Masque sanitaire et burqa: une insulte à l’intelligence , Nadia El-Mabrouk, Daniel Baril et Claude Kamal Codsi, Le Devoir, 2020-05-16.
Les trois auteurs du texte sont porte-parole du Rassemblement pour la laïcité. Ci-dessous, le texte intégral de leur lettre.
Le 27 avril, Patrice Bergeron, journaliste de La Presse canadienne, interrogeait le premier ministre François Legault sur son intention de maintenir l’application de la Loi sur la laïcité de l’État qui serait, selon lui, en opposition avec la recommandation aux enseignants de porter un masque sanitaire. Le 10 mai, le Washington Post publiait un article moquant la France « qui rend les masques obligatoires mais interdit la burqa ». Et c’est maintenant au tour de Francine Pelletier (chronique du 13 mai) de nous expliquer qu’il y aurait contradiction entre la recommandation de porter un masque pour éviter la propagation du virus et la Loi sur la laïcité de l’État.
Malgré la formidable absurdité d’une telle affirmation, le fait que plusieurs l’évoquent publiquement, dans l’intention manifeste de ridiculiser la Loi sur la laïcité de l’État, nous force à réagir.
Rappelons donc quelques évidences. Le « couvre-visage » est un accessoire recommandé, de façon très temporaire et en raison de conditions sanitaires exceptionnelles, à toute personne, femme ou homme, ne pouvant respecter la consigne de distanciation physique. En quoi cette recommandation de la santé publique soulèverait-elle « d’énormes contradictions vis-à-vis du port de signes religieux que le gouvernement Legault s’est fait un devoir d’interdire », comme l’affirme la chroniqueuse ? Il serait bon, tout d’abord, de rappeler à toute personne tentée par ce mélange des concepts qu’il est clairement mentionné à l’article 9 de la Loi sur la laïcité de l’État (projet de loi 21 adopté en 2019) que l’obligation d’avoir le visage découvert ne s’applique pas « à une personne dont le visage est couvert en raison d’un motif de santé, d’un handicap ou des exigences propres à ses fonctions ou à l’exécution de certaines tâches ».
Dans le cas des enseignants et enseignantes, le devoir d’interdire les signes religieux aux employés de l’État relève du devoir de protéger la liberté de conscience des élèves, clientèle jugée vulnérable et captive par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, en évitant de les exposer toute la journée à des signes religieux ostentatoires, tandis que le devoir de recommander le port du masque relève du devoir de protéger tous les citoyens contre la propagation du virus. Où est donc la contradiction ?
L’interdiction des signes religieux aux employés de l’État, plus précisément aux personnes qui exercent les fonctions de policiers, gardiens de prison et d’autres agents de l’État qui exercent une autorité, comme c’est le cas des enseignants, n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’assurer la neutralité religieuse des institutions de l’État. À l’école par exemple, l’interdiction ne se base pas sur le fait que les signes religieux soient « laids », ou que les femmes voilées fassent peur aux enfants, ou posent un problème de « sécurité publique » comme le suggère la chroniqueuse, mais bien sur le fait qu’un signe religieux transmet un message religieux, et qu’un enseignant ou une enseignante, une personne qui a un lien affectif avec les enfants et leur sert souvent de modèle, doit s’abstenir d’afficher une préférence pour une religion au détriment d’une autre, et ce, dans le souci de protéger la liberté de conscience de tous les élèves.
Par ailleurs, madame Pelletier se questionne sur la notion du vivre-ensemble : si le port du masque par respect des autres favorise le vivre-ensemble, pourquoi n’en serait-il pas de même des signes religieux qui couvrent la tête ou le visage, suggère-t-elle. Doit-on comprendre que le port du niqab ou de la burqa serait une pratique citoyenne favorisant le vivre-ensemble ? Comment ne pas être sans mots devant une telle banalisation de symboles sexistes portant atteinte aux droits des femmes ainsi qu’à leur dignité, voire à leur santé physique et mentale dans le cas du voile intégral ? Madame Pelletier suggère-t-elle d’autoriser le port du voile intégral chez les enseignantes ?
Quel effort surhumain est-il nécessaire de déployer afin de percevoir la différence entre une burqa, portée pour des raisons religieuses, exclusivement par des femmes, comme une prison, pour se cacher du regard concupiscent des hommes, et un masque sanitaire porté par tous, pour le bien de tous ?
La laïcité de l’État est le modèle du vivre-ensemble choisi par la population québécoise. Elle assure la séparation entre l’État et les religions afin de garantir la protection des droits de tous les citoyens à l’égalité de traitement ainsi qu’à la liberté de conscience et de religion, conformément à l’article 3 de la Charte des droits du Québec. Elle n’est en contradiction avec aucune mesure de santé publique visant à assurer le bien commun.
Force est de constater que ces attaques contre la laïcité relèvent d’une malhonnêteté intellectuelle et d’un militantisme anti-laïcité qui ne dit pas son nom. En ces temps difficiles où toutes les énergies devraient être déployées à lutter contre la maladie, nous appelons les journalistes, chroniqueurs et personnes publiques à faire preuve de bon sens afin de ne pas fragiliser la cohésion sociale en faisant écho à des rhétoriques anti-laïques sans queue ni tête.
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