Libres penseurs athées
2024-05-21
Voici le mémoire présenté le 21 mai 2024 au Comité des sages par Pierre Marchand, David Rand et Jean Thibaudeau pour l’association Libres penseurs athées. Ce Comité des sages a le mandat de conseiller le gouvernement du Québec sur la question de l’identité de genre.
Il est pertinent, d’entrée de jeu, de préciser pourquoi notre association, Libres penseurs athées, s’intéresse à cette question du genre qui fait l’objet de votre mandat. Bien sûr, notre objectif premier est de permettre aux incroyants de s’exprimer en tant que tels dans l’arène publique, alors que, en dépit du fait qu’ils représentent vraisemblablement désormais la majorité de la population, ils y sont constamment sous représentés, voire invisibilisés. Ce fut d’ailleurs un des principaux reproches formulés envers le cours Éthique et culture religieuse et qui ont poussé le gouvernement à le remplacer par un autre.
Le questionnement autour de la notion de genre peut sembler n’avoir aucun rapport particulier avec le concept de transcendance, hormis peut-être le fait que toutes les grandes religions monothéistes manifestent une grande réserve face au mouvement LGBTQ. Mais là ne se situe pas notre propos.
Pour lutter contre toute ingérence des affaires religieuses dans celles de la société civile, Libres penseurs athées considère qu’il est de la plus haute importance que les points de repère qui guident la définition des règles et des lois dans une société pluraliste soient exclusivement de nature objective, vérifiables par tous et chacun et démontrables au besoin, comme c’est le cas en sciences. Ouvrir la porte à l’utilisation de repères qui reposent sur des sentiments, des idéologies, des croyances ou de la partisanerie individuels ne peut que favoriser la division, la discorde et même la violence.
Nous n’entretenons aucun préjugé négatif quant à la liberté de chacun « d’exprimer son identité en société » telle qu’il l’entend (à l’exception des règles édictées par la Loi sur la laïcité de l’État). L’opposition à ce principe reposerait uniquement sur de la subjectivité : qu’il s’agisse d’apparence extérieure, de la façon de s’exprimer ou de conformité (ou non) aux attentes de l’entourage. Par conséquent, nous condamnons sans réserve toute forme de discrimination, pression, intimidation ou violence dirigées vers des personnes contre ce principe, quelles que soient les circonstances.
Cependant, certains activistes LGBTQ (en fait, surtout les « TQ », soient trans ou « queer ») ont outrepassé la simple défense de leurs droits (ceux qui doivent être reconnus à tous les humains, de toute façon). Ils réclament d’ajouter aux critères d’identification civile officielle celui de « genre », voire même de le voir remplacer celui de « sexe ». C’est ici que notre association se sent interpellée.
Il existe des « droits » que nous considérons moralement, socialement et politiquement injustifiés de leur accorder, pas plus à eux qu’à quiconque :
- Celui d’imposer à tout le monde un déni collectif de cette réalité scientifiquement établie que les humains forment une espèce qui ne comporte que deux sexes, sans exception : les affirmations prétendant que le sexe se situerait plutôt sur un continuum et serait désigné arbitrairement à la naissance doivent être écartées comme étant de la pure désinformation.
- Celui d’imposer à la société de remplacer un critère objectif d’identification sociale (le sexe) par un autre (le genre) dont les contours sont extrêmement flous et sujets à l’interprétation et aux fantasmes de chacun.
- Celui, enfin, de mener des campagnes d’intimidation intellectuelle contre toute personne qui n’adhère pas à la théorie du genre ou qui « mégenre » une personne.
Il ne faut pas perdre de vue que, forcément, pareil changement n’implique pas qu’eux (qui, nous le savons, ne constituent qu’une très faible fraction de la population), mais bien tous les membres de la société. Par exemple, nous soutenons tout à fait les doléances de celles qui, au risque de subir toutes sortes d’accusations injustifiées, affirment qu’un tel changement se trouve à invisibiliser les femmes (au sens biologique), à les départir de leur identité propre et à leur imposer des « accommodements » qui ne tiennent pas compte de leurs besoins réels. Nous faisons allusion en particulier, bien sûr, aux salles de toilette, aux vestiaires, aux refuges, aux prisons et aux sports.
Nous considérons également que les homosexuel(le)s sortent également perdants d’un tel changement. Le concept de « genre » crée de la confusion autour de la définition de l’orientation sexuelle. Celle-ci doit continuer à être comprise comme étant bel et bien basée sur le sexe biologique des personnes, et non sur leur genre. L’orientation sexuelle et l’identité de genre sont deux phénomènes complètement distincts qui ne doivent, d’aucune façon, être amalgamés. La première a une définition objective et claire, tandis que la deuxième est un concept flou et subjectif.
Par ailleurs, l’introduction du critère subjectif de genre dans l’identification civile officielle rend inévitable d’accepter le principe et la pratique de l’auto-identification (i.e. qu’un individu puisse tout simplement se déclarer du sexe opposé et être légalement reconnu ainsi). Or, cela lance à la population le message qu’elle n’a pas son mot à dire dans ce processus et qu’elle doit obligatoirement reconnaître les critères subjectifs entretenus par chacun de ses membres. Non seulement cela crée-t-il de la confusion, mais cela ouvre la porte à toutes sortes d’abus possibles, y compris celui qu’une personne utilise ce droit à l’auto-identification pour des fins frauduleuses.
Nous nous désolons enfin de constater qu’au nom du principe vertueux de la justice sociale et de l’inclusion, les politiciens de tous les gouvernements se sont empressés d’avaliser légalement cette demande des activistes trans et queer comme si elle allait de soi et sans se soucier de l’opinion de la population. L’impact de ces décisions est passé largement inaperçu aux yeux de la très vaste majorité des citoyens. Ce n’est que tout récemment que la population du Québec a commencé à en prendre conscience, ce qui a directement mené à la formation de votre Comité.
Les principes que nous défendons entraînent sans ambiguïté une remise en question en profondeur du discours véhiculé jusqu’à présent par les activistes que nous avons mentionnés et de ceux qui les appuient ; ce discours a été repris par les médias, les partis politiques, une partie du monde médical, certains milieux intellectuels universitaires et même la fonction publique du ministère de l’Éducation. Quoi qu’on ait pu laisser entendre, même les avancées de la pharmacopée et de la technologie médicale actuelles ne sont pas en mesure de changer un humain d’un sexe à un autre et ne le seront pas dans l’avenir prévisible. On peut modifier les apparences extérieures du corps, on peut jouer avec les définitions, on peut adopter des lois, mais cela ne change rien à la réalité biologique.
Nous pensons que, bien que cela ne soit pas facile, il est préférable, réaliste et légitime de modifier les stéréotypes sociaux qui entourent encore l’image de la masculinité et de la féminité. Après tout, une évolution considérable s’est déjà produite dans ce domaine, particulièrement au cours des soixante dernières années. Rien ne devrait constituer un obstacle à ce que ceux qui ne se sentent pas à l’aise de s’y conformer ne puissent évoluer en société en accord avec leur personnalité. Il en a existé à travers toutes les époques de l’histoire humaine, rien de tout cela n’est bien nouveau. Ce qui a changé, c’est que pendant des millénaires, ces personnes ne bénéficiaient pas des progrès technologiques qui leur faisaient croire qu’ils pouvaient passer outre à certaines réalités biologiques, et ils ont dû « s’arranger autrement ».
Les membres de votre Comité sont éminemment bien placés pour saisir l’ampleur des répercussions que la popularité imposée de la théorie du genre a entraînées. Les recommandations qui sont attendues de votre Comité portent sur un éventail impressionnant d’implications dans la vie quotidienne de la majorité de la population, en dépit, encore une fois, du très petit nombre de personnes touchées par le phénomène.
L’association Libres penseurs athées ne prétend pas être constituée d’experts en médecine, en méthodes pédagogiques, en gestion des écoles ou des bâtiments. Elle n’entend donc pas formuler de recommandations détaillées sur tous ces enjeux complexes. Quelques lignes directrices nous paraissent cependant émerger des positions que nous avons énumérées.
Domaine de la Santé
Il y aurait énormément à dire sur la façon dont le monde médical et les systèmes de Santé ont abordé la problématique du genre et de la dysphorie liée au genre jusqu’à présent. Nous sommes consternés par ce à quoi nous avons assisté au cours des dernières décennies dans les pays occidentaux, et tout particulièrement aux États-Unis. Nous nous contenterons ici de pousser un soupir de soulagement à observer qu’un débat sérieux semble commencer à avoir lieu à l’interne dans plusieurs des pays qui avaient été les précurseurs des « soins d’affirmation de genre ». Le tout récent rapport du National Health Service (NHS) britannique vient justement de secouer vigoureusement les colonnes du temple. Citons la dernière phrase du récent article publié dans le British Medical Journal par la Dr Hilary Cass, qui a mené une vaste recherche de quatre ans sur le sujet et qui a servi de base au rapport du NHS. Cette phrase en dit très long sur ses conclusions :
« Gender medicine for children and young people is built on shaky foundations. »
Un point mérite d’être souligné. Nous nous inquiétons beaucoup des conséquences des lois provinciale (P-42.2) et fédérale (L.C. 2021, ch. 24) qui interdisent les thérapies de conversion. Autant nous approuvons chaleureusement son approche de l’homosexualité, autant nous nous interrogeons sur son impact sur les personnes souffrant de dysphorie du genre. Conseiller à une personne de ne pas prendre le chemin de la transition peut s’avérer tout à fait raisonnable et être parfois le meilleur conseil médical à donner. Un devoir primordial de tout médecin est « d’abord ne pas nuire » et le principe de précaution devrait s’appliquer, surtout dans le cas des personnes mineures. Il serait inacceptable que des médecins se sentent obligés de prodiguer de mauvais conseils, ou de s’abstenir d’en donner de bons, parce qu’ils se sentiraient obligés par une telle loi.
Il nous semble inquiétant que la dysphorie du genre est apparemment la seule condition médicale où l’auto-diagnostic du patient semble quasiment prévaloir sur celui du médecin traitant. Les militants trans justifient souvent cette situation, soit en affirmant que seuls ceux qui en souffrent sont en mesure de comprendre leurs besoins (argument absolument faux à tous points de vue), soit en invoquant des statistiques de suicide très alarmantes chez ceux à qui les « soins d’affirmation de genre » ne sont pas prodigués. Mais la validité de ces statistiques nous paraît douteuse.
De plus en plus, certaines études cliniques suggèrent que plusieurs adolescents ayant présenté des symptômes de dysphorie du genre et ayant été suivis en psychothérapie – mais sans interventions médicales comme des bloqueurs de puberté, des hormones ou de la chirurgie – sont devenus des adultes homosexuels sans dysphorie. Cela laisse à penser qu’inciter prématurément un adolescent à faire une transition pourrait équivaloir, dans les faits, à une thérapie de conversion homophobe.
Domaine de l’enseignement
Du côté du système scolaire, les enseignants doivent prioritairement cesser de propager l’idéologie de la non-binarité du sexe chez les humains. Cela nous apparaît aussi vital et urgent que de ne pas promouvoir des croyances religieuses ou la théorie de la Terre plate dans les écoles publiques.
La question des salles de toilette et des vestiaires doit trouver des solutions pratiques qui n’habillent pas Pierre en déshabillant Paul. Nous admettons que certains garçons qui se présentent extérieurement d’une façon soi-disant « propre à la gent féminine » puissent se sentir vulnérables dans les endroits réservés aux garçons. Mais ce n’est pas en vulnérabilisant les filles par leur présence que ce problème peut se régler. Nous privilégions les accommodements de type individuel ou réservé pour eux dans toute la mesure du possible.
Nous ne prenons pas de position ferme par rapport aux changements de prénoms. Bien des prénoms se déclinent tant au masculin qu’au féminin. Nous considérons cependant que la position de certaines écoles par rapport à la divulgation aux parents doit changer. Nous ne sommes pas très enthousiastes envers le concept de « droits des parents » dont certains politiciens font la promotion, surtout au moment où le Québec vient de faire un virage significatif vers la priorité à accorder aux besoins des enfants. Toutefois, il n’est pas du ressort du système scolaire d’élever les enfants en cachette des parents.
L’argument le plus fréquemment invoqué par l’enfant en pareille situation est la crainte de la réaction de leurs parents. Si cette crainte se limite au refus potentiel des parents, elle ne constitue pas une raison suffisante, à notre avis, et il est préférable de le préparer à s’ouvrir lui-même à eux, autant que possible. Si l’enfant semble avoir des raisons de redouter de la violence psychologique ou physique à son égard, la problématique nous semble dépasser la question du genre et devrait être traitée comme telle indépendamment. Quant à l’âge de consentement, il existe déjà des lois et une jurisprudence pour établir ce qu’un adolescent de 14 ou de 16 ans peut ou non décider par lui-même.
Il reste une délicate question qui soulève en nous une certaine inquiétude et qui, à notre connaissance, est rarement évoquée. Si les enseignants cessent de faire la promotion de l’idéologie du genre, comment vont-ils présenter à leurs camarades de classe celui ou celle qui se prétend trans, « queer » ou « non-binaire » sans risquer de provoquer chez lui un ressac psychologique? Tant mieux si des méthodes existent déjà, mais nous n’en sommes pas sûrs et n’avons pas nous-mêmes de réponse à proposer.
Domaine de l’État civil
À propos des document officiels (actes de naissance, carte d’assurance-maladie, permis de conduire, etc.), notre position est ferme et nous sommes désolés de l’initiative prise par le gouvernement via le projet de loi 2 adopté en 2022. Pour nous, l’État n’a pas plus à se mêler du genre des citoyens que de leur orientation sexuelle, de leurs croyances religieuses, de leur équipe de hockey préférée ou de leur marque de réfrigérateur. Il devrait en être de même pour les employeurs, les locateurs d’appartements et les banquiers.
Un des problèmes de ce qui vient d’être adopté est que cela va continuer à entretenir la confusion entre sexe et genre, confusion à laquelle la législation elle-même n’échappe pas, à notre avis. On y propose le choix entre H, F, et X. Or, les deux premiers relèvent nettement du sexe, alors que le troisième fait référence au genre. Quel message cela lance-t-il à la population ? Que sexe et genre se situent au même niveau, participent de la même essence et peuvent être interchangeables à volonté ? C’est apparemment ce que souhaitent certains activistes LGBTQ, mais nous considérons que ceci n’est ni logique ni raisonnable.
Enfin, lorsque le Comité aura remis ses recommandations et que le gouvernement aura fait son lit, nous espérons qu’il entreprendra une solide campagne d’information auprès de toute la population pour remettre les roues sur les rails après tant d’années où tout s’est dit et son contraire dans ce domaine. Souhaitons également que le monde médical d’ici aura eu écho, entre temps, de l’évolution actuelle de la pensée en Europe et du retour à l’esprit scientifique qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Idéologie et réalité scientifique ne font jamais bon ménage.
Il serait également hautement souhaitable qu’une campagne de « ré-information » soit enclenchée sur les plates-formes Internet populaires chez les jeunes pour contrebalancer l’impact d’une multitude d’influenceurs, souvent trans eux-mêmes, qui propagent de la désinformation en abondance sur le sujet, encourageant leur public à transitionner et leur fournissant mêmes des trucs pratiques pour contourner le système.
En guise conclusion, nous sommes conscients du fait qu’il peut sembler paradoxal que nous ayons affirmé supporter les trans, queer et non-binaires dans leur désir de mener leur vie comme ils l’entendent, alors que nos propositions défont la structure même sur laquelle repose l’édifice de leurs revendications. Cette contradiction n’est qu’apparence. En fait, nous considérons que cette base de revendication représente une mauvaise solution à des problèmes bien réels et souvent très souffrants avec lesquels ils se débattent. Plutôt que de poursuivre la bataille contre les stéréotypes sociaux menée tout au long du XXe siècle, ils ont pris la voie opposée et croient trouver leur salut dans le renforcement de ces stéréotypes. Qui plus est, cette voie entraîne (sans que certains d’entre eux le réalisent sans doute) de réclamer que toute la population redéfinisse les critères qui président à son identité sexuelle depuis toujours. Nous tenons à le répéter : ils peuvent mener leur vie telle qu’ils l’entendent (et qu’ils la mènent sans doute ainsi présentement) sans qu’il soit nécessaire, pour ce faire, de changer d’identité sexuelle et la définition de celle de tout le monde en même temps.
Il se trouve que leur mouvement arrive au cours d’une période, dite de ’’post-vérité’’, où la rationalité promue par l’esprit des Lumières depuis la fin du XVIIIe siècle est remplacée par une philosophie relativiste qui tente de faire passer les sciences comme une croyance au même titre que toutes les autres croyances. Nous jugeons essentiel de nous opposer fermement à cette évolution, qui a permis entre autres de mettre fin progressivement à la domination que les institutions religieuses ont exercé sur les affaires civiles pendant des millénaires.
Nous profitons d’ailleurs de l’occasion pour rappeler au mouvement LGBTQ que, contrairement à un autre mauvais choix de combat de la part de certains organismes de ce mouvement, la laïcité constitue le meilleur principe d’organisation sociale qui soit afin de protéger les minorités sexuelles contre les obscurantismes religieux et idéologiques de toutes tendances et qu’ils se tirent lui-même dans le pied en choisissant de s’y opposer.
Ce mémoire est aussi disponible en version PDF.