Blogue 064 : Ces mots traîtres

David Rand

2015-11-05

« Si je critique une religion, je ne suis NI raciste, NI xénophobe.
Car la religion n’est NI une race, NI une nation. Ne vous laissez pas manipuler. »
Charb

Les mots ne sont pas toujours neutres. Le choix des mots peut avoir une influence très grande sur la compréhension d’une idée ou l’orientation d’un débat. Certaines expressions sont carrément tendancieuses, voire préjudiciables.

Il en est de même pour le néologisme « islamophobie ». Les origines de ce mot sont incertaines, mais, quoiqu’il en soit, plusieurs auteurs, y compris des blogueurs sur ce site, sont d’accord pour conseiller de l’éviter complètement, car il a la fonction d’étouffer la nécessaire critique de l’islam. Spécifiquement, le terme « islamophobie » présente les problèmes suivants :

  1. On s’en sert couramment pour indiquer un préjugé contres les musulmans, mais le mot lui-même parle de l’islam qui est une religion, une idée, une idéologie. On crée ainsi une confusion entre les croyants et les croyances. Or, il est absolument primordial de faire la distinction entre les personnes d’une part, et les idées que ces personnes peuvent exprimer de l’autre.
  2. Son suffixe « phobie » implique généralement une peur irrationnelle. Or, avoir peur de l’islam n’est pas nécessairement irrationnel. Au contraire, la peur des tendances intégristes et radicales de l’islam est non seulement raisonnable, elle est nécessaire. Ce n’est que prudence élémentaire.
  3. On se sert souvent du mot « islamophobie » dans un contexte où l’on dénonce le soi-disant « racisme », comme si ces deux termes étaient intimement apparentés. Or, c’est complètement faux car l’islam n’est pas une race. Un sentiment d’antipathie pour l’islam—que ce sentiment soit rationnel ou non—n’est même pas synonyme d’antipathie pour un groupe d’êtres humains (voir 1. ci-dessus), encore moins synonyme de racisme.
  4. Finalement, le terme « islamophobie » s’apparente au terme « blasphème », ce dernier concept étant lui aussi préjudiciable car ayant la même fonction d’infirmer la nécessaire critique des dogmes religieux. Le droit de critiquer les idées est un aspect essentiel de la liberté d’expression et de la démocratie.

Écoutons ce qu’en dit le regretté Charb (Stéphane Charbonnier) dans Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes (Éditions Les Échappés), essai complété seulement deux jours avant sa mort en janvier 2015, assassiné avec ses collègues de Charlie Hebdo par des extrémistes islamistes :

Le grand projet des pourfendeurs de l’islamophobie, c’est de placer sur le même plan l’antisémitisme et la critique à l’encontre de personnes se réclamant de l’islam. Se moquer d’un terroriste islamiste serait la même chose qu’affirmer que les Juifs seraient des êtres inférieurs ou nuisibles. […] Il n’y a pas de correspondance entre le racisme ou l’antisémitisme et la critique d’extrémistes religieux. Mais rien n’y fait, les inventeurs de l’islamophobie veulent absolument que l’islamophobie soit considérée comme un racisme antimusulmans équivalent à l’antisémitisme, ce racisme antijuifs.

Le philosophe François Doyon dans un texte Condamner l’islamophobie, c’est jouer le jeu des racistes, Huffington Post, 2015-10-06, observe, à propos d’une certaine gauche, que

La gauche identifie la peur de l’islam à la peur de l’immigrant arabe pour amalgamer la critique de l’islam au racisme. C’est construire une définition beaucoup trop large du racisme. Se faire traiter de raciste pour avoir critiqué l’islam est une manœuvre d’intimidation qui repose sur la confusion entre le culturel et le génétique. […]

La gauche a tellement élargi l’extension du concept de racisme qu’être raciste est rendu presque banal. Banaliser le racisme, c’est l’encourager. Dire que la religion musulmane n’est pas une religion qu’il faut critiquer comme les autres parce que c’est la religion des opprimés est aussi ridicule et inacceptable que de dire que le judaïsme est la religion des voleurs et des banquiers.

On se sert souvent du mot « islamophobie » dans un contexte où l’on dénonce le soi-disant « racisme », comme si ces deux termes étaient intimement apparentés. Or, c’est complètement faux car l’islam n’est pas une race.

Au Québec, cette certaine gauche s’appelle surtout Québec Solidaire dont la porte-parole Françoise David a fait adopter par l’Assemblée nationale, le 1er octobre 2015, une motion condamnant les gestes à caractère « islamophobe ». Malheureusement, Mme David a réussi à obtenir l’appui unanime des députés de l’Assemblée, même si les autres partis politiques ont d’abord voulu faire enlever ce mot du libellé de la motion pour en faire une déclaration plus universelle. Ils ont sans doute cédé au chantage culpabilisant qu’emploient couramment les adeptes de ce concept, accusant de « racisme » tout individu qui hésite à abonder dans leur sens.

Cette motion et le geste de Mme David pour la faire adopter, ont été vertement et justement condamnés par le Rassemblement pour la laïcité, par l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL), par l’humoriste Nabila Ben Youssef, par Djemila Benhabib, par François Doyon et par bien d’autres.

Il y a toutefois des gens qui critiquent franchement—et courageusement—l’islam et se disent volontairement « islamophobes ». Mais moi, je trouve que c’est un mauvais choix, étant donné la forte connotation d’irrationalité que véhicule cette expression. S’il y a un endroit où elle serait possiblement appropriée, ce serait pour décrire le préjugé d’un croyant contre une religion concurrente. Selon Charb,

[…] il peut arriver qu’un croyant ait lui-même la phobie des autres religions. On lui a appris que la sienne était la meilleure du monde. Non, pas la meilleure, la seule Vraie ! […] Rien d’étonnant à ce que le catholique soit islamophobe et que le musulman soit cathophobe, c’est précisément ce que leurs responsables religieux leur demandent.

Mais même dans ce cas l’expression « islamophobie » est inutile, car il s’agit tout simplement de bigoterie religieuse.

Quiconque dénonce l’« islamophobie » ne peut prétendre en toute honnêteté « Je suis Charlie » car ce mot excuse et légitime la répression des parodies d’islam. On ne peut honnêtement condamner le massacre et en même temps prétendre que les victimes ont en quelque sorte mérité leur sort.

Donc, mises à côté ces deux dernières nuances, on peut dire que quiconque emploie le terme « islamophobie » comme s’il s’agissait d’un concept légitime, comme accusation pour dénigrer des autres, est soit un islamofasciste, soit un dupe des islamofascistes.

Quiconque dénonce l’« islamophobie » ne peut prétendre en toute honnêteté « Je suis Charlie » car ce mot excuse et légitime la répression des parodies d’islam. On ne peut honnêtement condamner le massacre et en même temps prétendre que les victimes ont en quelque sorte mérité leur sort. Dénoncer l’« islamophobie », c’est légitimer la répression du « blasphème » contre l’islam et s’opposer à la liberté d’expression, en particulier la liberté de critiquer les dogmes de l’islam.

Pour comprendre les dommages que peut faire cette mentalité paranoïaque à l’égard de la critique de l’islam, il suffit de de lire le projet de loi 59 « contre les discours haineux et les discours incitant à la violence » ainsi que le plan d’action intitulé « La radicalisation au Québec : agir, prévenir, détecter et vivre ensemble » que le gouvernement du Québec a publiés le même jour en juin 2015. Le projet de loi a été dénoncé par presque tous les intervenants—sauf les groupements de musulmans intégristes—comme une menace pour la liberté d’expression. Le plan d’action évoque plusieurs fois l’« islamophobie » et parle beaucoup de préjugés anti-musulmans, mais sans jamais mentionner ce que tout le monde sait : que les islamistes sont la principale cause de ces préjugés. Heureusement, le gouvernement a promis de reformuler le projet de loi, mais le résultat de cette reformulation n’est pas encore connu.

Pendant la récente campagne électorale fédérale et la controverse autour du port du niqab, j’ai constaté une autre manifestation de cette manie de censurer le nécessaire critique des religions : un individu pourtant prétendument partisan de la laïcité a dénoncé la soi-disant « haine religieuse ». Cette expression a la même fonction que le terme « islamophobie » sauf qu’elle ne spécifie pas de religion particuliére. Dénoncer la « haine religieuse » ressemble à une condamnation du « blasphème » contre n’importe quelle religion ; cela revient à s’opposer à la liberté d’expression, en particulier la liberté de critiquer les dogmes religieux.

Cela rappelle les efforts de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) pour faire prohiber par l’ONU la prétendue « diffamation des religions ». Si l’OCI parvenait à ses fins, nous serions aux prises avec l’équivalent d’une loi internationale anti-blasphème.

« Islamophobie », « haine religieuse » et « diffamation des religions » : trois expressions traîtres qui révèlent une mauvaise compréhension de la laïcité, trois expressions qui trahissent la liberté de conscience et indiquent—intentionnellement ou non—une désapprobation implicite du « blasphème ».

5 commentaires sur “Blogue 064 : Ces mots traîtres
  1. Marco De Rossi dit :

    Excellent!

    Une phobie est une crainte, elle n’est pas nécessairement irrationelle. La crainte des araignées peut être démesurée, mais la crainte que suscite l’islam ne l’est pas. L’islamophobie est justifiable, car une multitude de textes et vidéo montre le côté vindicatif et suprémaciste de l’islam. Bien évidemment, une crainte amène une généralisation, ce n’est pas 100% de l’islam qui est subversif mais je ne saurais dire quel pourcentage l’est. Mon expérience personelle (subjective) m’indique qu’une forte proportion de musulman présentent des position rétrogrades et menaçante pour une société libre et équitable.

  2. Une excellente pièce que le regretté Charb approuverait.

  3. MCPN dit :

    Dieu a dit, mais à qui l’a-t-il dit ?
    Quand le ciel s’ouvre à toi et que Dieu m’appelle par mon nom…c’est que la psychose a pris le dessus.
    On ne naît pas prophète on devient schizophrène mystique.
    Dévastateurs.
    http://schizo-non.e-monsite.com/blog/devastateurs.html
    Libérez-vous.

  4. Alain Beauseigle dit :

    Quel terme serait le plus approprié pour remplacer « islamophobie »?
    Il est important de critiquer, mais pour aller plus-loin, il serait bien de proposer une alternative.
    ??? anti-islam ???

  5. David Rand dit :

    Si le mot « islamophobie » sert d’accusation pour dénoncer la phobie (c’est-à-dire la peur « irrationnelle ») de l’islam, alors il ne faut PAS le remplacer car il s’agit d’un mythe. Il faut tout simplement l’abandonner. La peur de l’islam est raisonnable et rationnelle.

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