David Rand
Récemment j’ai eu le privilège de participer à l’évènement Journées d’athéisme 2015 (en polonais, Dni Ateizmu 2015) tenues à Varsovie, la capitale polonaise, du 27 au 29 mars 2015, organisées par nos amis et amies de l’association Koalicja Ateistyczna (Coalition Athée) et par la Fondation Kazimierz Łyszczyński. Il s’agit d’un rassemblement qui se fera annuellement, cette année 2015 marquant sa deuxième occurrence.
Chaque année, en plus d’une variété de conférences et d’activités sociales, les participants font une procession reconstituant un évènement historique d’une importance capitale pour les athées polonais : l’exécution de Kazimierz Łyszczyński, philosophe et aristocrate, pour le « crime » d’athéisme, plus précisément pour avoir rédigé un traité de philosophie « De non existentia Dei » dans lequel il affirme que dieu n’existe pas : au contraire, dieu n’est qu’une chimère inventée par des humains, des gens qui n’y croyaient pas eux-mêmes mais se servait de cette fausseté afin de contrôler les petites gens par la peur. La reconstitution se fait à la même date approximative que l’exécution et la procession se termine sur la même place du marché de la vieille ville ou Łyszczyński fut décapité en 1689.
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Quelques faux prêtres et vrais spectateurs à la reconstitution de l’exécution de Łyszczyński
L’organisation du congrès ne s’est pas faite sans heurt. L’organisatrice principale Nina Sankari et ses collègues de la Koalicja Ateistyczna ont dû faire face à plusieurs difficultés sérieuses. Un des conférenciers principaux, Waleed Al-Husseini, un blogueur palestinien athée, accusé de blasphème par l’Autorité palestinienne et vivant actuellement en exil en France, a été retenu au moment de son départ pour Varsovie et interrogé par les autorités françaises dans un aéroport parisien et ce, suffisamment longtemps pour que sa participation au congrès soit impossible.
La plupart des conférences du congrès devaient se tenir dans l’édifice du Parlement polonais, mais les autorités polonaises, pour leur part, ont très mal réagit au mot fatidique « ateizm » (on connaît un phénomène semblable au Québec, où le mot « athéisme » fait peur aux petits esprits) et par conséquent le congrès a dû être scindé en deux évènements supposément distincts : un « Congrès international pour les libertés de conscience, de parole, d’art et de la recherche scientifique » tenu au Parlement et les Journées d’athéisme proprement dites tenues à l’Université de Varsovie et à d’autres endroits. La traduction simultanée entre polonais, anglais et français était fournie lors des séances au Parlement mais l’absence de ce service dans les autres salles constituait une difficulté supplémentaire.
De plus, plusieurs participants libanais ont eu des ennuis à obtenir les visas nécessaires pour se rendre en Pologne pour ces évènements : en fin de compte ils ont obtenu des visas de très courtes durée, à peine suffisante.
L’évènement a tout de même été un franc succès. La première session de conférences s’est tenue dans une salle au rez-de-chausée du Parlement le 27 mars, co-présidée par Wanda Nowicka, féministe, députée de gauche et vice-presidente de la Diète (Sejm ou chambre basse du Parlement polonais) et Nina Sankari, vice-presidente de la Coalition Athée. Parmi les conférencières et conférenciers : un porte-parole de Freethought Lebanon ou Libre pensée libanaise, Sue Cox de Survivors Voice Europe, un organisme d’ex-victimes d’abus sexuel commis par des prêtres, Rene Hartmann de l’Alliance athée internationale (AAI), Dorota Wójcik de la Fondation Wolność od Religii (Fondation Liberté de s’affranchir de la religion), Anna Dryjańska, militante féministe et laïque du site web Watykanizacja (Vaticanisation), Małgorzata Marenin qui poursuit devant les tribunaux l’archevêque Jozef Michalik (pour avoir déclaré que la pédophilie serait causée par le féminisme et les familles éclatées) et Barbara Nowacka du parti politique anti-clérical Twój Ruch (Ton Mouvement).
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Séance au parlement polonais, Liberté de conscience et de parole, 27 mars 2015
Le lendemain, le 28 mars, une seconde séance parlementaire, sur le thème « Bioéthique et liberté de recherche scientifique » et à teneur plutôt académique, s’est tenue dans la grande Salle des Colonnes directement au dessus de celle de la première séance. Plusieurs professeurs ont fait des conférences, entre autres Charles Susanne de l’Université libre de Bruxelles et membre de l’Académie polonaise des sciences, deux academiciens français au nom de la Libre pensée française (y compris le président Jean-Sébastien Pierre), et plusieurs provenant d’universités polonaises. Une conférence a aussi été prononcée par Gauthier Ngumbu de la Libre pensée congolaise (République Démocratique).
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Séance au parlement polonais, Bioéthique et liberté de recherche scientifique, 28 mars 2015
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Séance au parlement polonais, Bioéthique et liberté de recherche scientifique, 28 mars 2015
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Séance au parlement polonais, Bioéthique et liberté de recherche scientifique, 28 mars 2015
Pour ma part, j’ai fait une courte conférence sur le thème « Libertés de conscience et de parole au Canada » lors d’une session tenue le matin du samedi 28 mars dans un amphithéâtre de l’Université de Varsovie. J’ai fait un survol de plusieurs aspects de la question, incluant la mention de « Dieu » dans le préambule de la constitution, les articles du Code Criminel qui interdisent le blasphème, la controverse autour de la Charte de la laïcité au Québec, ainsi que la question du niqab porté durant les assermentations à la citoyenneté. Le coeur de mon exposé était de souligner des ravages faits par cette vache sacrée dite « multiculturalisme », un terme bien trop joli pour une idéologie qui devrait plutôt s’appeler « déterminisme ethnoreligieux » ; cette dernière observation a suscité des applaudissements spontanés approbateurs.
Des intervenant(e)s de plusieurs autres pays — Allemagne, France, Belgique, etc. — ont aussi prononcé des conférences pendant cette session. Par ailleurs, Nina Sankari a présenté le Message de l’Association Internationale de Libre Pensée (AILP) au Congrès de Varsovie.
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Conférence, D. Rand, U. de Varsovie, 28 mars 2015
Cette session a été suivie de la reconstitution historique décrite plus haut. Durant la procession quelques jeunes intégristes chrétiens nous ont harcelés en gueulant des chansons et slogans vantant les mérites de la « bonne Pologne catholique ». Personnellement je trouvais que ces énergumènes ajoutaient ainsi une note de vérisimilitude à l’évènement dont le but, après tout, était de signaler les dangers que représentent l’arrogance et le fanatisme des monothéistes.
D’autres séances de ces Journées d’athéisme se sont tenues dans une salle de conférence municipale en haut d’un café dans un quartier de la ville anciennement habité principalement par la population juive de Varsovie, avant que les nazis viennent les massacrer en grand nombre après avoir envahi le pays en 1939. Le premier jour de l’évènement s’est terminé par la soirée de films athées de Zenon Kalafaticz. La soirée du samedi 28, un Banquet Athée s’est tenu dans un bistrot du Palais de la Culture et de la Science, avec remise du Prix de l’Athée de l’Année.
Dans un pays archi-catholique et malgré des obstacles de taille, les organisateurs des Journées d’athéisme 2015 ont réussi, avec perspicacité et persévérance, un coup majeur contre l’obscurantisme, pour la liberté de conscience et pour la visibilité des athées.
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Chandail de la Fondation Wolność od Religii
(Fondation Liberté de s’affranchir de la religion)
NIE ZABIJAM = Je ne tue pas
NIE KRADNĘ = Je ne vole pas
NIE WIERZĘ = Je ne crois pas
Bravo pour cette initiative. Il faut également clamer haut et fort que si nous sommes athées, nous n’en demeurons pas moins pourvus d’âmes et de conscience communautaire, la communauté des hommes et des femmes qui peuplent la terre! Gloire à l’humanité!