David Rand
2019-09-12
Le gouvernement du Québec s’est mérité le respect et le soutien de l’électorat pour avoir proposé et adopté la plus importante législation laïque jamais vue au Québec (voire dans les Amériques) depuis des décennies : la célèbre Loi 21, Loi sur la laïcité de l’État. Mais maintenant, ce gouvernement ne doit pas rester assis sur ses lauriers. S’il ne fait rien pour étendre davantage la laïcisation au delà de la Loi 21, pour combler ses lacunes, il doit au strict minimum veiller à ce que les dispositions de cette loi soit appliquées pleinement.
Effectivement, de sérieux problèmes s’annoncent dans le dossier de la laïcité. Nous avons appris récemment, au début du mois d’août, que le gouvernement de la CAQ versera 20 millions de dollars pour le patrimoine religieux au Québec en 2019-2020. De cette somme, 5 millions sont destinés à la conversion de bâtiments à une nouvelle utilisation. Cela veut dire que les trois quarts de la somme iront apparemment à des églises qui sont encore utilisées en tant qu’églises. Pourtant, les institutions religieuses jouissent toujours d’importantes exemptions fiscales. D’ailleurs, l’Église Catholique est une organisation internationale richissime, bien capable de payer ses propres dettes, un organisme qu’il faudrait qualifier de mafia, de liberticide et d’abuseuse d’enfants. Nous comprenons le besoin de préserver le patrimoine architectural du Québec, mais pourquoi un gouvernement qui se prétend laïque verserait-il des fonds publics pour l’entretien d’édifices dont le propriétaire n’est pas l’État mais plutôt une institution religieuse ?
Un peu plus tard au mois d’août, ce même gouvernement a répondu négativement à une demande provenant de plusieurs parents de faire appliquer l’article 4 de la Loi 21 qui garantit à toute personne le droit « à des services publics laïques ». En effet, sachant que les enseignant(e)s déjà en poste avant la publication de cette législation garderont le droit de porter des signes religieux (selon sa clause de droit acquis, dite « grand-père »), ces parents ont demandé que, en vertu de cet article 4, leurs enfants ne soient pas placés dans une classe où l’enseignant(e) porte un signe religieux. Un simple changement de classe suffirait, sans affecter le droit acquis de l’enseignant(e). Mais le ministre de l’Éducation Roberge a fermé la porte à cette requête. Encore pire, un père qui a fait cette demande a été traité de « raciste » par un commissaire scolaire, une accusation diffamatoire, inacceptable et indigne de la part d’un élu.
On pourrait dire que la lune de miel est terminée. Sauf qu’il n’y a jamais eu de lune de miel. Nous et nos collègues du Rassemblement pour la laïcité avons toujours critiqué les faiblesses de cette législation tout en l’appuyant pour ce qu’elle faisait pour faire avancer la laïcité au Québec. Cette loi étant maintenant adoptée, nous nous en réjouissons, mais il reste encore énormément de travail à faire.
Certes, nous devons continuer à défendre la Loi 21 contre le fol archarnement des ennemis de la laïcité. Il y a déjà la poursuite devant les tribunaux, lancée par une étudiante en éducation et appuyée par le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) et l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), auxquelles l’Organisation mondiale des Sikhs du Canada vient de se joindre. Heureusement que le juge Yergeau a déjà rejeté la demande de suspension immédiate de l’interdiction du port de signes religieux, mais les plaignantes ont porté cette décision en appel. De plus, la question de fond, soit la contestation de la Loi 21 par les même plaignantes, demeure devant les tribunaux.
S’ajoute à cela une nouvelle campagne « Non à la loi 21 » lancée en début-septembre. Sans surprise, c’est dans une église, l’Église unie Saint-James au centre-ville de Montréal, que le lancement a eu lieu. Rappelons que cette Église unie du Canada participe pleinement à cette mouvance communautariste et anti-laïque depuis longtemps. En 2016, l’Église Saint-James a organisé, en collaboration avec la Muslim Association of Canada, une séance de prière publique sur la rue Sainte-Catherine. En 2015, la cheffe de l’Église unie a sottement qualifié d’« Islamophobie » toute opposition à la prolifération du niqab au Canada.
Comme toujours, les anti-laïques qui s’opposent à la Loi 21 véhiculent malhonnêtement l’idée fausse que cette législation serait une menace pour les droits. Au fait, la Loi 21 aide à protéger la liberté de conscience des usagers de services publics et des étudiants dans les écoles publics. Les opposants à cette loi accordent une priorité absolue et infinie au privilège des employé(e)s d’État de faire de la publicité religieuse durant leurs heures de travail et ainsi ces opposants se foutent éperdument de la liberté de conscience des usagers et des étudiants. C’est pourtant les droits de ces derniers qui devraient primer sur ceux des employé(e)s.
Donc, nous devons continuer à appuyer le gouvernement dans la mesure où celui-ci se porte à la défense de sa propre loi. Mais s’il manque à ce devoir, s’il refuse d’appliquer pleinement les dispositions de cette Loi 21, comme il semble le faire dans le dossier des parents demandant un changement de classe pour leurs enfants, alors ce gouvernement ne mérite plus notre concours. Nous devons dénoncer sa négligence dans ce dossier.
S’il y a un thème qui se dégage de toute cette confusion, c’est bien la futilité de viser la modération dans une situation où les compromis sont impossibles. La CAQ a essayé de ménager la chèvre et le chou en adoptant une loi très modérée, voire timide, qui n’interdit les signes religieux que dans une partie de la fonction publique. Mais cette recherche de compromis était vouée à l’échec. Souvenons-nous de la faiblissime Loi 62 du gouvernement précédent qui ne faisait qu’interdire les couvre-visage mais avec des accommodements, c’est-à-dire des exceptions, qui affaiblissaient encore davantage cette loi. Mais même cette disposition insignifiante a été bien trop pour nos fanatiques anti-laïques qui l’ont contestée devant les tribunaux tout comme ils le font pour la Loi 21 actuellement. Toute tentative de compromis avec eux est tout à fait inutile.
D’ailleurs, la clause grand-père qui accorde un droit acquis aux gens déjà en poste a été ajoutée pour des raisons semblables, dans un esprit de compromis. Mais cette clause crée des inégalités parmi les fonctionnaires, des inégalités que les ennemis de la Loi exploitent pour la critiquer. De plus, cette clause affaiblit l’article 4 concernant le droit à des services publics laïques. Le gouvernement CAQ doit revenir sur sa décision de ne pas recevoir la demande légitime des parents qui veulent une école réellement laïque pour leurs enfants. Ceci est une revendication absolument minimale. Ce serait encore préférable que cette clause grand-père soit abrogée (ce qui enragerait les anti-laïques, mais ils sont déjà maximalement enragés de toute façon). Mais si nous devons vivre avec cette clause, le refus de la CAQ d’appliquer l’article 4 est inacceptable.
Finalement, et ce point est très important, la demande de ces parents ne constitue pas une sorte d’« accommodement raisonnable » ou d’exception. Il s’agit tout simplement de faire respecter le droit à des services publics laïques stipulé par la Loi 21 à son article 4, ainsi que de faire respecter la liberté de conscience des élèves telle de stipulée par la Charte des droits et libertés de la personne à son article 3.
Bonjour David. Déformation professionnelle d’architecte, sans doute: je suis d’accord pour qu’on mette un peu d’argent pour entretenir certaines églises du Québec. Ce sont les seuls bâtiments qui ont une qualité architecturale au Québec – en particulier lorsque l’on est hors des villes de Montréal et de Québec. Que l’on utilise ces bâtiments pour autre chose que prier stupidement, mais qu’on ne les laisse pas se dégrader.
Michel Caron, arch., membre de la LPA
Bonjour Michel,
Sauf erreur de ma part, je crois que ces subventions iront à des églises qui sont toujours utilisées en tant qu’églises. Dans ce cas-là, c’est l’Église catholique qui en est propriétaire et qui devrait alors en payer l’entretien.
Pour que le gouvernement en accepte la responsabilité, il faudrait d’abord que l’État en soit propriétaire. Il faudrait donc que l’édifice en question soit cédé (ou vendu) à l’État d’abord, non ?