Blogue 001 : La nécessité de l’athéisme

David Rand

Voici le premier numéro d’une série qui sera publiée sur le site web de Libres penseurs athées : un blog périodique traitant de sujets importants pour les athées, ainsi que pour tous les partisans de la laïcité. Le sujet de ce premier blog est au cœur de nos préoccupations : l’athéisme et l’importance de prôner celui-ci, ou, pour l’exprimer plus exactement, le défendre contre les flots de malentendus, de méprises, voire de mensonges, qui circulent couramment à propos de l’athéisme. Car n’eut été ce torrent de désinformations, il serait inutile de faire la promotion d’une idée qui est, au fait, une évidence qui coule de source.

Cette année 2011 marque le 200e anniversaire de la première publication d’un classique de l’athéisme, l’essai « La nécessité de l’athéisme » du poète doué Percy Bysshe Shelley. Ce geste courageux a valu à son auteur l’expulsion de l’université Oxford. L’athéisme était effectivement éminemment nécessaire à cette époque – comme à la nôtre d’ailleurs – où des croyances bizarres et dangereuses menaçaient l’humanité. Mais je crois que Shelley utilisait ce mot « nécessaire » dans son sens strictement logique, c’est-à-dire pour signifier : inévitable, inéluctable, certain. « Tout esprit qui réfléchit doit reconnaître qu’il n’y a aucune preuve de l’existence d’une divinité » écrit-il. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous devons nous confiner dans le doute absolu, incapable de trancher entre théisme et athéisme, car, comme Shelley nous l’explique, « Dieu est une hypothèse, et, en tant que telle, ne peut tenir sans preuve : le fardeau de la preuve pèse sur le théiste. »

L’athéisme n’est pas un acte de croyance; au contraire, il est essentiellement une incroyance, le simple rejet d’une hypothèse gratuite et infondée. Selon Shelley, « il est évident que, en l’absence de preuves provenant des trois sources de convictions [les sens, la raison et le témoignage d’autrui], l’esprit ne peut croire en l’existence d’un Dieu créateur… » Dieu est un nom inventé « afin de dissimuler notre ignorance des causes et des essences. » Le progrès de la science sonne le glas de la croyance en dieu. « Si l’ignorance de la nature a enfanté les dieux, c’est la connaissance de la nature qui doit forcément les anéantir. »

Effectivement, l’athéisme est une certitude, mais non pas une certitude absolue basée sur la foi. Au contraire, c’est une certitude scientifique, basée sur l’observation de la réalité, et hors de tout doute raisonnable. La non-existence des dieux du christianisme, ou de l’islam, ou du judaïsme, ou du zoroastrisme est aussi certaine que la fausseté du géocentrisme. Ces deux constatations sont fondées sur l’observation (absence de preuves qui confirmeraient la thèse, présence de preuves qui l’infirment). De plus, la fausseté de l’hypothèse-dieu est une conséquence inévitable de la nature incohérente de tout dieu duquel on essaie de donner une définition claire et nette – et nous savons jusqu’à quel point le discours religieux manque de clarté!

Toute religion surnaturelle est au mieux fausse, et souvent pernicieuse. En parlant d’athéisme, j’inclus en cela le matérialisme philosophique et le rejet du surnaturel. Je suis bien conscient du fait que cet usage du mot n’est pas exact à 100%, car il est possible de rejeter la croyance en dieu tout en maintenant une croyance en d’autres phénomènes surnaturels (par exemple, la réincarnation). Toutefois, ce genre d’athéisme non matérialiste n’est pas tenable, car il est incohérent de rejeter un sous-ensemble arbitraire du surnaturel. Un athée intellectuellement intègre ne peut être que moniste, pas dualiste.

La laïcité, ce programme de gestion des institutions publiques selon lequel l’ingérence religieuse dans ces institutions est interdite, est un élément nécessaire au bien-être de l’humanité. La laïcité implique et favorise à la fois la liberté de religion et la liberté de vivre sans religion. Ainsi, elle défend les meilleurs intérêts de tout le monde – sauf, bien sûr, les intérêts des chefs des grandes et puissantes institutions religieuses, qui ont tout intérêt à maintenir les privilèges dont ils jouissent sous les régimes non-laïques actuels.

Quel est le plus important frein contre l’accomplissement de la laïcité ? Est-ce l’intégrisme et l’extrémisme religieux? Que dire du discours des soi-disant « modérés » pour qui le respect de leur droit de pratiquer la religion est insuffisante, qui exigent en plus que nous respections également la croyance elle-même et évitions de la critiquer trop ouvertement, sous peine de nous faire accuser d’« intolérance »? Ne jouent-ils pas ainsi le jeu des intégristes? Mais nous aurions tort, à mon avis, de diriger toute notre critique contre les croyants, car un empêchement important aux progrès vers la laïcité se trouve dans la confusion intellectuelle et politique qui se manifeste dans la population en général – y compris les incroyants – lorsque elle est confrontée au défi que représentent les religions.

Les croyants religieux, plus particulièrement les théistes, ont de tous les temps véhiculé – et continuent à véhiculer – l’idée que les athées doivent être immoraux ou amoraux car le seul fondement de la morale et de l’éthique serait, selon eux, la croyance en l’existence d’une espèce de père-policier, résidant dans les cieux, qu’ils appellent « Dieu ». Nous savons, bien sûr, que cette assertion est à la fois fausse et malhonnête, car elle est contredite d’abord par des considérations théoriques, ainsi que par des constatations plus pratiques. Mais malheureusement, il y a même des partisans de la laïcité qui prônent implicitement (et parfois même explicitement!) le mythe que le militantisme athée constituerait une menace pour la liberté de conscience, faisant ainsi écho à la propagande religieuse anti-athée. Le moyen évident et nécessaire de lutter contre ce sale vieux préjugé sous toutes ses formes est que les athées s’affirment ouvertement en tant qu’athées.

Il est étonnant de constater le nombre et la variété des excuses et faux-fuyants qui ont été employés afin d’éviter la nécessaire tâche de renverser cette propagande religieuse. En principe, l’humanisme est assez respectable, malgré son petit défaut d’être un concept un peu flou, au point où même certains religieux se disent humanistes. Mais lorsque les incroyants se mettent à s’identifier comme humanistes, plusieurs d’entre eux adopte la méchante attitude que ce simple changement d’étiquette les rends moralement supérieur aux athées (une prétention qu’ils partagent avec les religieux). Se dire « agnostique » est un choix particulièrement déplorable, car on donne généralement un sens symétrique à ce terme, véhiculant ainsi la fausse idée que les religions seraient véridiques à 50%, tandis qu’en réalité elles sont futiles à 100%. Le déisme est encore pire, car il maintient la croyance en une divinité créatrice de l’univers et source de toute morale, ce qui est exactement la problématique du théisme que le déisme devait remplacer. La croyance en une sorte d’« énergie » vague dans laquelle baignerait l’univers n’est qu’un autre prétexte écervelé d’éviter de faire face à son propre athéisme. La liste est longue.

Ainsi, l’athéisme – un athéisme explicite, franc et sans détour, qui n’a pas peur de critiquer les religions – est nécessaire pour empêcher que les incroyants sombrent dans l’hypocrisie pendant que les croyants restent dans la suffisance. Les nombreux euphémismes inventés par les incroyants doivent être mis de côté, ou du moins utilisés en second lieu, en faveur de la nécessaire prise de position athée, ou, plus précisément, matérialiste philosophique.

Oui, l’athéisme est nécessaire : nécessairement vrai et nécessaire à l’épanouissement et à la liberté de l’humanité.

Référence

  • The Necessity of Atheism, Percy Bysshe Shelley, Prometheus Books, 1990.
    ISBN – 10:0879757744
    ISBN – 13:9780879757748

Prochainement : Blogue 002, « Jean Meslier, curé athée » de Pierre J. Mainil


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