela revient à jeter par-dessus bord la liberté de conscience et à abandonner l’universalisme en étiquetant de manière indélébile chaque individu avec un attribut qui n’est pas plus significatif qu’une opinion — une opinion qui non seulement peut changer, mais qui doit rester changeable si l’on respecte les droits humains fondamentaux de l’individu.
La sottise de permettre cet étiquetage religieux peut être amplement illustrée par l’exemple de Sinead O’Connor. La chanteuse irlandaise s’est distinguée en 1992 lorsque, par un geste impromptu à la télévision nationale américaine, un acte de grand courage, elle a dénoncé les abus sexuels d’enfants commis par le sacerdoce catholique. Cependant, des années plus tard, en 2018, elle a annoncé sa conversion à l’islam, enfilé un hijab et exprimé son dégoût pour les « Blancs ». Que l’on puisse changer d’ethnicité simplement en enfilant un accoutrement religieux, c’est une énorme absurdité.
Vraiment un excellent texte. À conserver comme référence sur le sujet.
Merci, Pierre!
Merci de ce texte complet et juste
La montée du racialisme en France est dû au laxisme de nos politiques depuis 40 ans
Ils se sont « servis » du communautarisme, pour rester ou reprendre successivement le pouvoir
Soit par conviction, pour la gauche, par calcul politique pour la droite, parfois les deux
Macron sur ce sujet est plutôt inquiétant
Cordialement
Je suis parfaitement d’accord avec la trame de fond de l’article, à savoir la manœuvre politique derrière cette opposition entre militants sikhs et gouvernement écossais. Elle rejoint tout-à-fait d’autres manœuvres similaires ailleurs, comme celle autour du mot »islamophobie », par exemple. Je n’ai pas grand’chose à y ajouter.
Il y a deux définitions qui me posent certains questionnements, cependant.
La première se rapporte au mot »race » et à cette alternative présentée comme ayant soit valeur égale à 0, soit égale à 1. Le choix de l’auteur penche visiblement du côté de 1, en le justifiant par: »si nous définissons la race comme sous-espèce ».
Je ne suis pas d’accord avec ce choix. Je ne vise nullement à »définir la race comme sous-espèce », mais à supprimer carrément les mots »race », »racisme » et »raciste » du vocabulaire (et même du dictionnaire, tout au moins en leur faisant ajouter la mention »archaïque »). Redonner vie à ces mots sous une autre définition que l’originale, c’est précisément ce que les racialistes tentent de faire, avec un succès absolument désolant, d’ailleurs. Ce n’est sûrement pas une bonne façon de faire disparaître la conception originale de ces mots de l’imaginaire des gens! Bien au contraire.
L’autre malaise me vient du concept d’ethnie (ou d’ethnicité). On indique ici que l’ethnie »fait référence à un concept de la biologie, car il identifie un groupe dont les membres partagent un certain patrimoine génétique. »
Or, ce ne sont pas tous les dictionnaires qui définissent l’ethnie en rapport avec un patrimoine génétique. Certains ne font allusion qu’à une culture et des traditions communes. D’autres n’y font allusion qu’indirectement en mentionnant que les membres d’une ethnie en appellent parfois à une »ascendance » commune (réelle ou imaginée). En fait, je n’ai pas encore trouvé de définition officielle parlant ouvertement de gènes.
Le concept d’ethnie est extraordinairement flou, élastique, modulable quasi à volonté aux désirs de chacun. Si on l’articule autour du concept de culture, on peut effectivement défendre l’idée qu’on ne change pas de culture d’origine comme on change de chemise (… ou de religion). Mais si on prend l’exemple des migrants, combien de générations peuvent se définir comme possédant toujours la culture d’origine de leurs aînés? Un italien du Québec de la 4e génération appartient-il vraiment encore à une ethnie italienne?
Un des grands problèmes, ici, c’est que ce sont les mêmes mots utilisés comme catégories de concepts différents. On utilise le mot »juif » tout aussi bien pour faire allusion à un israélien, à quelqu’un qui a vécu dans un quartier à forte concentration juive de n’importe quel pays, à quelqu’un qui possède une certaine culture juive ou à un croyant judaïque fervant. Ce qui fait que lorsque le mot »juif » est employé par quelqu’un, on ne sait jamais exactement à quoi il fait allusion, ce qui laisse libre cours à chacun de décider à la place de celui qui s’exprime. Et on sait à quelles dérives ces interprétations peuvent mener!
On voit le même phénomène et les mêmes dérives liées aux discours des activistes trans. Qu’on parle de sexe ou de genre, on utilise les mêmes mots »homme » et »femme ». Et quelle confusion cela peut créer! Quand ils hurlent, par exemple: »Les femmes (= genre) trans sont des femmes (= genre ou sexe??)! Faites vos choix… et comprenez ce que vous voulez!
Dans le cas des sikhs, je ne saurais même dire s’il y a des sikhs (= culture ou ethnie) qui ne sont pas sikhs (= religion)… J’imagine que oui, mais on risque fort de ne pas entendre parler d’eux souvent, si c’est le cas.
Non, il ne faut pas supprimer le mot « race ». C’est une très mauvaise idée. D’ailleurs, cela s’est déjà fait, avec des conséquences désastreuses et c’est justement cela le sujet de mon article. J’ai écrit,
« Il est important de préserver le sens biologique du mot « race » afin d’éviter que des adeptes de certaines idéologies s’emparent du concept pour l’instrumentaliser dans le but d’avancer leur propre programme douteux. »
Parce que des gens (c’est peut-être la faute des sociologues, mais ils ne sont pas les seuls) ont déjà essayer d’évacuer tout sens du terme « race », les idéologues ont pu s’en servir pour leur propres fins, le redéfinissant comme ils veulent avec des foutaises comme les groupes « racisés » et les personnes « racisées ». C’est cela la cause du problème que je dénonce dans mon texte. Il faut revenir au sens biologique du concept.
Abandonner le mot « race » dans le contexte humain ferait grand plaisir aux apologistes religieux et aux créationnistes qui considèrent que l’humain est dans une catégorie à part, une création bien particulière et privilégiée de la divinité. Eh bien, NON. Nous les humains sommes des animaux. La race est un concept biologique, pertinent pour toutes les espèces. Il y a de nombreuses races de chien, mais il s’avère que chez nous les humains, il y en a une seule — actuellement du moins –, et nous sommes tous et toutes dedans, comme je l’explique dans cet article.
Abandonner le mot « race » est aussi une insulte à l’intelligence humaine, car cet abandon se base sur la peur que nous soyons incapable de comprendre les nuances de l’évolution et qu’il serait alors nécessaire de nous mentir au lieu de parler franchement de la science de notre appartenance au règne animal — la peur que nous devenions des hyper-racistes si nous osons en parler ! Et bien NON. Je rejette cela.
La meilleure façon de lutter contre le mauvais usage d’un terme, c’est de l’utiliser correctement.
Quant au terme « ethnie », c’est une extension, un super-ensemble d’un groupe partageant un patrimoine génétique commun, « augmenté au fil du temps par l’ajout de nombreux individus, d’origines variées, qui se sont assimilés en adoptant la langue, les coutumes ou d’autres caractéristiques culturelles du groupe d’accueil. »
Bonjour chers amis Canadiens.
L’athée belge qui vous écrit a, bien évidemment, apprécié la pertinence de ce texte.
Pour votre information et bien que ce soit « hors sujet », je vous propose une approche inhabituelle de l’origine éducative et culturelle de la foi, ainsi que de sa fréquente persistance dans les neurones de amygdales du « cerveau émotionnel », puis dans ceux du « cerveau rationnel ». En bref, à mes yeux, les dieux n’existent que dans la tête des croyants, à condition qu’une religion les y aient mis précocement …
Laïquement vôtre,
Michel THYS, en Belgique.
http://persistancedelafoi.eklablog.com
Je suis allé voir »ricochet.media ». Avec de tels huluberlus, vous avez effectivement du souci à vous faire ! Et nous aussi…
Ce texte est désormais pour moi un écrit que je qualifierais d’incontournable parmi la pléthore d’écrits portant sur la question dudit racialisme, de la laïcité et des débats et luttes pour défendre l’une ou l’autre option. Merci beaucoup David Rand. Ça fait le point sur la question , comme on dit. Et je déplore de ne pouvoir assurer une présence plus physique, réelle lors des évènements organisés par Libres-penseurs athées. Entre autres activités, je codirige une revue qui me demande beaucoup de temps. Je continuerai de soutenir comme je le peux LPA.
Laïquement vôtre,
Jean-Pierre Pelletier
N.B.: Je fais circuler ce texte dans mon réseau, l’original ainsi que la traduction française ci-haut. (J-P.P)
Merci Jean-Pierre. Votre appui est précieux.
Merci de faire circuler ce texte (dans les deux langues) !