Ce texte est paru dans Le Devoir du 18 décembre 2024.
Romain Gagnon, David Rand, Andréa Richard, Normand Baillargeon, Francois Dugré et Michel Virard
Les auteurs sont respectivement administrateur des Sceptiques du Québec et auteur d’« Et l’homme créa Dieu à son image » ; président des Libres penseurs athées et auteur d’« Un simulacre de laïcité » ; lauréate du prix Condorcet-Dessaulles et autrice d’« Au-delà de la religion » ; membre émérite du Conseil de l’Ordre de l’excellence en éducation du Québec et auteur de « Le Québec en quête de laïcité » ; administrateur du Rassemblement pour la laïcité ; président de l’Association humaniste du Québec.
Date de publication : 2024-12-22
Un comité de la Chambre des communes recommande que les cégeps et les universités augmentent la représentation des professeurs musulmans pour lutter contre l’islamophobie. Cette suggestion fait écho à celle d’Amira Elghawaby, représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie. En septembre dernier, son appel avait suscité une vive réaction au Québec, et l’Assemblée nationale avait réclamé sa démission, tout comme elle l’avait fait en janvier 2023 en raison de propos jugés offensants envers les Québécois à la suite de l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État.
Bien que cette mesure s’inscrive dans une démarche de discrimination positive, il convient de se demander si cette discrimination, même qualifiée de « positive », est véritablement bénéfique.
Depuis l’attaque du Hamas contre Israël en octobre 2023 et la contre-offensive des troupes israéliennes dans la bande de Gaza qui se poursuit depuis, l’antisémitisme est, de façon flagrante, la forme de racisme la plus visible au pays, selon les plus récents chiffres publiés par Statistique Canada. Bien qu’ils ne représentent que 1 % de la population canadienne, les juifs ont été victimes de 70 % de tous les actes criminels haineux fondés sur la religion.
Si l’on peut compatir à la cause palestinienne, il n’en reste pas moins que cette communauté est marginale au Canada, tandis que la diaspora juive, enracinée depuis des siècles, est au cœur de notre histoire. Dans ce contexte, une représentante spéciale pour lutter contre l’antisémitisme ne serait-elle pas plus pertinente, direz-vous ?
Il appert qu’il y en a une depuis 2020. C’est Deborah Lyons qui occupe présentement le poste d’envoyée spéciale pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme. Mais d’elle, on a eu très peu d’écho.
Plus largement, nous suggérons qu’aucun poste officiel ne soit associé à une minorité particulière, afin d’éviter une fragmentation accrue de notre société.
Il est également crucial de rappeler que la religion n’est pas une race. Tandis que la foi, souvent héritée dans l’enfance, peut évoluer ou être abandonnée, la race est immuable et n’est pas sujette à choix ou à transformation. Assimiler l’islamophobie à une forme de racisme revient donc à confondre deux concepts fondamentalement différents.
Par ailleurs, si les Nations unies et la plupart des gouvernements occidentaux, y compris canadien et français, considèrent que l’islamophobie se définit par la peur, les préjugés et la haine envers l’islam et les musulmans, nous observons qu’elle cible d’abord les islamistes, ce qui est une distinction essentielle pour éviter tout amalgame.
Plusieurs figures musulmanes influentes au Canada, telles que Nadia El-Mabrouk, Ensaf Haidar et, plus récemment, Fatima Aboubakr, dénoncent d’ailleurs vigoureusement les dérives islamistes. Enfin, exprimer des préoccupations quant à une religion, en particulier quant à ses variantes intégristes, ne relève aucunement d’une « phobie ». Bien au contraire, il s’agit d’une attitude rationnelle, fondée sur une vigilance légitime et parfois salutaire.
S’il est rarement acceptable de s’en prendre à des individus, critiquer des idées ou des comportements reste légitime. Les récents actes de vandalisme commis par des groupes islamistes lors de manifestations propalestiniennes vont à l’encontre des valeurs pacifiques qui définissent le Canada. De plus, des professeurs ont été suspendus au Québec pour avoir promu des enseignements contraires aux principes de laïcité. Les prières dans des lieux publics, un autre exemple de pratique controversée, suscitent également des mesures correctives de la part du gouvernement québécois.
Le premier ministre Trudeau n’en est pas à un paradoxe près. D’une part, il se positionne comme un ardent défenseur des droits LGBTQ+ et de l’égalité des sexes. D’autre part, il s’allie régulièrement à des figures dont les discours et pratiques sont ouvertement contraires à ces valeurs fondamentales. Alors que le discours haineux est interdit au Canada, l’article 319 (3) b du Code criminel offre une exemption troublante : un discours homophobe ou sexiste peut être permis s’il s’appuie sur des motifs religieux. Cette exception, critiquée à plusieurs reprises par le ministre québécois de la Justice, révèle une contradiction profonde dans l’application des principes d’égalité et de justice.
En fin de compte, le problème du Canada ne réside pas tant dans l’islamophobie que dans l’islamocécité : une cécité volontaire et complaisante face aux dérives islamistes, qui fragilise nos principes démocratiques et compromet la défense de nos valeurs fondamentales. Refuser de confronter ces enjeux, c’est accepter de sacrifier les acquis de la liberté, de l’égalité et de la justice sur l’autel du multiculturalisme.
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