La diffamation anti-laïque
Michel Seymour ne doit pas se laisser instrumentaliser par l’intégrisme islamiste
David Rand, 2014-06-06
Le projet de loi 60 – la fameuse Charte de la laïcité proposée par le précédent gouvernement péquiste – peut bien être mort mais le débat fait toujours rage. Ce débat se poursuivra sans doute, car rien n’a été résolu. Des idéologues qui s’opposent à toute prohibition des signes religieux, même portés par des fonctionnaires publics durant leurs heures de travail, continuent à diffamer ceux et celles qui se sont déclarés favorables à une telle prohibition, les accusant de « racisme », de « xénophobie » et d’« islamophobie », tandis qu’ils s’arrogent le joli libellé d’« inclusifs ».
Dans un récent texte[1], le professeur Michel Seymour accuse le militant gai André Gagnon d’« hystérie anti-cléricaliste » parce que ce dernier s’inquiète fort de l’homophobie religieuse, en particulier la musulmane et la catholique. Seymour l’accuse aussi d’attiser « la haine, la xénophobie et le racisme » et de tenir un « discours islamophobe » parce qu’il nourrit certaines interrogations au sujet de plusieurs associations et célébrités musulmanes, c’est-à-dire que monsieur Gagnon se demande et nous demande jusqu’à quel point on peut légitimement craindre que ces associations et individus fassent la promotion de l’homophobie, de la misogynie ou de l’intégrisme islamiste. Finalement, Seymour accuse Gagnon de conforter la droite politique.
André Gagnon a déjà très bien répondu à ces accusations infondées dans son texte Michel Seymour et le Petit catéchisme ‘inclusif’[2]. Je voudrais toutefois ajouter mon grain de sel en apportant certaines précisions, sachant que l’origine du débat se trouve dans cette controverse autour des signes religieux portés par des fonctionnaires.
Premièrement, monsieur Seymour, comme beaucoup des anti-Charte, détruit complètement et d’emblée sa propre crédibilité intellectuelle en lançant des accusations qui sont non seulement outrageusement exagérées mais qui d’ailleurs n’ont aucun sens. Considérons le fameux triplet racisme, xénophobie et islamophobie – que notre ami Bernard La Rivière[3] nomme la « sainte trinité » islamiste, tellement les intégristes islamistes aiment s’en servir.
D’abord, l’islam est une religion, non pas une race, alors même une haine virulente antimusulmane ne serait pas raciste. Même si on prête au terme racisme la signification la plus vague et la plus large possible, c’est-à-dire un préjugé contre un groupe quelconque, les promoteurs de la prohibition des signes religieux ne visent aucun groupe religieux, car la prohibition s’appliquerait à toute religion. Les croyants qui portent de tels signes ne sont même pas visés. Pour être bien précis seraient visés les individus qui porteraient un signe religieux ostentatoire et refuseraient de l’enlever au travail dans la fonction publique. Mais il ne s’agit pas d’un préjugé (car ce terme signifie un jugement pris sans s’être d’abord informé), et surtout pas d’un préjugé concernant ces individus, mais plutôt d’un jugement bien raisonnable à propos de la neutralité religieuse des institutions de l’État. C’est-à-dire que cette neutralité serait compromise par l’affichage ostentatoire de symboles religieux, que ce soit par le personnel ou par les institutions. (En passant, si on se donne cette très large définition du mot « racisme », les laïques qui appuient la prohibition constitueraient ainsi un groupe identifiable aussi et Seymour serait alors raciste car il a un très fort préjugé contre ce groupe.)
Deuxièmement, l’accusation de « xénophobie » n’est qu’une variante encore plus exagérée de l’accusation de « racisme ». Ce n’est pas parce que certains signes religieux nous seraient étranges qu’ils nous dérangeraient. Au contraire, c’est la neutralité religieuse de l’État qu’ils dérangent et nous ne les connaissons que trop bien. Il n’y a pas si longtemps les crucifix étaient omniprésents dans les écoles, les hôpitaux, bref, un peu partout au Québec, tandis que maintenant ils le sont beaucoup moins. Nous ne voulons pas revivre la même histoire avec d’autres signes qui véhiculent un obscurantisme tout à fait semblable. D’ailleurs, ce sont les soi-disant « inclusifs » qui font preuve de xénophobie, car ils semblent incapables de comprendre ce moderne et étrange (pour eux) concept qu’est la laïcité.
Troisièmement, l’« islamophobie » est un concept des plus tendancieux, car le terme « phobie » indique une peur irrationnelle. Or, avoir « peur » de l’islam – ou du christianisme ou de tout autre théisme –, c’est-à-dire s’inquiéter de son influence grandissante, n’a rien d’irrationnel. Au contraire, il s’agit de la prudence la plus élémentaire, surtout si on est femme, gai ou athée !
Rappelons que l’islam ainsi que le christianisme et le judaïsme dont il s’inspire sont des idéologies homophobes, misogynes, obscurantistes, athéophobes et hautement dangereuses. Laquelle des trois serait la pire, la plus virulente, demeure une question de débat. Personnellement je les trouve également répréhensibles, toutes les trois. Chacun de ces trois monothéismes accorde une autorité infinie à une espèce de papa-policier-dictateur dans le ciel dont personne ne peut connaître la volonté, avec comme résultat que cette autorité absolue se fait inévitablement arroger par une caste d’idéologues dangereux, généralement des hommes misogynes, homophobes et avides de pouvoir. Le monothéisme est aux religions ce qu’est le totalitarisme aux systèmes de gouvernance.
Ce sont les Hébreux de l’Antiquité qui ont apparemment inventé l’homophobie, ou du moins ils ont été les premiers à la codifier à ce que je sache, et ce, dans le Lévitique, tandis que les chrétiens et les musulmans se sont avérés de très bons élèves en cette matière. L’âge d’or où le monde musulman s’intéressait aux sciences, préservait les savoirs grecs de l’Antiquité que les chrétiens avaient oubliés ou brutalement supprimés, et adoptait une attitude relativement tolérante à l’égard des chrétiens et juifs vivant parmi eux, cette époque est révolue depuis très longtemps et c’est maintenant les pays de tradition chrétienne qui favorisent davantage le savoir et la tolérance. Mais ne croyez pas que les chrétiens d’aujourd’hui sont à admirer non plus : la droite religieuse aux États-unis et au Canada et la brutalité des législations ougandaise et russe ne sont que quelques exemples de la bêtise chrétienne. À l’égard de l’athéisme, ces trois religions manifestent une hostilité virulente, tandis que l’islam pour sa part va jusqu’à criminaliser l’apostasie, c’est-à-dire qu’il criminalise la liberté de conscience.
Quant à la gauche et à la droite politiques, notre idéologue Michel Seymour semble avoir oublié que la laïcité est une programme progressiste, de gauche. Si de nos jours quelques mouvements de droite, particulièrement en Europe, essaient de s’emparer de la laïcité afin de s’en servir à des fins partisanes, cette situation a été rendue possible grâce au honteux virage de plusieurs mouvements de « gauche » qui ont trahi leurs propres traditions laïques en s’alliant avec de très douteux éléments musulmans, comme si le monde politique était strictement binaire, n’ayant que des bons et des méchants, tous les « anti-impérialistes » étant forcément bons.
Nous savons très bien que beaucoup de croyants, probablement la grande majorité, ne sont pas intégristes et ne suivent pas à la lettre les dogmes de leur religion. C’est pour cette raison, parmi d’autres, qu’il est important de distinguer la croyance du croyant ou de la croyante afin de faire valoir la liberté de conscience (tandis que le but du terme « islamophobie » est de les confondre volontairement, afin de nier la liberté de conscience). Toutefois, la simple adhésion à l’une ou l’autre de ces idéologies obscurantistes sert malheureusement à légitimer celle-ci et à conforter les intégristes. C’est pour cela qu’une certaine méfiance est non seulement justifiable mais nécessaire. Chaque fois que nous avons affaire à un individu qui prend une de ces religions au sérieux (et remarquons qu’un individu qui refuse d’enlever un signe religieux au travail dans la fonction publique est quelqu’un qui prend sa religion vraiment au sérieux), nous sommes en droit de poser des questions du genre : « Avez-vous pris vos distances vis-à-vis des dogmes les plus rétrogrades de cette religion ? » Il existe plusieurs tendances du christianisme et du judaïsme qui ont effectivement pris leur distance vis-à-vis la misogynie et l’homophobie que ces religions véhiculent normalement. Mais existe-t-il de telles tendances chez les musulmans ? C’est dans cette optique, par exemple, qu’André Gagnon demande de lui signaler une mosquée où deux hommes ou deux femmes peuvent se marier.
Est-il possible de s’opposer honnêtement à la prohibition du port des signes religieux dans la fonction publique ? Bien sûr que oui. Il suffit (1) d’expliquer pourquoi on voudrait accorder aux fonctionnaires croyants le privilège de faire la promotion de leur religion durant leurs heures de travail et (2) de s’abstenir de lancer des accusations gratuites et ridicules contre ceux et celles qui ne sont pas d’accord. Seymour n’essaie même pas d’aborder la première tâche et il refuse carrément la seconde. Je ne sais pas pourquoi il choisit ces accusations particulières de « racisme », de « xénophobie » et d’« islamophobie », mais je note en passant que ces épithètes sont très fréquemment utilisés dans la propagande islamiste anti-laïque. Je ne sais pas non plus en vertu de quoi Seymour ose se qualifier d’« inclusif » quand son discours condamne ceux et celles – y compris des immigrants qui ont fui des théocraties – qui préfèrent la laïcité.
À mon avis, les accusations que formule Michel Seymour contre André Gagnon sont diffamatoires et constituent une forme de propagande haineuse dirigée contre tous ceux et toutes celles qui désirent un État laïque affranchi d’influence religieuse.
Références
- « Les LGBT ne doivent pas se laisser instrumentaliser par la droite », Michel Seymour, Huffington Post, 2014-05-30.
- « Michel Seymour et le Petit catéchisme ‘inclusif’ », André Gagnon, Huffington Post, 2014-06-04.
- Enfin la laïcité, Bernard La Rivière, XYZ Éditeur, 2014.