David Rand
2022-04-14
Il y a trois faits importants qu’il faut admettre si nous voulons faire des progrès sérieux vers la laïcité.
- La Constitution des États-Unis ne fournit pas un modèle adéquat de laïcité.
- Les islamistes instrumentalisent la mouvance « antiracisme » pour la faire dévier dans une direction anti-laïque.
- Au Canada, le préjugé anti-Québécois est un obstacle majeur à la laïcité.
Passons en revue chacun de ces trois points.
La Constitution des États-Unis d’Amérique
Le Premier amendement de la Constitution des États-Unis ne réalise pas une laïcité complète mais seulement une neutralité religieuse. Il ne dit rien sur la séparation entre religions et État ; il ne fait qu’interdire l’établissement d’une religion d’État. Pire, il proclame la liberté d’exercer sa religion de manière apparemment absolue, comme si aucune limite à cette liberté ne serait acceptable. Si comme moi vous considérez que la laïcité doit inclure le principe de la séparation religion-État, alors il est évident que la Constitution américaine ne met en œuvre qu’une version partielle et inadéquate de la laïcité, que l’on pourrait appeler pré-laïcité ou pré-sécularisme.
De plus, même ce pré-sécularisme limité ne s’appliquait qu’au gouvernement fédéral, non pas aux gouvernements des états de ce pays, jusqu’à ce que la Cour suprême en dise autrement dans plusieurs de ses décisions au 20e siècle. À l’approche du 250e anniversaire de la république américaine, force est de constater qu’il existe toujours un conflit entre les séparationnistes qui travaillent pour une plus grande laïcité aux États-Unis et les accommodationnistes qui favorisent un certain degré d’ingérence religieuse dans les affaires de l’État. Cette tension n’est toujours pas résolue, c’est-à-dire que les États-Unis n’ont pas encore atteint une laïcité digne de ce nom, et ils ne sont pas près de le faire. Au contraire, le Religious Freedom Restoration Act (RFRA) ou Acte sur la restauration de la liberté religieuse — appellation bien trompeuse, pour ne pas dire malhonnête, car cette loi revendique des privilèges pour les personnes croyantes dont les non-religieux ne bénéficient pas — viole la laïcité au niveau fédéral, tandis que plusieurs états ont adopté une législation similaire. En fait, Nicholas J. Little, avocat de CFI-USA, est d’avis que la clause interdisant l’établissement d’une religion d’État est morte depuis une série de décisions récentes de la Cour suprême.
Bien sûr, le pré-sécularisme de la Constitution américaine, aussi inadéquat soit-il, est encore bien supérieur à la Loi constitutionnelle canadienne de 1982, truffée comme elle est de privilèges religieux, à commencer par le préambule qui proclame la « suprématie de Dieu », rien de moins !
L’islam politique et la « race »
Il existe une grande confusion, parfois délibérément fomentée, entre les questions distinctes de la religion et de la race, confusion qui compromet la laïcité et renforce le privilège religieux. Tout d’abord, il faut reconnaître que la mouvance dite « antiraciste » est devenue idéologiquement corrompue au point qu’elle promeut le racisme plus qu’elle ne le combat. J’appelle donc cette tendance le néoracisme. Il faudrait un tome, ou plusieurs, pour expliquer en détail comment cette situation s’est produite. Ici, je résumerai brièvement quelques caractéristiques saillantes de la tendance néoraciste.
Tout en tendant à minimiser ou à nier les fondements biologiques de la soi-disant « race » et du racisme, le mouvement néoraciste est néanmoins obsédé par les anciennes « races » pseudoscientifiques du 19e siècle telles que les blancs, les noirs, etc. Ce mouvement est un phénomène principalement américain, mais qui s’est exporté vers de nombreux autres pays. Il est ainsi obsédé par les préjugés anti-noirs et la culpabilité des blancs, même si le modèle américain des relations raciales s’applique mal à d’autres pays aux histoires différentes. Les néoracistes ont rejeté l’universalisme : au lieu de s’éloigner des anciennes identités raciales, les néoracistes promeuvent de telles catégories d’identité qui divisent, attisant ainsi les flammes de la discorde raciale. Les néoracistes ont abandonné le principe de non-discrimination selon la couleur de peau. Ils lui préfèrent une politique de discrimination « positive », c’est-à-dire en faveur des groupes considérés comme historiquement défavorisés, une approche que les antiracistes du 20e siècle ont parfois endossée mais seulement de manière temporaire. Même si le racisme est actuellement beaucoup moins sévère aujourd’hui qu’il ne l’était il y a des décennies, aux États-Unis et dans d’autres pays où le néoracisme est devenu populaire, les néoracistes ont tendance à voir du racisme partout, qu’il existe ou non. Ils interprètent tout écart entre la représentation des minorités dans une profession et le poids démographique de ces minorités dans la population générale comme étant nécessairement le résultat de préjugés et donc la preuve d’une injustice sociale. D’autres facteurs de causalité possibles — chance aléatoire, économie, préférences personnelles, etc. — sont simplement écartés.
Dans le contexte de la laïcité, le principal défaut des néoracistes est leur habitude de confondre appartenance religieuse et identité raciale. La première est bien sûr un choix, ou du moins elle devrait l’être si la liberté de conscience de chacun est respectée, alors que la seconde est une caractéristique innée et immuable de l’individu. Confondre les deux revient à ne pas protéger la liberté de conscience qui est une priorité majeure de la laïcité. Cela fait le jeu des intégristes religieux, en particulier des islamistes, car cela leur permet d’étouffer les critiques de leur idéologie à l’aide de fausses accusations de « racisme ». Pire encore, cette incapacité à distinguer les idées des attributs innés valide et renforce le tabou islamique de l’apostasie.
L’amalgame de la « race » et de la religion est un retour à l’époque tribale où la liberté de religion était faible ou inexistante et où l’appartenance tribale ou ethnique d’un individu était un prédicteur presque certain de sa religion.
L’adoption par le Parlement du Canada de la motion M-103 en mars 2017 fut une belle victoire de cette stratégie islamiste. L’utilisation du jargon idéologique néoraciste est évidente dans le texte de la motion qui condamne « l’islamophobie et toutes les formes de racisme et de discrimination religieuse systémiques ». En février 2018, le rapport du comité parlementaire ayant reçu le mandat de faire le suivi de cette motion M-103, « Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse », a consolidé cette victoire en permettant le détournement de programmes, initialement destinés à des fins antiracistes, vers la lutte contre la soi-disant « islamophobie ».
Le bon vieux Quebec-bashing
Qu’on l’appelle Quebec-bashing, préjugé ethnique anti-québécois, québécophobie, francophobie, racisme anti-québécois, etc., les préjugés contre les francophones constituent un thème majeur dans l’histoire du Canada. Historiquement, ce préjugé trouve ses racines dans une combinaison de bigoterie religieuse, c’est-à-dire le sentiment anti-catholique à une époque où langue et religion étaient étroitement alignées, et de racisme anti-autochtone étant donné le taux plus élevé de mariages mixtes entre francophones et autochtones (qu’entre anglophones et autochtones).
À certaines périodes, ce préjugé a été attisé par la propagande de l’Ordre d’Orange ou par le K.K.K. opérant au Canada et dans les États américains près de la frontière canadienne. Actuellement, le Québec, comme la France, est à l’avant-garde de la laïcité. Le Québec prend des mesures de sécularisation mal comprises dans le monde anglophone. Les islamistes profitent pleinement de ce malentendu pour calomnier les Québécois comme étant « racistes » ou « xénophobes », des allégations que certains au Canada anglais ne sont que trop prêts à répéter.
Bilan
Les trois points expliqués ci-dessus convergent tous pour miner la cause de la laïcité.
L’incapacité de nombreux anglophones à reconnaître l’importance du principe de la séparation religion-État se traduit par une incapacité à comprendre la nécessité d’interdire le port de signes religieux par les fonctionnaires.
L’influence généralisée du néoracisme, avec son amalgame race-religion, a pour résultat que de nombreuses personnes portent de fausses accusations de racisme contre des mesures laïques telles que la loi 21 du Québec, mais ne reconnaissent pas (ou refusent de reconnaître) le déferlement évident du racisme anti-québécois par les opposants de ces mesures. Après tout, selon les néoracistes, les soi-disant « blancs » sont toujours coupables, de sorte que le racisme anti-blanc serait impossible. Comme les Québécois sont généralement blancs, ils ne sont donc, selon le dogme néoraciste, jamais cibles de racisme.
Cette hypocrisie — porter des accusations de racisme contre les Québécois qui sont au fait cibles de racisme — est évidente dans les réactions à deux attaques meurtrières au cours des dernières années : (1) l’attentat de septembre 2012 dans une soirée célébrant la victoire électorale du Parti Québécois; et (2) l’attaque de janvier 2017 contre une mosquée de Québec. Le premier était un acte de sectarisme anti-québécois, le but apparent étant d’assassiner la première ministre nouvellement élue Pauline Marois et, avec elle, autant de « séparatistes » que possible. La seconde était un acte de fanatisme anti-musulman (mais pas de racisme). Le nombre de tués et de blessés a été beaucoup plus important lors de l’attaque de la mosquée, mais ce n’était qu’une question de chance. Richard Bain, auteur de la première attaque, était bien armé et en aurait probablement tué bien d’autres si son fusil ne s’était pas enrayé. Les deux événements étaient des actes d’une violence meurtrière horrible. Et pourtant, les médias du Canada anglais ne cessent de répéter les détails de la deuxième attaque, suggérant faussement un lien avec la loi 21 et sous-entendant que les Québécois seraient collectivement coupables. Mais la première attaque — un exemple évident de terrorisme anglo motivé par la haine des Québécois — est rarement, voire jamais, mentionnée.
Les solutions à ces trois problèmes sont évidentes. Les laïcistes doivent : (1) affirmer l’importance centrale du principe de séparation entre les religions et l’État ; (2) reconnaître l’importance de la liberté de conscience et donc la distinction fondamentale entre « race » et religion ; et (3) rejeter la diffamation du Québec et des Québécois comme étant non seulement malicieuse, mais aussi une distraction des vrais problèmes tels que (1) et (2).
Une seule remarque.
Le Québec-bashing prend aussi ses sources dans des racines plus profondes, et ce n’est pas anodin par rapport à la question de la laïcité.
Ça fait des siècles que les Anglais et les Français aiment bien se mépriser mutuellement… quand ils ne se sont pas carrément fait la guerre. Bien sûr, l’origine de ce conflit est souvent venue de rivalités entre membres des familles royales, mais l’opposition catholicisme vs protestantisme(s) a été souvent évoquée comme prétexte.
Cette réalité s’est creusée encore davantage au moment de la Révolution française (et du guillotinement de Louis XVI), qui ont scandalisé les Britanniques profondément tant sur le plan politique que religieux. Ces derniers se sont également braqués contre le succès remporté un peu partout en Europe par les philosophes des Lumières (dont plusieurs étaient Français) et leur ont opposé leurs propres philosophes anti-Lumières.
Le Québec-bashing, de ce point de vue, est en partie un simple prolongement du France-bashing que l’on continue d’observer dans les médias américains, entre autres.
Au Canada plus spécifiquement, s’ajoute sans doute aussi le fait que le ROC ne peut s’empêcher de constater que, même chez beaucoup de fédéralistes québécois, il n’y a guère d’enthou-siasme envers ce nationalisme canadien que Pierre Trudeau a réussi à créer de toutes pièces dans les années ’70-’80. Les débats sur le multiculturalisme et la laïcité sont à la pointe de cette divergence.