David Rand
2016-10-05, mise à jour 2016-10-06
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2016-09-30, Djemila au Palais de Justice
Ce texte est un compte-rendu du procès de Djemila Benhabib, poursuivie pour diffamation par Les Écoles musulmanes de Montréal (EMM), tenu devant la juge Carole Hallée au Palais de Justice de Montréal du 26 au 30 septembre 2016. J’ai assisté à la presque totalité des séances, ne manquant que quelques minutes en début de journée mardi et vendredi.
Je ne suis pas juriste. De plus, je n’avais pas accès à la documentation dont se servaient la juge et les deux parties en litige. J’avais parfois de la difficulté à entendre, surtout des informations précises comme des noms de témoins ou des titres de jurisprudence. Si vous avez assisté au procès et que vous décelez une ou des erreurs de fait dans ce compte-rendu, merci de communiquer avec nous pour que nous puissions faire les corrections qui s’imposent, s’il y a lieu.
Je vous suggère aussi la lecture des excellents blogues de Louise Mailloux résumant les jour 1, jour 2 et jour 3 du procès.
Lundi et Mardi : Ouverture et témoins des EEM
La première séance du procès, prévue pour 9h00 lundi matin, le 26 septembre, a débuté un peu en retard à cause d’un changement de salle et un problème d’équipement audiovisuel. La séance ayant enfin commencé, la cour a entendu d’abord l’enregistrement des deux entrevues faites par Mme Benhabib (les 8 et 27 février 2012) et ensuite le témoignage de l’animateur de l’émission Benoît Dutrizac. Ensuite, c’était l’ensemble des témoins de la partie plaignante, soit les Écoles Musulmanes de Montréal (EMM). Ils ont beaucoup joué les victimes, mais étaient loin d’être convaincants. Les propos de Mme Benhabib durant ces entrevues auraient causé le choc, l’incompréhension, la colère, l’inquiétude, la peur d’attaques haineuses, etc.
Les EMM ont été cible de vandalisme à la suite des propos de Djemila… mais en février 2015, soit trois ans après… et quelques semaines après le massacre Charlie Hebdo. Mardi après-midi, l’avocat de Djemila, Marc-André Nadon, a essayé de faire admettre par Ahmed Khebir, président du Conseil d’administration des EMM, que cet acte de vandalisme était presque certainement lié aux événements de Paris, plutôt qu’aux propos de Djemila, mais Khebir n’a pas voulu. Ce dernier prétendait que les inscriptions aux EMM avait baissé après les entrevues de Djemila, mais les chiffres ne confirmaient pas sa prétention.
Mardi, Asma Lamecque, une jeune femme hidjabée de 21 ans et ancienne élève au secondaire chez EMM, a témoigné. Me Nadon lui a montré plusieurs saisies d’écran de Facebook et du site web de soutien à Djemila Benhabib, dont une où quelqu’un portant le nom du témoin a écrit un message à Djemila disant à peu près, « Le GIA aurait dû t’éliminer avant que tu quittes l’Algérie, connasse !! » Selon la gentille demoiselle, elle n’était pas l’auteure de ce message, son compte étant piraté ou hacké ou … La pauvre semble être une victime fréquente de vol d’identité, tant elle niait que tel compte fût le sien.
Le procès va durer un peu moins longtemps que prévu, car un témoin de EMM, la sociologue Stéphanie Tremblay, a été éliminée par la juge, tel que demandé par Nadon, puisque son témoignage ne serait pas pertinent. Une petite victoire pour Djemila.
Mercredi : Témoignage de Djemila Benhabib
Troisième journée du procès. En avant-midi, témoignage de Djemila elle-même, répondant aux questions posées par son propre avocat Marc-André Nadon. Témoignage passionnant, concentré sur son parcours de lanceuse d’alerte concernant la menace de l’islam politique.
Sa famille, sa culture musulmane, son grand-père imam, son père physicien et sa mère mathématicienne, engagés, de gauche, son enfance en Algérie, leur départ de ce pays en 1994 nécessité par la menace des islamistes comme le GIA (Groupe islamique armée) qui imposait le voile à toute femme algérienne, y compris les gamines, sous peine d’assassinat, et le FIDA (Front islamique du djihad armé) qui liquidait les intellectuels, son arrivée au Québec en 1997, ses études, ses travaux, ses livres et conférences, etc. Heureuse de vivre dans un pays plus libre, plus laïque, plus démocratique que l’Algérie, elle constate tout de même les tabous qui y sévissent : la dénigration des militants laïques et des militantes féministes, l’interdiction dans les faits de critiquer les dogmes, surtout ceux de l’islam.
La thématique principale de ses livres, blogues, conférences et articles : l’islam politique. Elle reçoit de nombreux prix, des distinctions littéraires ainsi que des récompenses pour son courageux engagement politique à la faveur de la liberté d’expression et de la laïcité.
Djemila raconte son investigation à propos de Écoles musulmanes de Montréal (EMM) : une correspondante s’inquiète du contenu d’un dépliant distribué par les EMM et du nombre croissant de femmes voilées dans son quartier de la ville. Djemila visite alors le site web des EMM et y trouve des photos de jeunes filles voilées ainsi que le texte intégral de deux sourates, les numéros 56 et 57, que des élèves doivent mémoriser. Ces sourates parlent de vierges et de houris à déflorer, offertes comme récompenses aux bons fidèles pour leur bon plaisir. Pour Djemila, ces sourates sont sexistes, misogynes et constituent une atteinte ostentatoire à la dignité humaine et à la dignité des femmes. Imposer aux enfants un tel texte, où il s’agit de virginité et de défloraison, elle trouve cela inacceptable.
Alors, Djemila rédige un blogue à ce sujet, publié sur le site du Journal de Montréal, et conséquemment elle est invitée à parler du sujet à l’émission de Benoît Dutrizac. Les deux sourates ainsi que l’imposition du voile sentent la rigidité, le dogmatisme et la mentalité d’obéissance, comme dans un milieu militaire. Il y a d’autres sourates du coran bien plus appropriées pour les enfants, avec un message beaucoup plus universel. D’ailleurs, le voile n’est même pas imposé dans les écoles de l’Algérie qu’elle a connue, ni ailleurs dans le monde musulman — sauf au Pakistan et en Afghanistan. D’où ses propos faisant le parallèle entre les EMM et l’endoctrinement dans un camp militaire d’un de ces deux pays. Pour Djemila, les EMM forment des militants intégristes, de futurs demandeurs d’accommodement religieux. Elle ne s’en prend pas au personnel, ni aux étudiants des EMM, mais elle critique sévèrement de modèle sociétal que les EMM véhiculent.
La fameuse expression « catastrophe ambulante » que Djemila a employée lors de l’emission est une référence à la mentalité que les EMM prépare chez ses élèves, qui, une fois adultes, vont sûrement être parmi les premiers et les premières à demander — et exiger — des accommodements religieux, des dérogations aux lois et règlements qui devraient s’appliquer de façon égale à tous et à toutes, mais pour lesquels les intégristes demandent systèmatiquement des exceptions privilégiées.
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2016-09-30, fin du procès, Djemila et amis devant le Palais de Justice
Suivant l’entrevue de 8 février 2012, Djemila reçoit beaucoup de courriels haineux, des menaces. Benoît Dutrizac aussi. On décide de faire un suivi, une deuxième entrevue le 27 février. Il s’ensuit des reportages dans les journaux ainsi qu’une résolution adoptée par l’Assemblée Nationale du Québec, proposée par le Parti Québécois et par Québec Solidaire, dénonçant l’intimidation motivée par l’intégrisme religieux.
En après-midi : contre-interrogatoire de Djemila Benhabib par la partie adverse, représentée par l’avocat Julius Grey. Les questions de Me Grey étaient souvent vagues, parfois reformulées plusieurs fois pendant qu’il les posaient, parfois des déclarations plutôt que des questions. La juge intervenait périodiquement pour demander des clarifications.
Par rapport aux sourates du coran que Mme Benhabib trouvait inacceptables comme matière pédagogique pour les enfants, Me Grey lui a demandé si elle connaissait les versets de l’Ancien et du Nouveau Testament qui contiennent des propos semblables. Me Nadon a tout de suite objecté, rejetant catégoriquement l’argument qu’il appelle « du relativisme religieux ». Mme Benhabib n’est pas théologue, dit-il, et n’a pas à commenter toutes les religions. Me Grey proteste qu’elle avait elle-même mentionné les autres religions monothéistes dans son témoignage. Alors, Mme Benhabib répond qu’elle s’oppose au financement public de toute école religieuse, peu importe la religion.
Mme Benhabib avait parlé des accommodements religieux. Me Grey lui pose une question à ce sujet, mais lui les appelle toujours « accommodements raisonnables ». Si les EMM forment des « catastrophes ambulantes » qui, une fois adultes, vont demander des accommodements comme elle le prétend, étant donné que la Cour Suprême du Canada a déjà stipulé que de tels accommodements doivent être accordés, alors les EMM ne forment-elles pas des gens qui vont tout simplement demander des mesures auxquelles ils ont déjà le droit ? N’est-ce pas vous Mme Benhabib qui êtes « désincarnée » et pas les EEM ? Me Nadon objecte que Me Grey fait de l’argumentaire au lieu de contre-interrogatoire.
Quelques autres questions posées par Me Grey et les réponses de Mme Benhabib :
- Question : Avez-vous visité un camp militaire au Pakistan ou en Afghanistan ?
Réponse : Camp militaire, oui, mais pas dans ces pays. - Question : Les menaces que vous avez reçues après le première entrevue radiophonique, s’agit-il vraiment de menaces, ou plutôt de protestations du genre, « Nos enfants ne sont pas des terroristes ? » Pourquoi vous n’avez pas répondu à cela dans la 2e entrevue ?
Réponse : [pas notée] - Question : (Mme Benhabib ayant déclaré que, voiler une jeune fille, c’est entériner la misogynie de l’islamisme,) Pourtant plusieurs anciennes élèves des EMM ont fait des études supérieures et ont des carrières impressionantes.
Réponse : Ce n’est pas antinomique… - Question : Avez-vous rejoint l’école pour poser des questions après avoir trouvé les sourates sur leur site web ?
Réponse : Non. - Question : Avez-vous lu le Code de vie des EMM ?
Réponse : Non. - Question : Lisez maintenant. [Me Grey produit ce « Code de vie » — je crois qu’il s’agit de ce document — et en lit quelques extraits, en particulier une règle interdisant les propos ou documents haineux, violents ou discriminatoires.]
Réponse : C’est très beau, mais contredit par les sourates. Les EMM se contredisent. - Question : N’est-ce pas vrai que vous avez décidé que les EMM forment des intégristes et ce, seulement sur la base de deux sourates et deux photos trouvées sur le site et dans le dépliant ? N’avez-vous pas tiré des conclusions dévastatrices sur la base de peu de données, tout en ignorant des données qui indiquent un attachement à la modernité ?
Réponse : Voiler les jeunes filles, c’est grave, cela veut dire beaucoup. Je remarque que le Maroc vient d’interdire la mémorisation de certaines sourates.
Me Grey a aussi soulevé la condamnation de Mme Benhabib, par le Conseil de presse, pour plagiat. [Je remarque que c’est vrai, mais il s’agit d’un plagiat très mineur, et que le Conseil de presse nuit, à mon avis, à sa propre crédibilité en ce faisant.]
Me Nadon objecte : Allez-vous aussi produire des contraventions de stationnement ?
Me Grey maintient que c’est pertinent à la question de la vérification des sources.
Jeudi : Argumentations des deux parties
29 septembre 2016, quatrième journée du procès. En avant-midi, argumentation de Julius Grey, avocat des EMM, et en après-midi, celle de Marc-André Nadon, avocat de Mme Benhabib.
Me Grey maintient, avec références à la jurisprudence, que des articles de journaux ou de sites web ne sont pas admissibles en tant que preuves de leurs contenus, car ce serait du double ouï-dire. Me Nadon répond en après-midi qu’il présente ce genre d’articles, non pas pour leur contenu, mais pour leur pertinence à la crédibilité — ou plutôt l’absence de crédibilité — de plusieurs témoins des EMM.
Quant aux propos de Mme Benhabib lors des entrevues radiophoniques en février 2015, selon Me Grey elle s’est exprimée en mode « faits » et non pas en mode « opinions » car sans nuances, sans qualifier ses propos par des phrases comme « je crains » ou « à mon avis ». Selon Me Grey, ces propos ont pour but de détruire la réputation des EMM ; « elle pousse tous les boutons », dit-il, afin de discréditer l’école. Elle ne s’est pas limitée à critiquer les deux sourates trouvées sur le site web et le voilement des filles dans une photo du dépliant; au contraire elle a associé les EMM à l’intégrisme, au djihadisme, à la ségrégation sexuelle, aux terroristes, aux obsédés sexuels, aux crimes d’honneur, etc. Dans la deuxième entrevue radiophonique et dans son témoignage, elle se montre sans remords et ne profite pas de ces occasions pour nuancer ses allégations.
Mais Me Nadon répond que si, Mme Benhabib nuance effectivement ses assertions avec des phrases (tirées de la transcription) comme « Je veux dire », « Je ne pense pas… », « Je me demande… », etc. Elle exprime ses opinions et ne fait pas que des allégations de faits comme le prétend Me Grey. En particulier, elle n’emploie jamais le mot « terroriste ».
Encore selon Me Grey, il y a « effectivement diffamation et injures » faites et répétées intentionnellement, visant un groupe qui est déjà la cible de préjugés dans la société actuelle. Il prétend établir un parallèle entre les propos de Mme Benhabib contre les Musulmans et l’antisémitisme. Il cite, à ce sujet, de la jurisprudence de 1915, rappelant les pogroms anti-juifs en Russie et l’antisémitisme qui régnait au Québec et ailleurs à cette époque. (À mon avis, ce faux parallèle est un sophisme inexcusable. Les musulmans intégristes ont beaucoup plus en commun avec les nazis qu’avec les juifs.)
Me Nadon, en début d’après-midi, débute en citant un texte de Julius Grey lui-même, un texte tout à fait délicieux, publié en 2008 et toujours disponible (Liberté d’expression, merci Andrée Deveault pour le lien !) dans lequel Me Grey vante les mérites et l’importance primordiale de la liberté d’expression, même quand il s’agit de propos scabreux ou de mauvais goût, et dénonce la « gentillesse étouffante » de la « rectitude politique ». Même si les propos de Mme Benhabib étaient diffamatoires, ce que Me Nadon n’admet surtout pas, ils ne sont pas fautifs. Et même s’ils étaient fautifs, il incomberait à la partie plaignante, les EMM, de prouver qu’ils aient causé des dommages et qu’il y ait effectivement un lien de cause à effet entre les propos fautifs et ces dommages. Or les EMM n’ont pas du tout réussi à rencontrer ces conditions.
Mais le point culminant de la journée, à mon avis, c’est le moment où Me Nadon a réussi à détruire complètement la crédibilité du principal témoin des EMM, le président de son CA, Ahmed Khebir, et à miner celle de plusieurs autres de leurs témoins. Dans son témoignage M. Khebir a nié que la mission des EMM incluait le but de créer chez les élèves une relation forte avec Allah, mais et le site web et le dépliant des EMM ont mentionné ceci explicitement. Le site web a disparu quelques jours après les entrevues radiophoniques, pour réapparaître un an plus tard sans cette mention, et sans les deux sourates 56 et 57 qui ont tant inquiété Mme Benhabib.
M. Khebir a aussi nié l’imposition de prières obligatoires et du voile et il a prétendu que les élèves ne comprenaient pas les sourates qu’ils mémorisaient. Il niait toute connaissance de l’événement Facebook « Our Children Are Not Future Terrorists » mais s’est vu obligé d’admettre dans son témoignage l’avoir créé lui-même avec son compte Facebook dont, encore une fois, il avait d’abord nié l’existence. Il a nié connaître un certain texte du site web Poste de veille, mais fait référence au même article dans un document que lui-même a soumis. Il prétend qu’il y ait eu chute des inscriptions à la suite des entrevues de Mme Benhabib, mais les chiffres ne confirment pas cette prétention. Il parle de vandalisme à l’école, par contre le seul incident s’est produit trois ans après les entrevues et un mois après des attentats meurtriers à Paris, mais M. Khebir n’admet pas que les attentats puissent être la vraie cause.
La crédibilité du témoin Asma Lamecque, ancienne étudiante au secondaire aux EMM, est aussi mise en doute. Elle nie aussi toute connaissance de l’événement « Our Children Are Not Future Terrorists », mais finit par dire qu’elle le connaissait mais n’y a pas participé. Elle nie avoir été à l’origine du propos très menaçant concernant le GIA et la vie de Mme Benhabib; pourtant c’est son nom et sa photo qui sont associés à ce commentaire en ligne. À la mention de cette horrible menace, Mme Benhabib doit quitter la salle, tant elle est émue, et la séance est suspendue pour quelques minutes.
Dans son argumentation, Me Nadon a fait une observation importante concernant le ciblage de Djemila Benhabib. Le témoignage de Benoît Dutrizac (lundi) a révélé que les EMM avait envoyé une mise en demeure à M. Dutrizac après les entrevues radiophoniques, mais les EMM n’ont pas donné suite à cette démarche. Donc, ni l’animateur de l’émission, ni la société Cogéco (propriétaire de la station de radio), n’ont été poursuivis. Me Nadon observe que seule Mme Benhabib a été poursuivie ; c’est-a-dire qu’elle a été délibérément ciblée dans le but de réduire au silence une militante qui dérange énormément les intégristes musulmans.
Me Nadon a aussi insisté sur la grande importance de l’intérêt public en matière de liberté d’expression, c’est-à-dire pour la question suivante : où tracer la ligne entre cette liberté et la protection de la réputation ? « L’intérêt public est le baromètre de la diffamation », déclare-t-il. Les propos de Mme Benhabib n’étaient ni diffamatoires, ni fautifs.
Vendredi : Fin des argumentations et fin du procès
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2016-09-30, fin du procès, Djemila et amis devant le Palais de Justice
Vendredi 30 septembre, dernière journée du procès. Au fait une demi-journée, se terminant vers 12h30. Me Marc-André Nadon poursuit son argumentaire concernant l’importance de l’intérêt public dans ce litige en soulignant que Mme Benhabib est une militante laïque et féministe, engagée, bien connue du public pour ces livres, ses conférences, son engagement politique, etc. Elle a reçu une plainte d’une citoyenne qui s’inquiétait du contenu du dépliant distribué par une école musulmane, d’où sa démarche.
L’intérêt public est en jeu à plusieurs niveaux : l’éducation des enfants, la liberté de religion, les droits des femmes, le port du voile islamique et le financement des écoles confessionnelles. Mme Benhabib ne s’en prend pas aux enfants des Écoles musulmane de Montréal (EMM), mais au choix pédagogique de ces écoles. Elle n’a jamais parlé de terrorisme, d’extrémisme ou de tuerie, comme le laisse entendre le discours de Me Grey. Au contraire, Mme Benhabib a utilisé des termes comme « camp militaire » et « endoctrinement » en parlant du programme des EMM. Elle a décrit les sourates 56 et 57 — enseignées au primaire entre 2008 et 2010 selon les témoins — comme « sexistes », « misogynes » et « haineuses ». Selon elle, les EMM forment des militants intégristes.
Me Nadon rappelle que, encore une fois selon les témoins, bien que les cours en général soient mixtes, il y a segrégation filles/garçons dans la mosquée, dans les cours d’éducation physique et lors des prières quotidiennes. Il y a aussi obligation pour les filles de porter le voile à partir de la quatrième année et pour toutes les filles dans la mosquée ; chaque fille doit donc avoir son voile, peu importe son âge. La phrase « catastrophes ambulantes » utilisée par Mme Benhabib et qui a tant offensé les témoins des EMM était une référence à des valeurs véhiculées par les EMM et incompatibles avec le modèle sociétal, c’est-à-dire laïque, prôné par Mme Benhabib. Dans sa démarche, il n’y avait aucune atteinte intentionnelle ; elle était motivée, de bonne foi, par une inquiétude à propos des enfants.
Me Nadon a mentionné un autre litige intenté par une autre école musulmane — et gagné par Mme Benhabib — pour avoir reproduit sur son blogue une photo de filles voilées prise sur le site web de l’école.
Pour résumer, Me Nadon a souligné l’importance du libre débat public, une liberté qui peut être insidieusement et graduellement compromise. « Cela commence par l’auto-censure », dit-il, aux dépens de débats légitimes. Il a exprimé la fameuse citation (qu’il a faussement attribuée à Voltaire), « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. » Djemila Benhabib « incarne la liberté d’expression », a-t-il ajouté.
Me Julius Grey fait une réplique à l’argumentation du Me Nadon. Il essaie, tant bien que mal, de sauver la crédibilité de son principal témoin, complètement démolie par Me Nadon la veille. Il a répété son assertion que Mme Benhabib n’avait pas de retenue, que ses propos ont dépassé les questions du voile et des sourates, qu’elle avait, selon lui, fait des assertions qui étaient à la fois fausses et de type factuel, que ses propos étaient malicieux. Selon Grey, la réputation est aussi importante que la liberté d’expression et un appel à l’intérêt public ne donne pas tous les droits.
Dans une contre-réplique à cette réplique, Me Nadon a fait valoir que la grande partie de la jurisprudence présentée par Me Grey pour justifier son cas n’était même pas pertinente au cas présent. Me Grey a tenté de faire une autre contre-réplique mais la juge lui a indiqué qu’il se répétait et qu’elle avait déjà les points qu’il soulevait dans ses notes et documents. Cela n’a pas duré longtemps.
Ainsi prend fin le procès. La juge Carole Hallée remercie tout le monde, surtout les deux parties dans le litige et leur souhaite bonne chance dans leurs futurs projets. Elle salue aussi une juriste française du Barreau de Paris qui est venue observer le procès. Elle remercie le public aussi — un public nombreux, pour lequel les 50 sièges lui étant réservés n’ont parfois pas suffit — pour son comportement assez respectueux durant les procédures.
La juge Hallée n’a pas donné de délai pour sa décision. Il faut être patient !