Blogue 042 : Propagande anti-Charte

Quelques éléments de la propagande anti-Charte

David Rand, 2014-03-12

Dans le discours, ou plutôt la propagande, de ceux et celles qui s’opposent à la nouvelle Charte québécoise de laïcité, proposée par le projet de loi 60, certains éléments reviennent souvent. En voici quelques-uns.

[…] permettre aux employés de l’État d’afficher de façon ostentatoire leurs opinions religieuses au travail, c’est accorder à la liberté de religion une priorité plus haute que la liberté d’expression politique […]
  1. Les anti-Charte élèvent la liberté de religion à un statut prioritaire, plus importante que les autres libertés. Souvent ils nient le faire, mais il est pourtant évident que permettre aux employés de l’État d’afficher de façon ostentatoire leurs opinions religieuses au travail, c’est accorder à la liberté de religion une priorité plus haute que la liberté d’expression politique (qui est restreinte dans ce contexte) et plus haute que la liberté de conscience de tous — et collègues de travail et usagers des services publics — car le respect de cette liberté de conscience nécessite un milieu sans partisanerie politico-religieuse.
  2. Les anti-Charte prétendent protéger la liberté de religion, mais au fait ils prônent le privilège religieux. En s’opposant à l’interdiction du port des signes religieux, ils accordent aux croyants le privilège de pratiquer leur religion au travail dans la fonction publique. Ce n’est pas de la « tolérance » comme ils le prétendent, c’est plutôt de l’indulgence.
  3. Les anti-Charte mélangent délibérément race et religion. Nous voyons déjà cette problématique dans l’utilisation du mot « juif » : en effet, ce terme a deux sens principaux qui doivent être distingués l’un de l’autre, l’ethnie et la religion. Pour être plus clair, il faudrait utiliser le terme « judaïsme » plutôt que « religion juive », d’autant plus qu’un très grand nombre de Juifs ne pratiquent plus le judaïsme et beaucoup sont même athées. Mais ils n’en demeurent pas moins Juifs au sens ethnique. Ce malencontreux mélange de sens a l’effet qu’il devient difficile de critiquer le judaïsme sans se faire accuser d’antisémitisme. Plusieurs musulmans, surtout les intégristes, cherchent à semer la même confusion entre des termes religieux comme « musulman » ou « islam » d’un côté et des identités ethniques comme « arabe » de l’autre, afin de pouvoir lancer plus facilement de fausses accusations de racisme contre la critique de leur religion et contre la Charte. C’est pour cela qu’ils emploient si souvent le mot « islamophobie » comme si la critique de l’islam était une forme de racisme. Il ne faut pas les laisser faire !
  4. Les anti-Charte insistent sur le caractère personnel, intime, voire sacré du port d’un symbole de sa croyance et de son appartenance religieuses. Cette approche implique la négation de la liberté de conscience, car l’identité religieuse devient alors une partie intrinsèque et immuable de la personne. Celle-ci devient alors prisonnière de son héritage religieux.
  5. Cette insistance sur le caractère intrinsèque de la croyance élève l’identité religieuse bien au-dessus de toute autre identité. Pourquoi mon identité en tant qu’athée, par exemple, serait-elle moins importante pour moi que la religion pour un croyant ou une croyante ? Les anti-charte accepteraient-ils que les athées affichent de façon ostentatoire leur non-croyance au travail dans la fonction publique ?
  6. Les anti-Charte insistent sur le caractère personnel de l’anxiété que peut causer le port de signes religieux par les autres. Personnaliser un débat, c’est une façon efficace — et souvent malhonnête — d’éviter le débat. Donc, pour parer aux arguments des pro-Charte, les anti-Charte les accusent d’une sorte de problème personnel, dont la solution doit être personnelle aussi : ils disent, en somme « Si ces vêtements religieux vous dérangent tant, c’est votre problème, c’est votre attitude qu’il faudrait changer et non les vêtements. » Mais en fait, la présence de quelques signes religieux peut ne pas me déranger beaucoup, quoique cela devienne forcément plus dérangeant plus ces signes sont nombreux. C’est pour des raisons politiques plutôt que personnelles que je m’oppose au port des ces signes. D’ailleurs, aussi paradoxal que cela puisse paraître, en tant qu’athée je suis peut-être moins sensible à ces signes étant donné que personnellement j’ai pris mes distances vis-à-vis de toute appartenance religieuse, et ce depuis longtemps. Mais cela peut déranger énormément, et pour des raisons très légitimes, une personne qui essaie de s’en extirper d’une manière ou d’une autre, ou un individu qui se sent visé personnellement par la religion que représente ce vêtement, par exemple par la misogynie ou l’homophobie de cette religion.
  7. Les anti-Charte feignent de ne pas comprendre le concept de prosélytisme non-verbal, sèment la confusion à ce sujet et se moquent des pro-Charte pour la confusion qu’ils ont eux-même créée. Au fait, personne ne prétend que le but ou l’effet d’un signe religieux serait de convertir littéralement les autres à la religion du porteur du signe ! C’est bien plus subtil — et plus insidieux — que cela. Le signe religieux est un message qui dit, au fond, ma religion est tellement importante pour moi, que je ne peux pas ne pas exprimer mon adhésion en tout temps. C’est aussi un message qui dit aux coreligionnaires qui n’en portent pas, « Je suis meilleur(e) croyant(e) que vous » et qui dit aux incroyants, « Je suis meilleur(e) que vous. »
  8. Les anti-Charte ne reconnaissent jamais la pertinence d’un aspect préventif de la Charte. Ils insistent sur un aspect « urgence » afin de prétendre que la Charte serait inutile et draconienne car, selon eux, il n’y a pas d’urgence. On leur répond ceci : « Le projet de loi n° 60 a pour objet l’avenir à long terme et non pas la réparation d’un quelconque mal immédiat. » (Henri Brun, Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l’État, 7 février 2014.) D’ailleurs, la Charte n’a rien de draconien : par exemple, la prohibition des signes religieux dans la fonction publique n’est qu’un aspect de cette Charte et constitue une contrainte raisonnable et modérée qui aide à protéger la liberté de conscience de tous.
  9. Les anti-Charte abusent du concept « diversité » de façon écervelée, comme si toute diversité était forcément bonne et de valeur égale. Il faut leur poser la question : est-ce que l’introduction dans une société d’une nouvelle religion, une religion plutôt inconnue auparavant dans ce milieu, en particulier un nouveau monothéisme, est-ce toujours une bonne chose, une richesse ? Il faut aussi leur rappeler que la diversité religieuse est bien différente de la diversité dans d’autres domaines (par exemple, la diversité sexuelle ou ethnique) car justement la religion n’est pas une qualité intrinsèque de l’individu.
  10. Les anti-Charte instrumentalisent l’antipathie pour les souverainistes afin d’attiser l’hostilité vis-à-vis de la Charte. Mais ces deux questions — la question québécoise et la laïcité — sont tout à fait indépendante l’une de l’autre et doivent être séparées, comme l’État doit être séparé des religions, comme les ethnies doivent être distinguées des religions. Chez LPA, nous ne prenons évidemment pas position sur la première question, seulement la deuxième.

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