Pierre Marchand
2021-12-16
Définissons d’abord quelques termes.
Par laïcité républicaine, nous entendons le modèle laïque républicain établi par la loi française de 1905 :
Article 1 : “La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. […]”
Article 2 : “La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […]”
Le sécularisme, tel qu’on l’entend généralement prévoit que l’État est neutre et ne privilégie aucune religion.
Le terme multiculturalisme désigne un pluralisme culturel dans lequel les différentes ethnies collaborent et dialoguent sans avoir à sacrifier leurs identités particulières. Toutes les cultures se valent. C’est le relativisme culturel.
Dans l’interculturalisme, les immigrés participent à l’ensemble des activités de la société d’accueil. Une intégration culturelle réussie nécessiterait l’abandon d’un partie de la culture d’origine qui ne serait par compatible avec les valeurs de la société d’accueil.
Le terme communautarisme désigne toute forme d’auto-centrisme d’un groupe ethnique et/ou religieux valorisant ses différences avec le reste de la société.
Chacun de ces termes a des implications juridiques et sociales que je n’aborderai pas ici.
Dans le modèle français, qui présuppose les acquis des Lumières, la personne est d’abord un citoyen de la République, quelle que soit sa race, son ethnie ou sa religion. La laïcité républicaine se base donc sur le respect des droits des individus. La religion est un choix et on est libre de croire ou de ne pas croire et de changer de croyance au cours de sa vie.
D’autre part, plusieurs pays ont adopté le sécularisme multiculturel : le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, l’Inde et plusieurs pays d’Europe.
Le sécularisme multiculturel considère l’être humain comme étant défini par sa culture, dont fait partie sa religion, et mène souvent au multiculturalisme religieux et au communautarisme.
Idéalement, dans le modèle républicain, les religions n’ont pas d’influence sur les décisions de l’État. Celles-ci sont basées sur le bien commun, la prospérité, l’économie et la science. Il déclare que l’homme est capable de gérer sa politique, son économie et sa morale par sa seule raison, sans faire appel au surnaturel (elle se base finalement sur les acquis de la civilisation occidentale). Le multiculturalisme, en défendant l’égalité de toutes les cultures, se voit souvent obligé de renoncer à des normes universelles telles que les droits de l’homme, et la culture occidentale, bref aux valeurs des Lumières.
Pour l’instant, aucun pays au monde n’applique complètement le modèle républicain. La France est celui qui s’en approche le plus. Elle a connu maintes dérives (par exemple, certaines municipalités ont financé des mosquées), elle éprouve beaucoup de difficulté avec l’immigration et n’a pas su éviter complètement le communautarisme.
Malgré les déclarations de David Cameron, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à l’effet que le multiculturalisme ne fonctionne pas, le reste de l’Europe est essentiellement multiculturel sauf la Pologne qui est ultra-catholique, pratiquement une théocratie, et d’autres comme la Hongrie qui refusent toute immigration.
En Asie, la Chine est athée, mais on peut difficilement parler de laïcité républicaine puisqu’elle ne reconnaît pas les droits de l’homme. L’URSS fut athée, mais la Russie d’aujourd’hui s’est accoquinée au christianisme orthodoxe. L’Inde applique le multiculturalisme anglo-saxon mais doit affronter un communautarisme souvent violent.
Le Canada et les États-Unis sont des pays où règne plus ou moins le modèle d’état multiculturel séculier à l’anglo-saxonne. Mais même si on y prévoit la neutralité religieuse de l’État, dans ces deux pays les religions sont écoutées et financées généralement par des dispenses d’impôt et autres avantages fiscaux. Elles réussissent à influencer les décisions de l’État en leur faveur et imposent même parfois leur agenda.
Voyez ce qui se passe aux É.U. à propos de l’avortement. Si les états sous le contrôle du parti républicain ont gain de cause en cour suprême, ils s’attaqueront ensuite aux droits des LGBT et au mariage homosexuel. C’est ainsi qu’une religion qui représente moins de 20% de la population impose ses lubies à 100% de la population. Même si 23% des habitants déclarent n’avoir aucune affiliation religieuse aux É.U., seulement une vingtaine de députés ouvertement athées ont été élus dans l’histoire du pays. Certains états ont même encore des lois interdisant à un non croyant d’occuper un poste, bien qu’elles ne soient plus appliquées depuis que la cour suprême les ait déclarées inconstitutionnelles en 1961. Nombreux sont ceux qui rêvent qu’on déclare le pays comme étant une nation chrétienne. Comme le disait le général Flynn la semaine dernière, “If we are going to have one nation under God, which we must, we have to have one religion.”[*] Le danger d’une théocratie est donc omniprésent aux É.U.
Peut-on même parler de sécularisme au Canada alors que le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés fait référence à Dieu et que le monarque canadien porte le titre de Défenseur de la Foi ? Et alors qu’on continue à réciter la prière avant chaque session du parlement ? Malgré cela, le Canada se considère comme un état séculier, et en 1988 il adoptait sa loi sur le multiculturalisme (qui est depuis devenu « religion » d’État). Donc en principe c’est un État séculier multiculturel. Néanmoins, même si au Canada le nombre de personnes déclarant n’avoir aucune affiliation religieuse était de 32% en 2019, les religions continuent d’exercer un pouvoir important. Elles essaient d’influencer les lois, par exemple l’exception religieuse dans la loi sur le discours haineux et l’adoption d’une motion contre l’islamophobie. Stephen Harper avait même créé en 2013 un bureau de la liberté de religion (heureusement, il a été fermé par les libéraux en 2016).
Si le Canada appuie les droits de l’homme quand il s’agit d’autres pays, à l’interne il encourage la discrimination envers l’homme blanc dans certaines politiques fédérales. Il suffira parfois d’être membre d’une minorité visible (non blanc) pour avoir la priorité dans l’embauche ou dans les subventions. Et ces pratiques s’étendent aux universités qui dépendent fortement du gouvernement fédéral pour leurs subventions de recherche. C’est là une malencontreuse dérive du multiculturalisme.
Le Québec pour sa part a effectué un pas important vers la laïcité en 2007-2008 avec la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, qui recommanda que les fonctionnaires en situation de pouvoir, c-à-d. les policiers, les gardiens de prison, ainsi que les juges et le président les vice-présidents de l’Assemblée nationale ne portent pas de signes religieux. Cette recommandation ne s’étendait toutefois pas aux enseignants ou aux travailleurs de la santé. La commission propose en outre l’abandon de la prière dans les séances des conseils municipaux et d’enlever le crucifix à l’Assemblée nationale. Elle propose aussi un modèle de laïcité ouverte mais sans véritable séparation de l’Église et de l’État. Finalement elle propose l’interculturalisme comme projet de société pour le Québec. En effet, ce modèle d’intégration est bien adapté au Québec dont la culture est sans cesse menacée.
En 2017, la loi 62 sur la neutralité de l’État impose que les services de l’État soient donnés et reçus à visage découvert. Suite à l’indignation du reste du Canada, cette interdiction n’est pas appliquée et la loi ne met de l’avant aucune des autres recommandations de la commission Bouchard-Taylor.
En 2019, le Québec adopte la loi 21 sur la laïcité de l’État qui renforce la laïcité en se basant sur quatre principes : séparation de l’État et des religions, neutralité religieuse de l’État, l’égalité de tous les citoyens et la liberté de conscience et de religion. Elle étend l’interdiction du port de signes religieux à tous les fonctionnaires en position d’autorité coercitive, aux enseignants et aux directeurs d’école. La loi ne prévoit pas le retrait du crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale, mais le gouvernement le retire tout de même, afin de montrer sa bonne foi. Re-indignation du reste du Canada ! Ce dernier a en effet de la difficulté à admettre qu’un modèle de vivre ensemble différent du leur, le modèle québécois, qui se rapproche de la laïcité républicaine, puisse coexister avec le leur. Indignation aussi, des deux auteurs de la commission Bouchard-Taylor qui trouvent que la loi accentuera les clivages entre la majorité et les minorités et qu’elle vise les enseignantes musulmanes.
Toutefois, il manque encore à la loi 21 un volet essentiel de la laïcité française : « l’État ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », or le Québec continue de financer des écoles privées confessionnelles. On y viendra peut-être un jour, mais ça va hurler !
Les athées souhaitent une laïcité totale de l’État et que les religions soient reléguées totalement à la sphère privée. Pas de financement de l’État, pas d’exemption d’impôt. Ainsi, ils espèrent qu’à la longue elles s’affaibliront et que la raison finira par l’emporter sur l’obscurantisme.
Ceci dit, imaginez où l’humanité serait rendue si tout l’argent investi depuis des millénaires dans les églises, les cathédrales, les mosquées, les synagogues, les temples et les pagodes avait été investi dans des écoles et des universités !
[*]Traduction : Si nous allons avoir une nation unie sous Dieu, ce que nous devons, nous devons n’avoir qu’une seule religion.
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