Osons critiquer les religions
Jean Delisle
« Ce qu’on affirme sans preuve peut être nié sans preuve. » Euclide
Nous avons la chance de vivre dans un pays signataire de la Déclaration des droits de l’homme de 1948. La critique de la religion découle de la liberté d’expression garantie par cette Déclaration et notre régime démocratique.
Pour être vraiment pertinente, cette critique doit se faire dans une perspective historique, compte tenu de l’importance que les religions accordent à la tradition, argument qu’elles invoquent souvent, à défaut de mieux, pour justifier des pratiques, des rites ou des usages archaïques : célibat des prêtres, voile, circoncision, bannissement du porc, kirpan, turban, kippa, rouflaquettes, etc.
Pour les non-croyants, une religion est une institution purement humaine fondée sur des présupposés invérifiables (dogmes, articles de foi, croyances) et assortis de prescriptions plus ou moins contraignantes. Le plus fondamental de ces présupposés est la révélation d’un dieu, dont on est incapable de prouver l’existence, mais dont les croyants prétendent connaître la volonté : « J’agis ainsi, car c’est la volonté de dieu1 », affirment-ils pour justifier leur comportement, même les plus inhumains.
Incohérence des révélations
Étrangement, les révélations n’ont pas été les mêmes pour les trois grands monothéismes. L’auteur de La Bible démasquée a bien vu le faisceau d’incohérences et de contradictions qui plombent le concept même de révélation :
Comment le vrai Dieu aurait-il pu se révéler trinitaire aux chrétiens et farouchement monothéiste aux juifs et aux musulmans ? Comment aurait-il révélé la monogamie et l’interdiction du divorce aux chrétiens et non aux musulmans ? L’interdiction des images aux juifs et aux musulmans, mais non aux chrétiens ? L’homme-dieu aux chrétiens, mais pas aux juifs ni aux musulmans ? Le péché originel aux chrétiens seuls ? La papauté infaillible également aux chrétiens seuls ? 2
Il y a dans ces lignes amplement matière à réflexion sur la genèse des religions.
Aspects critiquables des religions
Une religion ne peut se soustraire à la critique, pas plus que « n’importe quel courant politique, philosophique ou idéologique. […] Dans une société laïque, les religions sont considérées à l’égal de toutes les opinions3. »
On peut critiquer tous les arguments d’autorité qui prétendent, entre autres, que les livres dits sacrés (Bible, Coran, Talmud) enseignent la vérité et ne renferment aucune erreur. Cette orgueilleuse prétention est source de divisions, d’exclusions et de conflits. L’histoire le prouve à satiété.
On peut critiquer l’endoctrinement des jeunes enfants à un âge où ils ne sont pas en mesure de porter un jugement éclairé sur ce qu’on leur demande de croire.
On peut critiquer les mutilations (circoncision, excision) que les croyants imposent à leurs enfants.
On peut critiquer les privilèges accordés aux institutions religieuses qui privent de milliards de dollars (« l’économie pourpre ») les États n’ayant pas su garder leurs distances à l’égard des pouvoirs ecclésiastiques. On pense ici aux rapports incestueux que Duplessis entretenait avec le haut clergé catholique, convaincu que « l’État et la religion ne font qu’un ». Le crucifix à l’Assemblée nationale qui a scellé cette union en 1936 est une honte.
On peut critiquer le financement public des écoles confessionnelles ou les postes d’aumôniers dans les prisons. Il n’incombe pas à un État laïque d’assumer ce genre de services.
On peut critiquer les initiatives des groupes politico-religieux musulmans qui, alléguant que l’homme est « un sujet de Dieu » et non le produit de l’évolution, cherchent à placer la Loi divine au-dessus de la Déclaration des droits de l’homme.
On peut critiquer l’attitude des musulmans qui prétendent que la liberté d’expression ne peut pas servir de prétexte pour stigmatiser les religions, et qui assimilent la critique des religions à du racisme.
On peut critiquer les démarches de l’Organisation de la coopération islamique (57 pays) visant à faire reconnaître par les instances internationales, dont l’ONU, le concept de « diffamation des religions » afin de criminaliser le blasphème et d’inscrire ce « crime » dans le droit international. Cette initiative heurte de front la liberté d’expression qui est au cœur de toute démocratie digne de ce nom.
On peut critiquer les théocraties qui briment la liberté de conscience de leurs citoyens, freinent leurs aspirations démocratiques et opposent un barrage systématique à la laïcité.
On peut critiquer le refus des religions de tenir compte des découvertes médicales (les moyens contraceptifs, par exemple), préférant par immobilisme doctrinal s’accrocher à des prescriptions morales rigides d’une autre époque.
On peut critiquer l’hypocrisie de nombreux membres du clergé qui affichent une conduite morale de façade, mais s’adonnent en privé à des pratiques dépravées contraires au code de vie qu’ils prêchent.
Et la liste est encore longue.
Critiquer les religions : un droit inaliénable
En vertu de quel principe une religion échapperait-elle à toute critique ? Par leur attitude areligieuse, les athées et les non-croyants sont bien placés pour mettre au jour les incohérences des systèmes de croyances et dénoncer, au nom des valeurs humanistes qu’ils prônent, tous les abus dont les religions se rendent coupables, même si, il faut le reconnaître, les institutions religieuses financent de nombreuses œuvres caritatives. Elles ne sont pas les seules, cependant, à pratiquer l’entraide humanitaire, et leurs « bonnes œuvres » ne leur donnent droit à aucun privilège particulier. Mais, honnêtement, est-il nécessaire d’être athée ou non-croyant pour dénoncer :
- le caractère profondément immoral des fatwas enjoignant aux musulmans d’assassiner les blasphémateurs ?
- l’intolérance de ceux qui tuent les apostats et les homosexuels ?
- le Vatican qui condamne l’usage du condom et reste de marbre devant les ravages causés par le sida ?
- l’odieuse infériorisation des femmes que pratiquent toutes les religions patriarcales ? La misogynie est certainement ce qu’il y a de plus répugnant et de plus critiquable dans les religions.
Des reliquats d’un passé lointain
À l’époque où sont nés les monothéismes, les humains croyaient que la Terre était plate, qu’elle occupait le centre du système solaire, que les montagnes soutenaient le ciel, qu’il était possible de transmuer le plomb en or et qu’on pouvait apprendre les langues au moyen de pilules. Faut-il s’étonner, dès lors, que les religions véhiculent des croyances du même ordre ?
Les créationnistes n’entretiennent-ils pas la conviction que le récit légendaire de la Genèse donne une description scientifique et littéralement exacte de l’origine de l’Univers créé par dieu en sept jours ?
Et il faudrait s’abstenir de critiquer les religions ? Plus que jamais, au contraire, cette critique lucide s’impose pour que la lumière de la raison et de la connaissance dissipe les ténèbres de l’ignorance et de la superstition.
Jean Delisle, Gatineau
Libre penseur athée
(Ce texte est une version abrégée d’un article déjà paru dans
Québec humaniste de l’Association Humaniste du Québec.)
Références
- Blogue no 11 de Libres penseurs athées, « La volonté de « Dieu » » de David Rand.
- Normand Rousseau, La Bible démasquée. Incohérences et contradictions, Montréal, Louise Courteau, éditrice, 2010, p. 89.
- Christian Rioux, « Les oiseaux de Rushdie », Le Devoir, 28 septembre 2012.
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