Perspectives de laïcité au Canada et au Québec

David Rand
porte-parole, Association International de Libre Pensée
président, Libres penseurs athées –- Atheist Freethinkers (Canada)

Ce texte est une version un peu plus étoffée d’une conférence donnée le 18 novembre 2012 au Congrès des Amériques, Mar del Plata, Argentine. La version présentée au Congrès est disponible sur le site web de l’Association International de Libre Pensée (AILP). Consulter SVP les liens en fin d’article.

Le Canada n’est pas constitutionnellement laïque, bien que la laïcité soit une tendance assez populaire. La province de Québec a fait davantage de progrès vers la laïcité que le reste du Canada, et le soutien populaire pour la laïcité semble être à la hausse. Néanmoins, il reste beaucoup de chemin à faire, même au Québec, et les défis sont grands.

Pour comprendre ces défis, il faut se pencher sur les aspects suivants.

  • L’héritage colonial : L’histoire du Canada d’abord dans le cadre de l’empire français et ensuite comme un ensemble de colonies britanniques, les origines britanniques de la Constitution canadienne et la monarchie.
  • L’influence de la droite religieuse américaine : actuellement un facteur important à cause du gouvernement Conservateur du Premier Ministre Stephen Harper.
  • Le multiculturalisme : une forme d’essentialisme ethnique ayant la prétention d’être un correctif pour le racisme. Étroitement lié à la question des accommodements religieux.
  • Les tensions entre anglophones et francophones : Les « deux solitudes » canadiennes, c’est-à-dire les deux groupes linguistiques fondateurs, les francophones étant concentrés (mais pas exclusivement) au Québec.

L’héritage colonial

En 1534, lorsque Jacques Cartier a revendiqué pour le roi François Ier le territoire qui est devenu la Nouvelle-France, l’un des objectifs de son expédition était de convertir tous les peuples autochtones au christianisme. Plus de deux siècles plus tard, les Britanniques ont conquis la Nouvelle-France. Encore un siècle plus tard, en 1867, un acte du parlement britannique – le British North America Act – a fédéré quatre colonies britanniques, les deux plus importantes étant le Québec et l’Ontario, constituant ainsi le Canada.

La Constitution canadienne actuelle est une version modifiée de cette loi. Le rapatriement de cet acte, c’est-à-dire son transfert en 1982 de Londres au Parlement canadien, avec plusieurs ajouts tels que la Charte des droits et libertés et une formule d’amendement, a été approuvé par toutes les provinces sauf le Québec. Cette constitution demeure donc un sujet de controverse au Québec. Bien qu’elle déclare que l’éducation est de compétence provinciale, l’article 93 entérine les privilèges accordés à l’époque aux écoles confessionnelles catholiques et protestantes et donne au gouvernement fédéral le pouvoir de faire respecter ces privilèges par les provinces. Pour éliminer ce vestige du sectarisme XIXe siècle, une province peut agir unilatéralement dans l’espoir que le fédéral ne se servira pas de ce pouvoir, ou bien elle peut négocier un amendement constitutionnel bilatéral avec le gouvernement fédéral.

Des 10 provinces du Canada, quatre étaient déjà exemptes de ces privilèges au moment de s’unir à la fédération et trois les ont éliminés depuis : le Manitoba en 1890, le Québec en 1997 et Terre-Neuve-et-Labrador en 1998. Ces privilèges persistent en Ontario, en Alberta et en Saskatchewan. En particulier, le système scolaire catholique de l’Ontario est subventionné à 100% des fonds publics.

La constitution de 1982 comprend une Charte des droits et libertés dont le préambule stipule que « le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit » Ceci est sans doute incompatible avec l’article 2 de la Charte qui, lui, garantit la liberté de conscience.

Le Canada est toujours une monarchie constitutionnelle, ayant le même monarque que la Grande-Bretagne. Cela signifie que le chef d’État du Canada n’est pas seulement un étranger, mais doit être un chrétien protestant ! Chez les Canadiens (mais surtout à l’extérieur du Québec !), un grand nombre cultivent encore une loyauté irréfléchie à cet anachronisme et une fierté du fait que cela nous distingue ne nos voisins américains. Ils sont comme fascinés par la vedetterie de la famille royale.

L’influence de la droite religieuse américaine

Bien que la Constitution des États-Unis soit plus laïque que celle du Canada, sa population est plus croyante et la religion est un facteur incontournable du paysage politique américain. La frontière entre les deux pays laisse passer bien plus facilement la culture populaire que les principes constitutionnels et il en résulte que l’influence du christianisme évangélique américain au Canada est importante. Bien sûr, cet aspect n’est pas entièrement importé du côté sud de la frontière, les deux pays partageant un patrimoine anglais commun duquel ce courant religieux découle.

Cette influence de la droite chrétienne est plus évidente ces dernières années à cause du gouvernement du Parti Conservateur de Stephen Harper, surtout depuis qu’il a obtenu le statut de gouvernement majoritaire en 2011. L’appui populaire dont il jouit est concentré dans l’ouest du pays. Le Parti Conservateur est le résultat de la prise de contrôle de l’ancien Parti progressiste-conservateur, plus centriste, par l’Alliance Canadienne, ce dernier parti étant décidément de droite.

Une manifestation inquiétante de l’orientation religieuse du gouvernement actuel canadien est son intention d’établir un Bureau de liberté religieuse, à l’instar de l’Office of International Religious Freedom du gouvernement américain. Ce Bureau s’annonçait déjà trop axé sur les religions occidentales, en particulier le christianisme. Puis, en mai 2012, dans un discours prononcé lors d’un dîner formel célébrant la liberté religieuse à Washington, DC, le ministre canadien des Affaires étrangères John Baird a déclaré tout bonnement : « Nous savons que la liberté de religion ne signifie pas être libéré de la religion. » Il est peu rassurant pour les défenseurs de la laïcité que la personne responsable du nouveau Bureau puisse renier si odieusement la liberté de conscience.

Le multiculturalisme

Le multiculturalisme renforce les différences identitaires entre les groupes ethniques et religieux. Il accorde à ces groupes certains « droits collectifs », souvent au détriment des droits individuels. Il favorise la tradition et la communauté au désavantage de la modernité et des droits fondamentaux de l’individu. Le multiculturalisme accrédite les chefs religieux traditionnels et est étroitement lié à la question des accommodements, la pratique d’octroyer des privilèges – incompatible avec les droits universels – sur la base de l’appartenance à une communauté religieuse ou ethnique.

Des précurseurs du multiculturalisme se trouvent, à mon avis, dans la stratégie impériale, pratiquée efficacement par les empires perse et romain de l’antiquité et par l’empire britannique dans les siècles plus récents, qui facilitait l’intégration à l’empire de peuples conquis tout en ménageant l’élite local, une méthode de contrôle sociale tirant profit des structures politiques, religieuses et sociales existantes, tandis que le contrôle exécutif du territoire passe au conquérant. Au fait, c’est précisément ce qu’ont fait les Britanniques suite à la conquête de la Nouvelle-France il y a de cela deux siècles et demi. Cette approche est certainement à préférer aux stratégies conquérantes plus brutales ! Mais bien que plus éclairée, elle n’en demeure pas moins impériale.

Le multiculturalisme a été formalisé et élevé au niveau de politique réglementaire par le Premier ministre Pierre Elliott Trudeau en 1971. L’un des objectifs de Trudeau était de noyer le nationalisme québécois dans une mer de cultures multiples, remplaçant ainsi le préfixe « bi » par « multi » dans l’expression désormais obsolète « biculturalisme ».

Au Canada hors Québec, le multiculturalisme reste une vache sacrée, bien que certaines voix dissidentes commencent à se faire entendre. Le terme est souvent utilisé par opposition à l’intolérance ou même au racisme, comme si les critiques du multiculturalisme devaient nécessairement s’inspirer d’une xénophobie anti-immigrante. S’il s’agit de musulmans, des accusations d’« islamophobie » pleuvent sur ceux et celles qui osent remettre en cause le multiculturalisme. Mais en réalité, le multiculturalisme est lui-même un cousin proche du racisme – Djemila Benhabib l’appelle « multiracisme » – parce qu’il exagère l’importance de la communauté dans laquelle l’individuel est né, au détriment de son individualité.

Pourquoi le multiculturalisme est-il si populaire au Canada en dehors du Québec ? Est-ce motivé par un sentiment de culpabilité face au passé raciste du pays, un racisme que s’inspirait d’une condescendance bien britannique ? Quoiqu’il en soit, le multiculturalisme demeure un point d’orgueil pour beaucoup de Canadiens qui semblent se sentir supérieurs aux Américains et aux « xénophobes » québécois.

Les tensions anglais-français

Les divisions entre les deux groupes linguistiques au Canada, et en particulier entre le Québec et le reste du Canada, demeurent un aspect important de la scène politique canadienne, avec des implications pour la laïcité. Le multiculturalisme est moins populaire au Québec, mais néanmoins influent. La laïcité est mieux comprise et plus valorisée au Québec, sans doute en raison de l’héritage français. Toutefois, de nombreux Québécois de langue française, y compris des incroyants, cultivent une nostalgie et une fidélité à l’égard de l’Église catholique, des sentiments comparables à la loyauté envers la monarchie dans le reste du Canada.

La gauche religieuse

Vous connaissez la droite religieuse. Faites maintenant connaissance avec la gauche religieuse, ou, plus précisément, la gauche multiculturelle. En effet, la gauche politique canadienne, surtout à l’extérieur du Québec, est fortement acquise au multiculturalisme. En Ontario, le Nouveau parti démocratique (NPD) a pleinement appuyé l’agrandissement du système scolaire catholique qui a été la conséquence de la décision d’augmenter son financement public jusqu’à 100%. C’était la néo-démocrate et ancien procureur-général de l’Ontario Marion Boyd qui, en 2004 a proposé d’inclure la charia musulmane dans l’arbitrage du droit de la famille et des successions. Heureusement, une opposition importante, incluant même la Libre Pensée française, a réussi à convaincre le gouvernement de cette province de rejeter cette proposition, ainsi que de retirer les privilèges déjà accordés à plusieurs autres traditions religieuses.

La gauche est tellement éprise du multiculturalisme qu’elle arrive parfois à se faire devancer par la droite ! À la fin de 2011, Jason Kenny, ministre fédéral de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme, a adopté une politique interdisant le port de couvre-visage durant le serment de citoyenneté, un geste que la gauche multiculturelle n’aurait probablement jamais eu le courage de faire. Cette décision répondait à des plaintes, portées par des juges et par d’autres, à l’effet que plusieurs musulmanes refusaient d’enlever leur niqab au moment de participer à la cérémonie d’assermentation en tant que nouvelle citoyenne. On ne peut pas dire que Kenny est un partisan de la laïcité, mais dans ce cas particulier il en est devenu, comme par hasard, un défenseur. Kenny ainsi que ceux et celles qui soutenait sa décision se sont exposés à des accusations d’« islamophobie » de la part des partisans du multiculturalisme.

Toutefois, étant donné que solliciter les bonnes grâces des chefs de communautés ethniques et religieuses est une tactique électorale courante, les partis de droite comme les Conservateurs sont, eux aussi, bien capables de pratiquer cette forme d’opportunisme à l’occasion.

Le système scolaire au Québec

En 1997, le Québec a éliminé son obligation constitutionnelle de maintenir des systèmes scolaires protestants et catholiques séparés. Une dizaine d’années plus tard, il a finalement mis un terme aux commissions scolaires religieuses et installé un système scolaire formellement laïque, avec des commissions scolaires linguistiques (c’est-à-dire françaises et anglaises) au lieu de religieuses.

Mais ce nouveau système laïque comprend, paradoxalement, un contenu religieux encore plus important que l’ancien système car, en septembre 2008, le ministère de l’Éducation a implanté un nouveau programme Éthique et culture religieuse (ÉCR), obligatoire à tous les niveaux primaires et secondaires (11 ans). Ce programme couvre quelques religions majeures, en particulier le christianisme, mais ignore presque complètement les athées et les autres incroyants. L’implication est que tout le monde a une religion, sans laquelle ils n’ont aucune identité culturelle. D’ailleurs, son titre implique que l’éthique appartient au domaine religieux, comme si la morale sans religion étaient impossible.

Ce nouveau programme a été astucieusement promu par une forte faction religieuse, principalement catholique, qui reste ancrée au sein du Ministère de l’Éducation du Québec et qui a réussi à maintenir l’enseignement religieux dans un système soi-disant laïque. Cette faction a réussi ce tour de passe-passe avec des appels à la « tolérance » et à l’« ouverture » et en tirant profit de la popularité du multiculturalisme. Tout compte fait, le programme ÉCR s’avère être un programme de sécurité d’emploi pour théologiens et autres spécialistes de la religion, leur permettant de conserver leurs positions en formation d’enseignants de religion, ces positions étant jusqu’alors menacées par la laïcisation de l’école publique. En d’autres termes, il s’agit d’un détournement de fonds publics pour des motifs religieux.

En outre, les contribuables du Québec continuent à subventionner les écoles privées – dont beaucoup sont religieuses – à hauteur de 60%.

Le système scolaire de l’Ontario

En Ontario, l’injustice du financement public à 100% pour un système scolaire distinct consacré à un seul groupe religieux – le catholique – devient évidente et l’opinion publique est de plus en plus favorable à l’idée de mettre fin à ce système séparé. Le système public non-catholique, bien que traditionnellement protestant, est devenu un système plutôt laïque et ouvert à tous. L’Organisation des Nations Unies a officiellement censuré le Canada à deux reprises – en 1999 et en 2005 – pour avoir violé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en permettant un privilège accordé à un groupe religieux et refusé aux autres. Le coût du maintien de deux systèmes parallèles publics est également un enjeu majeur. Le système catholique a tenté d’interdire les associations d’étudiants gais, violant ainsi les droits fondamentaux, et cette pratique a amplifié l’opposition populaire au système séparé catholique.

Des organismes tel que One School System for Ontario (OSSO), la Canadian Secular Alliance (CSA) et Civil Rights in Public Education (CRIPE) sont des participants importants de la lutte pour intégrer le système scolaire public de l’Ontario.

Les Premières nations et le système des écoles résidentielles

Tout examen même sommaire de la laïcité et de l’éducation au Canada ne pourrait passer sous silence le système des écoles résidentielles pour enfants indiens. Durant plus d’un siècle, ce système scolaire spécial financé par le ministère fédéral des Affaires indiennes et administré par des églises chrétiennes (catholique, anglicane et autres) était en place, se terminant enfin en 1996. Un grand nombre d’enfants des Premières nations, des Métis et des Inuits ont été séparés de leurs parents et forcés de fréquenter ces écoles où leurs langues maternelles étaient interdites et ils étaient souvent l’objet de violences physiques et sexuelles. En 2008, le gouvernement du Canada a prononcé des excuses officielles. Une commission d’enquête a été créée et ses audiences sont actuellement en cours.

La prière aux conseils municipaux et dans les assemblées législatives

De nombreuses municipalités à travers le Canada, incluant le Québec, continuent à imposer une prière religieuse au début de chaque séance du conseil. Au Québec, le Mouvement laïque québécois (MLQ) a enregistré plusieurs victoires dans ses efforts pour faire retirer ces prières publiques. Le cas le plus récent concerne la ville de Saguenay, dont le maire est un intégriste catholique irréductible qui refuse d’accepter les décisions contre la prière par un tribunal des droits de la personne et par une cour inférieure. L’affaire sera entendue par la Cour d’appel du Québec à la fin-novembre 2012.

En Ontario, l’organisation Secular Ontario poursuit actuellement des cas similaires dans deux municipalités, Peterborough et Owen Sound.

Au niveau des législatures provinciales, remarquons qu’à l’Assemblée nationale du Québec la prière a été remplacée en 1976 par un « moment de recueillement ». Mais en Ontario la législature, sous l’influence du multiculturalisme, a pris un tout autre chemin : la « Notre Père » chrétienne traditionnelle est non seulement maintenue, mais plusieurs autres religions y ont été ajoutées, faisant ainsi une profusion de prières !

Une charte de la laïcité pour le Québec ?

Des élections provinciales au Québec ont eu lieu récemment (4 septembre 2012) et le Parti québécois (PQ) dirigé par Pauline Marois a remporté la victoire, mais seulement une pluralité de sièges à l’Assemblée nationale, formant ainsi un gouvernement minoritaire. Marois est la première femme Première ministre du Québec. Pendant la campagne, le PQ a promis l’adoption d’une Charte de la laïcité qui interdirait les symboles religieux ostentatoires portés par les fonctionnaires en service. Cependant, Marois a également indiqué que le port d’un petit crucifix visible par les fonctionnaires en service serait acceptable.

Un autre parti politique, Québec solidaire (QS), prône comme le PQ l’indépendance du Québec, mais est plus à gauche. QS a remporté seulement 2 des 125 sièges, mais toutefois semble avoir le vent dans les voiles. QS maintiendrait le droit des fonctionnaires de porter le voile islamique. Ceci est conforme à la décision prise en 2009 par la Fédération des Femmes du Québec (FFQ) de s’opposer à toute restriction sur les fonctionnaires qui portent le voile, une décision qui a créé l’indignation générale chez les partisans des droits des femmes. Françoise David, porte-parole de QS, est une ancienne présidente de la FFQ. La position de QS et de la FFQ s’inscrit dans la tendance dite « laïcité ouverte » qui implique un abandon de la laïcité des institutions publiques en ouvrant celles-ci à l’ingérence des religions.

Un grand crucifix est bien visible au-dessus du fauteuil du président de la chambre législative de l’Assemblée nationale du Québec. Cette violation flagrante de la laïcité date de l’année 1936 lorsque le gouvernement Duplessis de l’époque l’a installé pour symboliser son alliance avec l’Église catholique. Depuis plusieurs années déjà, la question très controversée des soi-disant « accommodements religieux » fait couler beaucoup d’encre. On devrait plutôt dire « accommodements religieux » car dans la quasi-totalité des cas il s’agit de demander une exception à une loi ou à un règlement afin d’accommoder une pratique ou une croyance religieuse. En 2007, une commission d’enquête a été établie pour tenir des audiences publiques et faire des recommandations à ce sujet.

Un des deux commissaires, le philosophe catholique Charles Taylor, venait de remporter le copieux Prix Templeton qui récompense ceux et celles qui font la promotion de la religion dans les sciences et dans la vie publique. Ce Prix mettait sans doute Taylor dans une situation de conflit d’intérêts, puisque son mandat en tant que commissaire comprenait le maintien de la séparation Église-État comme valeur fondamentale de la société québécoise. Les recommandations de cette commission étaient diverses, mais évidemment influencées par le multiculturalisme et un esprit d’accommodement. Toutefois, une d’entre elles était bien positive pour la laïcité : que ce sacré crucifix soit décroché et déménagé. Mais la réponse immédiate de tous les partis siégeant à l’Assemblée nationale, y compris le PQ, a été de décider que, non, le crucifix reste.

Ainsi, la position du PQ est incohérente : il prétend vouloir une Charte de la laïcité, mais tolérerait certains symboles chrétiens. QS est également incohérent, prétendant soutenir la laïcité, mais permettant aux fonctionnaires en service le port du voile islamique. C’est comme si le PQ prônait la laïcité pour tous sauf les chrétiens, tandis que le QS la favorise pour tous sauf les musulmans.

Auteure bien connue et critique de l’islamisme Djemila Benhabib a été candidate (non élue) pour le PQ dans la circonscription de Trois-Rivières. Benhabib, une partisane indéfectible de la laïcité, est lauréate du Prix international de la laïcité 2012 accordé par le Comité Laïcité République (France). Elle s’est distinguée de la position de son parti pendant la campagne en s’opposant au maintien du crucifix.

Quoiqu’il en soit, vu le statut minoritaire du gouvernement péquiste et le peu de soutien de la part des partis d’opposition, il est peu probable que le PQ puisse réussir à faire adopter une Charte.

L’un des arguments avancés par ceux et celles qui sont à la fois indépendantistes et partisans de la laïcité est que la laïcité serait irréalisable au Québec sans d’abord faire l’indépendance. Cet argument n’est pas sans fondement, compte tenu de la situation constitutionnelle du Canada et l’esprit de multiculturalisme qui y règne. Cependant, comme nous venons de le voir, les accommodements et le modèle de « laïcité ouverte » ont fait des percées importantes au Québec et compromettent ainsi les possibilités de parvenir à la laïcité.

Cloé, 4 ans, plus forte que le maire de Saguenay !

Bien que les partisans de la laïcité au Québec soient parfois accusés de « xénophobie », en réalité ce sont les adversaires de la laïcité qui auraient plutôt cette tendance. Au cours de la dernière campagne électorale, le maire de Saguenay mentionné plus haut s’en est pris aux étrangers aux noms imprononçables qui oseraient dicter les règles pour les Québécois comme lui. Il faisait allusion à Djemila Benhabib. Pour votre divertissement, je vous offre une très courte vidéo YouTube montrant un enfant de 4 ans n’ayant aucune difficulté à prononcer le nom de la candidate, faisant ainsi honte au maire : Cloé et Djemila

Conclusion

Le chemin vers la laïcité est long et ardu. Le Canada et le Québec n’y font pas exception. Néanmoins, l’on constate une certaine volonté populaire d’éliminer de la vie publique les influences religieuses, de supprimer des institutions publiques les pratiques et les symboles religieux, et de retirer des écoles religieuses tout soutien financier des contribuables. À mon avis, nous pouvons poursuivre notre travail avec optimisme.

Je voudrais terminer en insistant sur un point majeur que jusqu’ici je n’ai évoqué que de façon indirecte. Les adversaires de la laïcité utilisent régulièrement la crainte populaire de l’athéisme – un préjugé répandu et ancien, l’athéophobie – dans le but d’alarmer le public à l’idée d’un État sans fondement religieux. Il faut bien sûr rappeler à tous que les croyants ne seraient évidemment pas exclus d’un tel État. Toutefois, cela ne suffit pas. Nous avons le devoir d’aborder directement et franchement la question de l’athéophobie en la dénonçant comme préjugé odieux et sans fondement. La religion n’est pas l’arbitre de la morale. Nous devons insister que la liberté de religion est irréalisable sans le droit de se libérer de la religion. Toute personne qui prétend promouvoir la première tout en reniant le second fait une sottise et est probablement malhonnête.

C’est pourquoi je suis fier de faire partie d’une organisation athée à Montréal qui prône la laïcité. Nous ne cherchons pas à nous établir en tant que communauté distincte, semblable à un groupe religieux. Au contraire, notre but est de travailler pour la liberté de conscience – pour nous-mêmes en tant qu’athées bien sûr – mais en fait pour tous, qu’on soit incroyant ou croyant.

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