David Rand
2017-11-16 (lien ajouté 2017-11-27)
Dans une déclaration récente devant un congrès scientifique à Ottawa, la gouverneure générale du Canada, Mme Julie Payette, a exprimé son opposition aux pseudosciences comme l’astrologie, ainsi qu’aux fausses croyances. Elle s’est moquée non seulement des gens qui remettent toujours en doute le rôle des humains dans le réchauffement de la planète, mais aussi des gens qui persistent à voir une intervention divine dans les origines de la vie, refusant d’accepter une explication naturelle.
Avec cette déclaration, Mme Payette se trouve dans une sorte de conflit d’intérêts, car elle est la représentante officielle de la reine Élisabeth II, cheffe d’État du Canada (et du Royaume Uni bien sûr) « par la grâce de Dieu » s’il vous plaît ! Son rôle est intimement lié au théisme qui sous-tend la monarchie. Mais pour moi, athée, anti-théiste et anti-monarchiste que je suis, cette contradiction ne fait que rendre son geste inattendu encore plus réjouissant !
Il est tout de même agréable lorsque une personnalité publique importante se permet de casser les tabous du conformisme bienséant pour dire enfin tout haut ce que nous sommes nombreux à savoir depuis longtemps : que les religions n’apportent strictement rien à nos connaissances du monde dans lequel nous vivons et que, lorsqu’elles rentrent en conflit avec la science, seule cette dernière peut être valable. Mais ce n’est pas tout le monde qui serait d’accord avec nous, et la grogne n’a pas tardé à se manifester.
Le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, n’est pas content car, selon lui, Mme Payette a dénigré les croyants en un créateur (Brad Wall critique le discours sur « l’intervention divine » de Julie Payette).
Le chef de l’opposition officielle fédérale et du parti Conservateur, Andrew Scheer a critiqué le premier ministre Trudeau d’avoir soutenu la gouverneure générale. Faisant appel à la sacro-sainte « diversité », Scheer considère que cela constitue un manque de respect pour des millions de Canadiens, y compris « les peuples autochtones, les musulmans, les juifs, les sikhs, les chrétiens et d’autres groupes religieux qui croient à la vérité de leur religion ». Ainsi Scheer révèle, sans surprise, l’orientation fortement pro-religieuse de son parti. Évidemment, lorsque les Conservateurs se sont opposés au port du niqab dans les cérémonies de citoyenneté, ce n’était pas pour un quelconque souci pour la laïcité mais à cause d’un parti pris chrétien qui les oppose aux autres religions. (Cette constatation ne change en rien le fait que les Liberaux et Néo-démocrates ont été pires, adoptant une position à la droite des Conservateurs, en appuyant la fanatique islamiste Zunera Ishaq.)
Au Québec, la théologienne Solange Lefebvre est encore plus sévère. Dans un texte paru dans La Presse du 9 novembre 2017 (Neutralité religieuse et incroyance), elle évoque même la neutralité religieuse pour sermonner Mme Payette, l’accusant d’avoir outrepassé « les limites de son rôle impartial de gouverneure générale » ainsi que « les limites de ses compétences scientifiques ». La théologienne poursuit :
Divers commentaires estiment qu’elle s’en est prise au créationnisme, mais ce n’est pas le cas. Le créationnisme au sens strict est une croyance littéraliste dans le texte biblique selon lequel notre univers aurait été créé en six jours. Mme Payette attaque plus généralement la philosophie théiste et la plupart des conceptions croyantes mondiales en une création ou une origine divine de la vie (la foi dans la création ne signifiant aucunement la négation de la théorie de l’évolution et de la complexité du développement de la vie). Elle attaque les croyances d’une majorité de Canadiens,…
Or, il est vrai que le terme « créationnisme » s’emploie couramment au sens retreint, n’indiquant que les croyants qui nient l’évolution et s’imaginent une terre très jeune — quelques milliers d’années — créée très récemment par leur dieu. Mais cet usage est une mauvaise habitude imposée, soyons francs, par intérêt, par des gens comme Lefebvre qui veulent dédouaner toutes les autres croyances religieuses. C’est une erreur délibérée que nous devrions corriger : en effet, si vous croyez que c’est « Dieu » qui aurait créé le monde, alors vous êtes évidemment créationniste, car vous croyez à l’existence d’un dieu-créateur. Peu importe l’âge que vous donnez à l’univers — des milliers, des millions ou des milliards d’années — vous croyez tout de même à la création divine.
De plus, Mme Lefebvre a tout à fait tort de prétendre que « la foi dans la création ne signifi[e] aucunement la négation de la théorie de l’évolution » puisque cette foi implique l’intervention divine à un ou à des moments, tandis que l’évolution est un processus purement naturel. Même le déiste qui accepte que l’univers s’est développé sans aucune intervention divine depuis la création croit tout de même à une création au tout début. La position de l’Église catholique est encore plus problématique car elle postule l’insertion divine d’une « âme » dans chaque être humain depuis le début de notre espèce. Même si nous faisons abstraction du problème insurmontable de déterminer le moment précis où le « premier » humain était né, il s’agit, d’après cette hypothèse catholique, d’une intervention divine majeure dans la vie de tout individu humain. Madame renchérit :
[…] la neutralité doit aussi être attendue des athées et des incroyants. Trop souvent, l’incroyance se confond avec une approche rationnelle supposément objective des choses, qui évacue tout le domaine symbolique et spirituel de la vie.
De toute évidence, d’après Mme Lefebvre, la neutralité religieuse ne s’appliquerait qu’aux athées, tandis que les religieux, eux, peuvent continuer à imposer leurs croyances et pratiques un peu partout.
Notre chère théologienne voudrait que les athées demeurent tout à fait silencieux, ne critiquant jamais ouvertement les croyances religieuses farfelues. Au fait, c’est exactement ce que font la plupart des athées : ils sont réduits au silence par l’intimidation de porte-parole religieux comme Mme Lefebvre. Cette situation doit changer, et effectivement des changements commencent à se manifester ; les athées osent parfois, et de plus en plus, s’exprimer ouvertement et cela est une excellente chose. Les religions ont joui trop longtemps du privilège d’être les bénéficiaires d’une déférence qu’elles ne méritent surtout pas. Nous, les athées, devons critiquer davantage les croyances ridicules et néfastes qui empoisonnent nos sociétés.
La théologienne Solange Lefebvre est une réactionnaire athéophobe qui ne tolère l’existence des athées comme nous qu’à la condition que nous soyons complètement invisibles. Elle termine sa diatribe par la prétention que « La bourde de la gouverneure générale rappelle à ce titre que […] une solide culture religieuse manque chez beaucoup de gens ». Madame prêche pour sa paroisse, en particulier le programme Éthique et culture religieuse dont un des nombreux défauts est l’absence quasi-complète de tout traitement de l’incroyance.
La liberté de conscience comprend à la fois les libertés de croyance et d’incroyance, c’est-à-dire la liberté de religion et la liberté de s’affranchir de la religion. Comme les croyants ont le droit de pratiquer leur religion, nous, les athées, avons le droit d’exprimer notre athéisme en critiquant les croyances que nous rejetons. C’est ça, la diversité religieuse. Nous réduire au silence, comme voudrait Solange Lefebvre, est une atteinte à notre liberté de conscience.
Lecture suggérée :
- Science et religion : Bravo à Julie Payette pour ses propos éclairés, Daniel Baril, 2017-11-14
Très bon texte qui résume encore une fois le mépris qu’ont les religieux envers les athées.
Cette histoire nous montre très bien la situation des athées qui se font exclure de la société comme si nous étions des pestiférés.
Jean-Paul Lahaie
Ce qui manque dans nos sociétés, c’est un lobbying beaucoup plus structuré de la part des athées.