Jaque Parisien
L’athéisme m’est venu comme ça, tout simplement, tout naturellement, le jour où j’ai compris que la religion était une affaire d’hommes. De femmes aussi bien entendu, mais leur rôle dans la fondation des monothéismes, comme dans les affaires publiques, se limitait à une application stricte des règles et à la promotion des valeurs prônées par les messagers divins ou l’Église. Passives et soumises, trop souvent névrosées et longtemps exclues des écoles et des universités, elles n’ont donc jamais eu l’occasion de « raisonner » leurs contreparties masculines. Ce deuxième constat, parmi tant d’autres, a aussi greffé à mon athéisme un féminisme tout aussi viscéral et fulgurant, mais ça, c’est une autre histoire.
Par la suite, ce qui m’a le plus énervé, sans doute, c’était le prosélytisme intimement rattaché à tous ceux qui se disaient croyants : ces derniers « savaient » et je pouvais lire dans leur regard la pitié qu’il nourrissait à mon égard sachant fort bien que je serais condamné aux feux de l’enfer si je ne me convertissais pas à leur foi. Quoi de plus noble pour un croyant que de sauver son prochain, l’incroyant, l’hérétique ? Quoi de plus courageux et altruiste que de consacrer son propre temps, ses efforts et parfois même son argent pour sauver une âme perdue et dévoyée par les prétentions arrogantes de la science et de la raison ? Si on vivait à une autre époque, on irait probablement jusqu’à me torturer ou me tuer physiquement pour sauver mon âme métaphysiquement. Cherchez l’erreur.
Par ailleurs, je me souviens très bien de plusieurs échanges, voire de débats, que j’ai eus avec des croyants. Chaque fois que ceux-ci soumettaient que la foi adoucissait les mœurs et incitait à la charité envers les autres, je leur rétorquais que mes mœurs étaient déjà suffisamment adoucies et que ma charité – je préfère parler de souci de l’autre – coulait de source, c’est-à-dire d’une éducation humaniste me rappelant qu’il ne fallait jamais faire aux autres ce que je ne voudrais pas que l’on me fasse. L’équation, simple en soi, reprise depuis toujours et reformulée selon les auteurs et les disciplines, tient toujours du gros bon sens et n’a pas besoin d’une religion pour l’avaliser. Il n’empêche que malgré plusieurs débats du genre, ces croyants finissaient toujours par me dire que mon âme n’en serait pas moins damnée pour autant. Leur insistance sur la nécessité d’une conversion salutaire et nécessairement inévitable quand la fin de mon périple terrestre sonnerait imposait la conclusion que je n’échapperais jamais aux rodomontades de ces gens pourtant bien intentionnés, du moins en apparence.
Depuis, je me suis posé la question suivante : pourquoi une conviction personnelle, même partagée par des milliers d’autres, me donnerait-elle le droit de harceler mon voisin, de le juger du haut de mes valeurs prétendument révélées, de l’ostraciser parce qu’il ne pense pas comme moi, voire pire ? Puis je me suis mis à repenser aux comportements profondément humains et déplorables du même ordre se répétant à l’infini, à ces oppositions binaires structurant nos vies : enfants/pas d’enfants, mariés/célibataires, fidèles/infidèles, gauche/droite, croyants/incroyants, etc. Bref, dans le fond, le prosélytisme naît de l’incapacité des uns à tolérer la différence chez les autres. Voyez-vous, l’esprit de troupeau réconforte, le nombre fait la force, la masse sécurise et la pensée unique rassérène. Penser comme tout le monde revient donc à ne pas penser du tout (je n’invente rien ici, d’autres l’ont dit avant et mieux que moi), ou encore l’euthanasie cérébrale provoquée par toute allégeance inconditionnelle à une doctrine, une foi ou une croyance quelconque pourrait facilement se comparer à une lobotomie, car elle procure une certaine paix d’esprit en parfaite contradiction avec notre nature même d’« animal pensant ». Car penser, voyez-vous, signifie douter, angoisser, donc toute pensée unique ou magique est condamnée à la subjectivité, n’est qu’un point de vue sur le monde, un pathos.
Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore,je défendrai bec et ongles la laïcité, l’athéisme, les vertus de la raison et de l’esprit critique, je combattrai pour que la place publique, l’agora, soit neutre et stérilisée de tout signe religieux et respecterai la vie privée des autres. En revanche, jamais je ne donnerai dans le prosélytisme, mon athéisme n’étant pas une doctrine : je ne « sais » pas si Dieu existe ou non, mais, justement, ça ne m’intéresse absolument pas de le savoir. Je n’ai jamais ressenti ce besoin de combler un vide par un autre vide, je n’en ai rien à cirer. Tout ce que je désire, à l’instar d’autres comme moi, c’est qu’on me laisse vivre ma vie comme je l’entends, « sans me nuire à moi-même ni aux autres », et qu’on cesse de vouloir pour moi ce que je ne voudrais jamais pour autrui : une vie d’asservissement, une société fondée sur un amour qui pourtant a engendré tant de haine. Pas pour moi, non merci.
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