David Rand, président, Libres penseurs athées
4 septembre 2013
Cet article a été rédigé un peu avant que le gouvernement du Québec dévoile les détails de son projet de Charte de valeurs québécoises.
La version anglaise de ce texte a paru dans The Globe and Mail du mardi 10 septembre 2013.
Faisant suite à une promesse électorale, le gouvernement québécois, par la bouche du ministre Bernard Drainville, a récemment annoncé son intention d’adopter une charte qui interdirait le port des symboles religieux ostentatoires dans la fonction publique. C’est une très bonne nouvelle.
Nous attendons impatiemment que le gouvernement fournisse des précisions. Mais déjà on peut dire que cette mesure aurait l’effet de régler efficacement tout une gamme de problèmes sociaux de type accommodement religieux. Elle tracerait clairement une ligne de démarcation entre, d’un côté, la liberté de religion de ceux et celles qui affichent ouvertement leur appartenance à une communauté religieuse, et, de l’autre côté, la liberté de conscience de tous les autres – qu’ils soient de la même religion, d’une autre ou d’aucune – qui n’ont pas à subir cet affichage de la part de l’État et des ses représentants.
Les employés et employées de l’État ne doivent en aucun cas afficher de ces symboles lorsqu’ils et elles sont en service. Ces symboles peuvent être portés en dehors des heures de travail, ainsi que par les clients et clientes des services publics. Les obliger à enlever de tels symboles durant leurs heures de travail comme représentants de l’État est une mesure qui protège la liberté de conscience de l’ensemble des citoyens et citoyennes, pour qu’il y ait neutralité et apparence de neutralité dans l’octroi des services publics. Le port d’un symbole religieux visible est une déclaration – non verbale mais très forte – de partisanerie ; ce langage n’a pas sa place dans les institutions publiques. La restriction proposée ne brime aucunement la liberté de religion ; au contraire, elle protège cette liberté pour l’ensemble de la population.
Pour illustrer, considérons le scénario suivant : une adolescente issue d’une famille musulmane vit une période difficile puisqu’elle est en conflit avec ses parents qui trouvent qu’elle prend trop de libertés pour une fille de son âge. Peut-être qu’ils veulent qu’elle porte le voile, mais elle ne le veut pas, ou peut-être que la cause du conflit est ailleurs. Supposons qu’elle se présente devant une travailleuse sociale dans un CLSC et par hasard cette travailleuse porte le voile musulman. Même si cette dernière est d’une compétence, d’une impartialité et d’une sympathie exemplaires, son apparence la marque comme un symbole d’appartenance religieuse et ne manquera pas de rendre l’adolescente très mal à l’aise, probablement incapable de discuter de son problème. Permettre le port du voile par la travailleuse sociale nuit à l’adolescente en la privant d’un service.
Évidemment la charte proposée est loin d’être parfaite. D’abord, son nom « Charte des valeurs québécoises » est mal choisi. C’est quoi une « valeur québécoise » ? Il nous faut une Charte de la laïcité, une charte qui exprime des valeurs à vocation universelle et humaine, les valeurs des Lumières. Toutefois, il ne faut pas endosser l’idée saugrenue, voire diffamatoire que le terme « valeurs québécoises » s’inspire d’une xénophobie endémique au Québec. La laïcité et la laïcisation des institutions publiques font tout de même partie du paysage politique québécois depuis fort longtemps et cela constitue une excellente valeur. Lorsque le ministre fédéral Jason Kenney a interdit le port du niqab lors des séances d’assermentation de citoyenneté, cette mesure a suscité la controverse, certes, mais lui a-t-on prêté des intentions néfastes pour avoir prononcé l’expression « valeurs canadiennes » pour justifier sa décision ?
Deuxièmement, il n’est apparemment pas prévu d’enlever le crucifix de l’Assemblée nationale, objet qui y a été installé dans les années 1930 par le gouvernement Duplessis de l’époque pour entériner son alliance avec l’Église catholique. La présence de ce crucifix dans la plus importante enceinte de l’État québécois est une atteinte flagrante à la laïcité. Il faut l’enlever. Toutefois, cette lacune ne justifierait pas le rejet absolu du projet de Charte. Le gouvernement Marois ferait preuve d’incohérence évidente s’il n’enlève pas ce crucifix. Mais il serait encore plus incohérent de ne pas accueillir l’interdiction nécessaire des symboles religieux dans la fonction publique à cause de cette lacune.
Et tant qu’à y être, une Charte de la laïcité digne de ce nom comporterait d’autres mesures importantes. Il faudrait aussi :
- Couper toute subvention publique aux écoles privées, dont beaucoup sont confessionnelles (ou, du moins, couper toute subvention publique aux écoles privées confessionnelles).
- Interdire la prière lors des séances municipales partout sur le territoire québécois.
- Appliquer la Charte à toute municipalité sur le territoire québécois.
- Mettre fin aux accommodements religieux consentis aux abattoirs rituels. Il est inacceptable de suspendre pour des motifs religieux une loi qui évite des souffrances inutiles aux animaux.
- Interdire toute mutilation du corps humain sans raison médicale et sans le consentement de l’intéressé ou l’intéressée. La circoncision masculine est souvent inutile, tandis que la mutilation génitale féminine est un abus physique extrême et violent.
- Éviter en général tout accommodement religieux. Si on fait exception à une règle qui s’applique à l’ensemble de la population, il faut le faire pour des raisons réelles et non surnaturelles.
- Retirer, ou au moins rendre facultatif pour tous, le programme Éthique et culture religieuse, car ce programme obligatoire constitue un privilège accordé aux religions et véhicule dans les écoles publiques la fausse idée que la religion serait essentielle pour l’éthique et la morale.
- Retirer complètement tout avantage fiscal, y compris les exemptions de taxes foncières municipales, pour les institutions religieux et pour les religieux eux-mêmes.
Nous attendons avec beaucoup d’anticipation des précisions du gouvernement dans ce dossier. Mais déjà, le projet d’interdire les symboles religieux ostentatoires dans les institutions publiques est un début prometteur.