Blogue 059 : Mariage gai et discours haineux, partie I

Partie I: La droite religieuse américaine dans tous ses états

David Rand

La Maison Blanche illuminée pour fêter la décision de la Cour suprême. Photo : CNN
La Maison Blanche illuminée pour fêter la décision de la Cour suprême. Photo : CNN

Vous avez sans doute entendu parler de la décision récente de la Cour suprême des États-Unis permettant le mariage gai dans tout le pays et abrogeant toute loi au niveau d’un état qui interdirait les mariages gais. C’est évidemment une grande victoire pour les droits des gais en particulier, pour les droits humains en général et surtout pour la laïcité car les mouvements qui s’opposent et continuent à s’opposer aux droits des gais fondent leur homophobie principalement sur la religion et, aux É-U, surtout sur le christianisme.

Bien que cette décision de la Cour suprême américaine soit remarquable, voire historique, n’oublions pas qu’il y a dans le monde une vingtaine de pays ayant déjà adopté le mariage gai. Il est grand temps que les Etats-Unis se mettent à l’heure du monde civilisé. Ce qui est encore plus remarquable que la décision comme telle est la férocité et la bêtise monumentale de la réaction contre elle. On dirait que civiliser les É-U est un projet à long terme.

Par exemple, Ted Cruz, sénateur fédéral pour l’état de Texas et candidat à la nomination présidentielle du Parti Républicain, a proposé que les juges qui ont voté en faveur du mariage gai soient destitués. Bobby Jindal, gouverneur de la Louisiane et également candidat à la nomination présidentielle républicaine, a tout simplement déclaré qu’il faudrait dissoudre la Cour suprême. Cruz et Jindal voudraient tous les deux faire amender la constitution américaine afin de permettre aux états d’interdire le mariage gai, peu importe la décision de la Cour suprême. Mike Huckabee, ex-gouverneur de l’état d’Arkansas et lui aussi candidat à la nomination présidentielle républicaine a déclaré qu’il n’acceptera pas le mariage gai tel qu’imposé par cette « Cour impériale ». Il a renchéri pour opiner que la Cour suprême ne peut abroger la loi naturelle et divine du mariage, tout comme elle ne peut abroger la loi de la gravité, et que cette décision constitue une sérieuse atteinte à la liberté religieuse.

Huckabee a même osé comparer ce jugement au tristement célèbre jugement Dred Scott de 1857 qui a statué que les personnes de race noire ne sont pas humaines à part entière, un évènement qui a contribué à déclencher la guerre de Sécession Américaine. Huckabee se trompe complètement : dans l’affaire Dred Scott la Cour a refusé d’étendre aux noirs un droit dont jouissaient les blancs, tandis que, dans la récente décision instituant le mariage gai, la Cour a justement étendu aux gais un droit dont jouissaient et jouissent encore les hétéros. D’ailleurs, la question des droits des états (par rapport au gouvernement fédéral) instrumentalisée par les opposants au mariage gai a également été utilisée par les partisans du maintien de l’esclavage. Les arguments des opposants au mariage entre personnes de même sexe sont bien semblables à ceux des opposants au mariage mixte (entre noirs et blancs) aux É-U, ce qui n’a rien de suprenant puisque ce sont souvent les mêmee personnes qui s’opposent aux deux. Soit : c’est contre-nature, cela va amener la fin de la nation ou la destruction de la civilisation, cela va dériver vers le mariage avec les animaux, etc.

Bryan Fischer, ancien directeur de l’American Family Association (AFA), a comparé la décision de la Cour à la destruction des tours jumelles du World Trade Center le 2001-09-11 et à l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en 1941, déclarant que le 26 juin serait dorénavant « notre 11 septembre, d’un point de vue moral ». Quant aux juges qui ont approuvé le mariage gai, il les a traités de « jihadistes moraux » et de « jihadistes arc-en-ciel ». Récemment, ce même Fischer a critiqué le régime Obama pour avoir prôné la « déviance sexuelle » et pour avoir mis le péché sur la voie rapide en nommant plusieurs individus homosexuels et intersexués à des postes importants. L’attitude de Fischer à l’égard des personnes intersexuées est particulièrement mesquine.

Alors, pourquoi ces arriérés sont-ils tellement en colère ? le commentaire de Huckabee alléguant une atteinte à la « liberté religieuse » est presque pertinent, sauf que le mot « liberté » n’est pas du tout approprié ; il s’agit plutôt d’un « privilège ». C’est-à-dire que, ces fossiles lamentent la souffrance de perdre un cher privilège religieux. Aux États-Unis (et dans une moindre mesure au Canada et dans d’autres pays) les Chrétiens ont toujours eu, et ce, jusqu’à tout récemment, carte blanche ou presque, pour promouvoir et imposer leurs codes moraux surnaturels, ces codes ayant bénéficié d’un statut incontestable et indiscutable. Mais depuis quelques années, ils ont perdu certaines des prérogatives auxquelles ils se sont habitués. Les mœurs sexuels ont évolué. L’avortement et l’homosexualité — deux sujets desquels ils sont constamment obsédés — sont devenus socialement acceptables dans une certaine mesure. Les Chrétiens n’ont plus une impunité entière lorsqu’ils essaient d’imposer leur morale archaïque sur les autres. Comme des enfants gâtés privés d’un jouet favori, ils pleurnichent, ils pleurnichent haut et fort.

On pourrait interpréter quelques-unes de ces déclarations insensées comme de la propagande haineuse contre les gais et les lesbiennes, bien que moins sérieuses que la déclaration d’un pasteur de l’Arizona appelant à la mise à mort des homosexuels telle que spécifiée dans le livre de Lévitique. À ce que je sache il n’y a pas de législation aux États-Unis interdisant les propos haineux, mais au Canada elle existe. L’article 318 interdit de préconiser ou de fomenter le génocide tandis que l’article 319 interdit l’incitation à la haine contre un groupe identifiable. Il est bien entendu que la criminalisation des discours haineux est une mesure dangereuse car elle peut fort bien s’appliquer plus largement qu’attendu et s’utiliser afin de supprimer des débats importants, par exemple la critique d’idéologies politiques ou religieuses. Alors, je ne propose pas que ces déclarations ridicules soient criminalisées afin de les taire ; en effet, le public américain se porte probablement mieux en étant informé de ces réflections, ne serait-ce que pour bien choisir le candidat pour lequel ne pas voter. Il est tout de même intéressant de se poser la question de la légalité éventuelle de ces discours au Canada.

Allez à la partie II: Législation contre le discours haineux au Canada

Un commentaire sur “Blogue 059 : Mariage gai et discours haineux, partie I
  1. Luc Déry dit :

    Je ne crois pas que ce soit « une grande victoire (…) surtout pour la laïcité ». C’en est une, certes, mais c’est surtout pour les droits des gais. Pour la laïcité, c’est une victoire indirecte car, comme il est écrit ici, « les mouvements qui s’opposent et continuent à s’opposer aux droits des gais fondent leur homophobie principalement sur la religion ». « Principalement » ne veut pas dire « entièrement ». Qu’on me comprenne bien : je me réjouis comme la grande majorité des athées et des humanistes de cette décision de la Cour suprême. Mais j’aime que le crédit des victoires soit justement attribué. J’aurais donc préféré lire « et, par ricochet, c’est une grande victoire pour la laïcité. »

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