Cour d’appel no : 500-09-028470-193 – 12 décembre 2019
Pierre Cloutier ll.m, avocat à la retraite
2019-12-17
Lorsque le gouvernement Legault a décidé d’inclure dans son projet de loi no 21 sur la laïcité de l’État la clause dérogatoire prévue à l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés pour soustraire cette loi à une décision défavorable de la part de la Cour suprême du Canada, tous les partisans de cette loi, dont je suis, ont applaudi à deux mains en pensant raisonnablement qu’on venait de la mettre à l’abri pour une période minimale de 5 ans, comme le prévoit le paragraphe 3 de l’article 33 :
La déclaration visée au paragraphe (1) cesse d’avoir effet à la date qui y est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur.
Mais c’était sans compter sur la réplique de ses adversaires multiculturalistes et fédéralistes canadiens et ses alliés à l’intérieur du système judiciaire canadien, dont les juges des cours supérieures, des cours d’appel et de la Cour suprême du Canada, sont tous nommés par le gouvernement fédéral.
Et cette réplique est venue de façon inattendue et incidente de la part de la juge en chef de la Cour d’appel du Québec, Nicole Duval Hesler, qui a sorti un lapin de son chapeau (la « pauvre » femme musulmane voilée victime de discrimination par rapport aux hommes) sous la forme de l’article 28 de la Charte canadienne qui se lit comme suit :
Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.
(Je souligne)
En langage de hockey, on dirait que c’est un « gros but qui fait mal » et si on y ajoutait un brin de méchanceté certains pourraient penser que c’est tout un cadeau que la juge Duval Hesler a fait au gouvernement fédéral avant de prendre sa retraite, pour le remercier de l’avoir nommée comme juge en chef de la Cour d’appel du Québec.
Pourquoi ? Tout simplement parce que le coeur du débat juridique portera sur l’interprétation de l’article 28 qu’en donneront les tribunaux fédéraux, dont en dernier ressort la Cour suprême du Canada, qui, comme disait René Lévesque, est « comme la Tour de Pise, puisqu’elle penche toujours du même bord » et particulièrement dans ce dossier-ci avec tout le poids de la doctrine multiculturaliste canadienne et sa prétendue « supériorité morale » qui ont été imposées de force au Québec par la Loi constitutionnelle de 1982 sur le Canada, une loi du Parlement britannique, soit dit en passant.
Il suffit en effet de lire la décision de la juge Duval Hesler pour s’en rendre compte. L’argument est simple voire simpliste même si on y mettra beaucoup de jargon juridique pour y arriver : la clause dérogatoire de l’article 33, plaidera-t-on, ne s’applique pas à l’article 28 puisque cette clause ne vise que les articles 2 (entres autres la liberté de religion) et 7 à 15 (garanties juridiques, dont le droit à l’égalité de l’article 15) :
33. (1) Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.
(Je souligne)
La partie juridique reprendra à compter du mois d’octobre 2020 où la Cour supérieure entendra la cause Hak au fond, mais d’ici à ce temps-là, les juristes du gouvernement du Québec devront travailler fort pour trouver une réponse à la pierre que vient de lancer dans la mare aux canards nationalistes la très fédéraliste et multiculturaliste juge Nicole Duval Hesler.
Dans sa décision dans l’affaire Hak, le juge Robert Mainville a indirectement fourni les premiers arguments pour contrer l’article 28, mais la pente sera rude et abrupte et l’adversaire nous attend bien retranché en haut de la montagne de la Cour suprême du « Cadenas ».
Comme cette affaire est aussi et fortement politique, il y a peut-être un espoir de ce côté-là, mais comme je n’ai pas de boule de cristal achetée chez Canadian Tire et que je ne suis pas porté sur la pensée magique, la croyance et la fiction, je vais laisser les paris ouverts pour ceux et celles qui voudront le faire. Mais si j’étais à la place du gouvernement Legault, je commencerais à me préparer sérieusement pour le pire.
Aura-t-on le courage d’en faire un cheval de bataille pour remettre en cause notre participation à la fédération canadienne comme s’apprête à le faire indirectement le gouvernement albertain sur la question du pétrole ? Comme je suis athée, il m’est difficile d’affirmer que « Dieu seul le sait ».
La loi 21 ne discrimine pas selon le sexe. Ce sont les religions qui font cette discrimination, ce qui fait qu’il y a plus de femmes affectées par cette loi.
Ce qu’a fait la juge Nicole Duval Hesler, c’est juste déplacer le problème pour en faire un homme de paille. C’est un sophisme et ce sophisme doit être démontré et démonté.
Je suis tout à fait d’accord avec vous.
De plus, je crois comprendre pourquoi deux des trois juges parlent de discrimination contre les femmes : c’est parce que les multiculturalistes tiennent l’État pour responsable des conséquences de la croyance religieuse. Le croyant ou la croyante est déresponsabilisé(e). C’est le monde à l’envers. C’est la base des accommodements religieux : l’État doit se plier aux croyant(e)s. Ahurissant !!