Congrès de l’AILP à Londres
David Rand, 2014-09-05
Après sa réunion inaugurale en Norvège en 2011 et des congrès en Argentine en 2012 et au Chili en 2013, le IVe congrès de l’Association Internationale de Libre Pensée (AILP) a eu lieu à Londres, le 11 août 2014. David Rand, président de LPA et porte-parole de l’AILP, a assisté et nous livre ses impressions.
Le IVe congrès de l’AILP n’a duré qu’une seule journée, mais une journée bien remplie de nombreuses conférences de très bonne qualité faites par des intervenants provenant d’une grande variété de pays : l’Argentine, le Chili, l’Uruguay, les États-Unis, la France, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, la Pologne, la Roumanie, le Nigéria, le Congo et l’Inde, sans compter plusieurs autres pays représentés par des délégués non-conférenciers (comme moi-même) ainsi que par des participants dans la salle.
La première conférence de la journée, celle de Keith Porteous Wood, directeur exécutif de la National Secular Society britannique, a abordé un thème principal du congrès : les crimes commis par le clergé et la hiérarchie catholiques, c’est-à-dire le viol d’enfants et la violence sexuelle, physique et psychologique envers les enfants. Il a expliqué que son association s’intéresse particulièrement aux cas d’abus commis au sein de l’Église catholique tout simplement parce que, depuis plusieurs décennies, le nombre et l’importance des cas découverts dans cette Église dépassent de loin ceux dans toutes les autres religions confondues.
Wood considère que le peu qu’a fait jusqu’à maintenant le nouveau pape François Ier pour faire face à ce bilan scandaleux n’est qu’un exercice de relations publiques sans portée réelle. Il fait deux recommandations à mettre en vigueur dans chaque pays : (1) encourager les groupes de survivants d’abus à déposer des plaintes formelles auprès du Comité des droits de l’enfant de l’ONU; et (2) faire adopter une loi qui criminalise l’inaction face à des soupçons raisonnables d’abus d’enfants, forçant ainsi la dénonciation de ces cas aux autorités civiles.
Nina Sankari de la Coalition Athée polonaise a relaté comment la transition soi-disant « démocratique » dans son pays a été accompagnée de l’appropriation systématique du pouvoir par l’Église catholique, au point où la domination de la société par cette Église et par ses alliés constitue actuellement un danger mortel pour la démocratie. Toutefois, dans ce pays considéré hyper-catholique, on voit se manifester depuis quelques années un réveil laïque et une résistance contre les abus sexuels, financiers et autres de l’Église. Elle a terminé son discours avec une invitation à participer aux 2es Journées athées qu’organise la Coalition en mars 2015. Plus tard dans la journée, le conférencier Costi Ozon nous a raconté une usurpation de pouvoir semblable, cette fois par l’Église Orthodoxe en Roumanie.
Francisco Delgado, président de l’association espagnole Europa Laica – qui gère l’important site web Observatorio de la Laicidad –, a apporté aux congressistes le salut fraternel et un bilan de la situation de la laïcité en Espagne. L’Église catholique y détient toujours d’énormes privilèges politiques, symboliques, juridiques, fiscaux et en matière d’éducation et des services sociaux, et ce, grâce, entre autres, à l’héritage des concordats isabelin (1851) et de Franco (1953) et, plus récemment, des accords avec le Vatican en 1979.
Fernando Lozada, organisateur principal du IIe congrès AILP à Mar del Plata, Argentine, en 2012 et président du Congreso Nacional de Ateismo en Argentina, a fait le bilan pour son pays qui, lui aussi, subit toujours une forte ingérence catholique dans les affaires publiques. En effet, la « papemanie » qui a suivi la récente nomination de l’argentin Bergoglio à la papauté s’est révélée une vraie « malédiction » car elle a marqué le début d’une nouvelle charge du cléricalisme qui a frappé non seulement l’Argentine mais l’Amérique latine en général.
Le délégué du Cercle de Libre Pensée (CLP-VDK) belge, une association qui vient tout juste de se joindre à l’AILP, nous a expliqué la situation bien particulière qui règne dans son pays. Les divers cultes dits « reconnus » par les pouvoirs publics sont financés par l’État. Depuis 1993, des organisations dites « laïques » reçoivent, elles aussi, un financement sur fonds publics au même titre que les religions. En acceptant cet arrangement les laïques ont malheureusement crédibilisé et donné une force accrue au principe même du financement par l’État des cultes. Le CLP-VDK a été fondé justement dans le but de se démarquer de cette pseudo-laïcité et pour prôner une véritable séparation entre les religions et l’État, afin que les fonds publics ne soient versés qu’aux écoles publiques non confessionnelles.
Deux conférenciers africains ont décrit des situations extrêmement inquiétantes, mais leur participation au congrès était un signe très prometteur. Leo Igwe du Nigéria, connu pour son opposition aux accusations de sorcellerie portées contre des enfants, a souligné l’importance de promouvoir la séparation entre mosquée et État, non seulement entre église et État. Il a remarqué que la séparation entre religions et État est inscrite dans la constitution de plusieurs pays africains, mais que la laïcité y est considérée comme un idéal utopique et n’est nullement respectée. Gauthier Ngumbu de la République Démocratique du Congo a fait des observations tristement semblables, constatant que les religions représentent les plus grandes forces d’intolérance qui opposent les hommes et insistant sur la nécessité de la laïcité comme socle de la démocratie.
David Silverman, président d’American Atheists, nous a entretenus de la situation contradictoire aux États-Unis où la constitution impose une forme de laïcité mais où 51% de la population en ont une opinion défavorable. La stratégie de son association pour bâtir des coalitions serait de jouer volontairement les « méchants » athées, se donnant une image plutôt radicale, afin de rendre la tâche plus facile aux autres associations athées, humanistes, laïques, etc. ayant des buts très semblables en faisant paraître celles-ci plus modérées et plus « gentilles ». Afin de lutter contre la manie des chrétiens fondamentalistes à vouloir faire installer un peu partout dans l’espace public des stèles affichant le décalogue tiré de l’Ancien Testament, son association insiste sur l’égalité légale entre croyants et incroyants afin de faire installer des stèles portant des messages athées à côté des stèles chrétiennes. Briser ainsi l’exclusivité de l’affichage rend l’exploit beaucoup moins attrayant pour ces fondamentalistes car ceux-ci détestent la pluralité d’opinions.
Dans son discours, Silverman a mentionné que l’islam n’est pas encore une menace dans son pays car c’est toujours le christianisme qui essaie de s’imposer comme pensée unique. Tout le sens de sa constatation se trouvait dans ces deux petits mots « pas encore ». En effet, il aurait été souhaitable que le congrès se penche davantage sur l’épineuse question de l’islamofascisme et comment y faire face. Si l’islamisme, cette tendance religieuse intégriste et fortement politisée, ne touche pas encore bon nombre des pays représentés au congrès, il fait toutefois des ravages en Afrique, particulièrement au Nigéria, et il a quand-même une influence plus qu’inquiétante au Royaume-Uni, en France, en Belgique et, plus récemment, au Canada.
Par contre, la menace que représente toujours le christianisme – de par ses diverses saveurs telles que la catholique, l’orthodoxe, l’évangéliste ou autre – a été amplement démontrée dans les conférences. Les pays ex-staliniens d’Europe de l’est et les pays africains y sont particulièrement exposés.
Pendant ce temps, en Inde, c’est le bordel de la superstition où l’hindouisme ne représente que la pointe de l’iceberg, selon le conférencier Babu Gogineni. La laïcité y serait hautement menacée même si le préambule de la constitution de 1948 déclare le « secularism » un principe fondateur du pays. Gogineni n’hésite pas à parler de « mariage » entre d’un côté l’État et, de l’autre, l’église, le temple, la mosquée et la superstition. L’astrologie y est acceptée car elle serait une « science ancienne », tandis qu’une autre vieille pseudoscience apparentée au feng-shui chinois y jouit d’un statut privilégié semblable.
Les conférences se donnaient en français, en espagnol et en anglais, avec une importance à peu près égale accordée à chacune des ces trois langues officielles de l’AILP. Un service de traduction simultanée était fourni.
Ce résumé du congrès est très sommaire, ne mentionnant qu’un échantillon des interventions. La transcription de l’ensemble des conférences de la journée sera bientôt disponible sur le site web de l’AILP, et ce, dans les trois langues officielles de l’association dans la mesure où nos ressources le permettent.
Le Conseil international de l’AILP s’est réuni au milieu de la journée du congrès. Il a été décidé, entre autres, que le prochain congrès, le cinquième, se tiendra le 20 septembre 2015 à Montevideo en Uruguay. La date choisie est la Journée internationale de la Libre Pensée qui correspond à l’anniversaire de la fin des états pontificaux en Italie.
Liens
- Association Internationale de Libre Pensée (AILP)
- National Secular Society (NSS), Royaume-Uni
- Coalition Athée, Pologne
- Europa Laica, Observatorio de la Laicidad, Espagne
- American Atheists, États-Unis
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