David Rand
Dans ce volet de notre blog, David Rand examine une question qui est au cœur de la croyance religieuse, plus particulièrement la croyance théiste : la prétention de posséder une connaissance, souvent exclusive, de la volonté de « Dieu ».
Un très grand nombre d’êtres humains se soumettent au théisme, et pas seulement les croyants, car beaucoup d’incroyants aussi persistent à afficher une attitude de déférence servile à l’égard des institutions, pratiques et dirigeants religieux. C’est en tant que système de morale que le théisme maintient son emprise. Par « système de morale » je ne veux pas dire un système qui serait moral, mais plutôt un système normatif de prescriptions morales et éthiques. Le socle de ce système est la prétention de chaque théisme de connaître la volonté de « Dieu ». Au fait, les théistes prétextent souvent que la morale serait impossible sans dieu, ou du moins sans la croyance en dieu, car selon eux les origines de tout principe moral se trouveraient dans la divinité. Cette hypothèse s’appelle la Théorie du commandement divin.
Par exemple, les chrétiens, musulmans et juifs sont nombreux à condamner certains comportements sexuels, tels que l’homosexualité, car ils croient que ces conduites seraient incompatibles avec la volonté de dieu. Apparemment leur dieu s’intéresse énormément à ce qu’on fait avec ses parties intimes. Certains croient que travailler ou faire certaines activités seraient interdits par dieu durant des jours spéciaux de la semaine ou à des périodes précises de l’année. D’autres prétendent que leur dieu leur oblige à porter des vêtements particuliers, ou à s’abstenir de consommer certains aliments à des moments particuliers. Plusieurs comportements positifs ou négatifs – la compassion, l’amour, la haine, la violence, etc. – seraient prescrits par la volonté d’un dieu. La liste d’exemples est très longue.
Mais enfin, comment serait-il possible de connaître la volonté de dieu ? Pour ce faire, il faudrait réussir au moins les trois étapes suivantes :
- établir l’existence de « Dieu » – c’est-à-dire un dieu théiste;
- établir que ce dieu possède une volonté ; et
- établir quelque moyen de communication afin de connaître cette volonté.
Ayant élucidé la question en la divisant en éléments un peu plus gérables, on constate aisément que certains problèmes se présentent.
Premièrement, les preuves à l’appui de (1) sont totalement absentes. Les arguments classiques (ontologique, cosmologique, téléologique) traditionnellement avancés par divers théologiens se résument à quelques arguties futiles et ont été réfutés de nombreuses fois. Le seul argument qui avait un tant soit peu de plausibilité – l’argument du dessein –, déjà remis en cause avant Darwin, est maintenant entièrement discrédité. Chaque découverte scientifique, aussi modeste soit-elle, contribue à notre compréhension du monde et constitue une nouvelle réfutation de l’hypothèse de dieu. Car cette hypothèse ne sert qu’à boucher les trous dans notre savoir, et ces trous deviennent progressivement plus petits. Qui plus est, sachant qu’il revient à celui qui prétend l’existence de quelque chose d’en apporter la preuve et non l’inverse, et vu qu’aucune preuve matérielle irréfutable sérieuse n’a jamais été fournie (trace, image, enregistrement, suaire, etc.), il s’ensuit que l’hypothèse (1) doit être rejetée.
Même si (1) était établie, l’étape (2) présente un problème également sérieux quoique différent : dans chaque monothéisme, tel que le judaïsme, le christianisme ou l’islam (pour les lister en ordre chronologique), on considère généralement que dieu serait omniscient, omnipotent, infiniment bon, éternel, omniprésent et créateur de tout. Mais comment se peut-il qu’un être omniscient et omnipotent puisse avoir des désirs ? Étant donné que ce dieu doit savoir tout ce qui s’est passé, se passe et se passera, et ce, partout et de tous les temps, et étant donné qu’il ou elle serait capable de faire absolument tout, tout « désir » serait exaucé instantanément – au fait, bien avant l’instant actuel, mais plutôt au commencement du temps (si le temps a un début) puisque dieu connaît le futur entièrement. L’idée même d’une « volonté » implique une insatisfaction face à la situation actuelle, et cela ne peut se produire. Comment un dieu parfait pourrait-il être insatisfait d’un élément quelconque de sa propre création ? Ainsi, le concept de vouloir quelque-chose est incompatible avec les qualités que l’on attribue normalement à dieu. D’ailleurs, pourquoi un tel agent s’intéresserait-il aux créatures insignifiantes que nous appelons humains, grouillant sur la surface d’une poussière que nous appelons Terre, perdue dans une galaxie quelconque dans un univers gigantesque ?
Suite à ces difficultés énormes, l’étape (3) s’avère aussi infranchissable. Même si, malgré tout, nous supposons l’existence d’un dieu possédant une volonté, comment savoir ce qu’il veut ? Quelle moyen de communication, quelle source d’information peu nous éclairer ? Dans les trois grands monothéismes, cette source serait la révélation telle qu’énoncée dans les écrits que les croyants considèrent saints. D’abord, comme source d’information, la révélation n’est pas plus fiable que le rêve de voler sans ailes que je fais parfois la nuit. Si un individu prétend avoir reçu un message de dieu, cette prétention ne nous révèle rien, à part l’état mental de cet individu. Quant aux écrits dits saints, ils ont été rédigés des milliers d’années dans le passé – parfois un peu plus récemment – par des êtres humains, ils sont truffés de contradictions (ou se contredisent), et sont essentiellement des légendes pieuses d’une valeur littéraire plus ou moins grande. Ils nous permettent d’entrevoir un peu de l’histoire, des pratiques et des cultures de quelques sociétés de l’Antiquité, mais c’est à peu près tout. Nous n’avons surtout aucune garantie que leurs auteurs puissent partager avec nous une connaissance fiable de la volonté d’un quelconque dieu.
Pour résumer, afin de connaître la volonté de dieu, nous avons trois étapes à franchir – l’existence de dieu, l’existence de sa volonté, et la connaissance de cette volonté – chaque étape présentant des difficultés insurmontables. Le bilan de la situation est ceci : Personne ne connaît la volonté de dieu, nous sommes dans l’ignorance totale. Moi-même, athée, je possède une connaissance de la volonté de dieu qui est aussi bonne, aussi profonde, que celle de tout pape, imam, rabbin, prêtre ou pasteur – et je n’en sais strictement rien. Et c’est exactement ce qu’en sait tout le monde, peu importe leurs prétentions.
Puisque la volonté de dieu est inconnaissable, il s’ensuit que la morale théiste est totalement infondée et arbitraire. N’importe quel illuminé, d’esprit sain ou non, peut faire dire à « Dieu » n’importe quoi – comme, par exemple, « Dieu interdit la consommation de fruits de couleur rouge le mardi » ou « Si je ne porte pas ce chapeau en papier d’aluminium en tout temps, Dieu se fâchera contre moi » – et ces déclarations sont aussi fidèles à la volonté de dieu que les dogmes de n’importe quelle religion. La célèbre phrase « Sans Dieu, tout est permis », attribuée à un personnage dans un roman de Dostoïevski, est donc erronée. Au contraire, si la morale se base sur la divinité, alors tout peut être permis – ou interdit – arbitrairement, sans aucune possibilité de résoudre les désaccords, parce que nul test ne pourrait confirmer ou infirmer les assertions faites à propos de la volonté divine, ou trancher entre des assertions concurrentes.
L’arbitraire de la morale théiste la rend dangereuse. Les autorités religieuses peuvent prôner parfois des comportements positifs, mais cela ne règle pas le problème. Si les croyants se montrent sympathiques et aimables parce que l’on leur a dit que c’est un commandement de dieu, ils sont autant capables d’être antipathiques et hostiles si on leur donne le commandement contraire – ou s’ils perdent la foi. De toutes façons, les comportements estimés positifs ne sont pas toujours appropriés : l’amour peut être incongru selon le contexte, et la haine n’est pas nécessairement déplacée. Les normes inflexibles motivées par une morale absolue ne sont pas les plus sages.
Quiconque prétend connaître la volonté divine et parler au nom de dieu est soit bouffon, soit charlatan – ou bien fou. Si de plus on prétend en détenir une connaissance exclusive ou privilégiée, au delà de celle possédée par les autres – faisant de l’individu LE porte-parole de « Dieu » – alors cet individu est mégalomane. Le pape, par exemple, est un charlatan mégalomane, à moins qu’il plaisante ou qu’il soit fou, mais j’en doute. De toute manière, je parle ici de la papauté en tant qu’institution, non pas de la personne qui occupe ce poste. Alors va pour charlatan mégalomane ! Et il en va de même pour tout chef religieux qui se prétend porte-parole prééminent d’Allah, de Jéhovah, de Yahvé ou de tout autre dieu.
La Théorie du commandement divin se résume à l’injonction de faire ce que dit Papa. Mais Papa est silencieux et absent. De toute évidence, il n’y a pas de Papa. Nous avons à nous débrouiller seuls. La morale théiste est vide et nulle.
Référence
- Théorie du commandement divin, Wikipédia
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