David Rand
2019-06-07
En Grande-Bretagne, la Société séculière nationale (National Secular Society ou NSS) s’est jointe à plusieurs figures publiques pour signer une lettre ouverte adressée au secrétaire d’État à l’Intérieur, Sajid Javid, afin d’exprimer leurs inquiétudes au sujet d’une définition de la soi-disant « islamophobie » proposée par un groupe parlementaire non partisan. La définition telle que proposée a déjà été endossée par plusieurs partis politiques britanniques, écossais et gallois, ainsi que par le maire de Londres. Elle déclare ceci :
« L’islamophobie prend ses racines dans le racisme et constitue une forme de racisme qui cible les expressions du fait d’être musulman ou de ce qui est perçu comme musulman. »
Une traduction française de la lettre ouverte est disponible dans l’article « L’appel de 44 intellectuels britanniques contre une définition officielle de l’islamophobie » (On peut aussi consulter la version originale anglaise. Dans la liste de signataires, on voit le think tank britannique Civitas, à ne pas confondre avec l’association intégriste catholique française.)
La lettre ouverte affirme que la définition ne convient pas à son but et constituerait une menace sérieuse, et pour la liberté d’expression, et pour la lutte contre l’extrémisme. Heureusement que le gouvernement britannique a récemment rejeté cette définition, tout comme le Conseil du comté du Lancashire l’a fait subséquemment. Toutefois, la question n’est pas pour autant réglée et le groupe parlementaire pourrait encore proposer une autre définition.
La critique que fait la lettre ouverte de cette définition d’« islamophobie » inclut plusieurs points essentiels.
- La définition est vague et ratisse trop large, sans tenir adéquatement compte des conséquences négatives pour les libertés académique, d’expression et de presse. Elle risque d’entraver la liberté de discuter de sujets d’importance fondamentale.
- Elle risque d’aggraver les tensions sociales entre communautés et d’attiser la même antipathie antimusulmane qu’elle prétend prévenir.
- Elle aura l’effet de protéger des critiques les croyances islamiques et même les extrémistes.
- Elle aura l’effet d’une sorte de loi anti-blasphème déguisée.
- Elle entravera le signalement des pratiques abusives. La peur de se faire accuser d’« islamophobie » empêchera le signalement de beaucoup de cas d’abus.
- L’amalgame que fait la définition entre race et religion aura l’effet d’étouffer les critiques légitimes de l’islam.
Finalement, la lettre élucide ces préoccupations par de nombreux exemples de problèmes sérieux résultant d’accusations d’« islamophobie », des problèmes que ne seraient qu’aggravés si la définition proposée était acceptée. Cette accusation a déjà été portée contre les critiques de la ségrégation religieuse et sexuelle en éducation ; contre les opposants du hijab et de l’abattage rituel halal ; contre les partisans des droits des LGBT qui s’opposent à l’homophobie islamique ; contre les ex-Musulmans et les féministes qui critiquent les attitudes et pratiques misogynes islamiques ; contre les gens qui se préoccupent de la question des « grooming gangs » impliqués dans des affaires d’abus sexuels ; contre des journalistes qui enquêtent sur l’islamisme ; contre des Musulmans qui travaillent dans le domaine de l’anti-extrémisme ; contre des écoles et le Bureau de normes éducatives pour avoir résisté à la pression religieuse conservatrice et imposé l’égalité des sexes.
Les signataires de la lettre ouverte craignent que, si la définition était adoptée, le gouvernement ferait appel à des « représentants de la communauté » auto-proclamés pour leur dire ce qui est musulman et ce qui ne l’est pas. Ce serait la porte ouverte à des abus. Le groupe parlementaire a déjà négligé les Musulmans considérés « insuffisamment musulmans », comme les modérés, les libéraux, les réformateurs et les Ahmadiyyah, souvent cibles de persécutions de la part d’autres Musulmans.
Ainsi, la lettre ouverte signée par la NSS avance des arguments solides contre cette définition d’« islamophobie », plus que suffisants pour justifier le rejet de cette définition. Néanmoins, j’ai trouvé cette lettre un peu timide sous certains aspects, en particulier :
- La lettre laisse entendre que, bien que la définition proposée soit peu satisfaisante, une autre serait peut-être acceptable. Mais au contraire, le terme « islamophobie » est fondamentalement vicié. Toute utilisation du terme sous forme d’accusation est inacceptable.
- La lettre exprime la crainte que ce terme devienne en quelque sorte un délit de blasphème déguisé, comme si cet aspect était un effet secondaire négatif. Mais au contraire, le but principal de cette expression, sa raison d’être, est de censurer la critique de la religion islam. Pour parler franchement, l’« islamophobie » est le blasphème du XXIe siècle. Il ne s’agit pas d’un effet secondaire ; c’est le but primaire.
- La lettre déclare solennellement « Les signataires condamnent sans équivoque, sans réserve et avec force, les actes de violence contre les musulmans et reconnaissent le besoin urgent de lutter contre la haine antimusulmane. » Cette déclaration est non seulement inutile, elle est inappropriée. Le but premier des accusations d’« islamophobie » n’est pas de réduire la violence antimusulmane, bien que de nombreuses personnes bien intentionnées et dupes de l’islam politique en soient peut-être convaincues. En vérité, les islamistes profèrent de telles accusations afin d’étouffer la critique de la religion qu’ils instrumentalisent pour atteindre leurs buts. Ils n’ont pas intérêt à réduire la haine ou la violence antimusulmanes ; c’est le contraire qui est vrai. Cette haine et cette violence leur sont très utiles. La lettre elle-même l’admet en déclarant que l’expression alimente le sentiment antimusulman. Si on voulait véritablement réduire les tensions sociales, on rejetterait complètement cette expression « islamophobie » et on éviterait totalement son usage.
D’ailleurs, du point de vue de la laïcité, il est déplacé pour un gouvernement d’émettre un jugement quelconque au sujet d’une religion, sauf pour se déclarer autonome et indépendant de toute religion. Que le gouvernement britannique considère même la possibilité de faire une déclaration à propos de l’islam ou de toute autre religion est une indication de la nature hautement non-laïque du système politique britannique. La même observation s’applique au système canadien ; on n’a qu’à penser à la tristement célèbre Motion M-103.
Pour résumer, les accusations d’« islamophobie » sont toujours inacceptables, étant donné que le mot veut dire une peur irrationnelle de la religion islam. Craindre une religion quelconque, surtout un monothéisme tel que l’islam, le christianisme ou le judaïsme, est éminemment justifiable. Toute religion qui cherche à obtenir de l’influence politique est dangereuse, et les monothéismes en particulier sont extrêmement dangereux. Je ne vois que deux usages possibles du terme « islamophobie » qui seraient potentiellement légitimes, mais même dans ces deux cas il doit être rejeté :
- On pourrait l’utiliser pour se décrire, en disant par exemple, « Je suis islamophobe car craindre l’islam est justifié. » Mais cet usage est douteux parce que le suffixe « -phobe » implique une peur irrationnelle. Une expression bien plus appropriée dans ce cas serait « critique de l’islam ».
- On pourrait l’utiliser comme synonyme de bigoterie religieuse basée sur la concurrence religieuse, par exemple le cas d’un bigot chrétien qui considère que l’islam serait une religion inférieure, ou qu’il ne serait même pas une religion. Mais dans la conjoncture politique actuelle de plusieurs pays à majorité musulmane, où la persécution des Chrétiens par les Musulmans est apparemment si féroce qu’elle atteint presqu’un niveau génocidaire, et où cette persécution s’avère bien plus sérieuse que le sentiment antimusulman qui peut exister dans les pays traditionnellement chrétiens, pouvons-nous raisonnablement blâmer les chrétiens d’avoir peur de l’islam ? N’est-ce pas plutôt une peur tout à fait légitime, une réponse rationnelle à une situation dangereuse ?
Pour conclure, le mot « islamophobie » doit toujours être rejeté. Utilisé en tant qu’accusation, son but est de promouvoir l’islam politique par le biais de la censure de toute critique de l’islam. Il n’a aucun autre but. Au contraire, en étouffant la nécessaire discussion, son usage attise toute antipathie antimusulmane non résolue parmi la population générale, avec comme conséquence un risque accru de violence antimusulmane. La Société séculière nationale britannique, malgré sa critique quelque peu hésitante de ce mot, a bien compris et bien communiqué les éléments essentiels de cette importante observation.
Lectures suggérées :
- Blogue 094 : L’islamophobie, ça n’existe pas
- Blogue 093 : NON à une journée contre l’« islamophobie »
- Blogue 077 : Pas d’islamophobie ni d’amalgame ? Impossible !
- Blogue 022 : Repenser l’« islamophobie »
- Recension du livre « L’ISLAMOPHOBIE »
Nous pouvons, à l’égard de ce mot piégé, adopter deux attitudes.
1, Refuser d’utiliser ce mot «islamophobie» car il amalgame la personne et sa croyance. Or toute personne a droit au respect, mais aucune croyance (qui n’est qu’une opinion) n’a droit au respect. Justement parce que l’opinion n’est pas une personne.
2, Se déclarer «islamophobe» comme on prend au bond une balle et qu’on la rejette dans le camp adverse.
Le point 2 risque que les «bons musulmans dits modérés», apeurés, se collent aux intégristes.
Mais je crains qu’on ne puisse faire l’économie de cette position (le point 2) en affirmant à chaque fois, en martelant même pour qu’on soit bien compris, que l’islam est une pourriture et que le croyant doit par lui-même la rejeter.
Ainsi, on crève ce mot «islamophobie»comme une billevesée pourrie. Il faut éviter de lui donner quelque crédit.
Juste un petit commentaire sur la laïcité. Vous mentionnez que c’est la séparation complète entre la gouvernance et la religion.
Je trouve que cette laïcité est un peu aveugle, en ce sens que si une religion fait la promotion de discours haineux, la société et le gouvernement doivent intervenir pour limiter ces discours. Le gouvernement a donc un rôle policier à maintenir face aux religions, et on doit s’assurer de pouvoir intervenir contre les discours haineux, sexistes, racistes et religiocentriques.
Il ne peut donc pas y avoir séparation complète, puisque l’intérêt de la société en général doit primer sur les croyances religieuses, et cela peut même mener à l’incarcération de gourous, imams ou prêtres extrémistes. Dans le cas des témoins de Jéhovah, cela peut aussi mener à contrecarrer les parents d’un enfant qui a besoin de transfusion sanguine.
Non, aucune exception à la séparation n’est nécessaire. Tout le monde doit obéir aux lois, et si les propos haineux sont limités par la loi, alors les propos haineux religieux y sont assujettis comme tout autre propos haineux.
Ici au Canada, nous avons la situation inverse. La loi sur la propagande haineuse comporte une exception religieuse, donnant l’impunité aux propos haineux basés sur un texte religieux ! Il faut supprimer cette exception afin de laisser la loi s’appliquer à tout le monde.
Voir à ce sujet : https://www.atheologie.ca/communiques/2018-04-24/