Marco DeRossi,
Les Éditions Première Chance, St-Alexis-des-Monts, Québec, Canada, 2014
Recension par Jaque Parisien
L’ouvrage de Marco DeRossi, membre en règle des Libres penseurs athées, des Sceptiques du Québec Inc. et de L’Association humaniste du Québec, se veut d’abord et avant tout une porte d’entrée dans le débat qui oppose croyance et théorie, crédulité et esprit critique, religion et science. Le titre ne laisse planer aucun doute sur le but que vise l’auteur : ouvrir les yeux de ceux qui se seraient laissé aveugler par les boniments religieux ou la pensée magique, et ce, malgré un réel désir de ne pas entrer en conflit avec les croyants. Comme il l’annonce dans son avant-propos, « cet objectif ne peut s’atteindre qu’en ayant recours à la pédagogie.[1] » Pour ce faire, l’ouvrage s’articule en deux parties, dans une sorte de jeu de miroir, opposant la croyance à la science.
À l’instar d’une quantité impressionnante d’ouvrages traitant du même sujet, celui de l’auteur s’en prend, d’entrée de jeu, aux trois monothéismes et utilise une stratégie commune à tous ces ouvrages, c’est-à-dire celle de prélever, dans la Bible et le Coran, les passages incriminants dans lesquels xénophobie, misogynie, homophobie, appels au génocide sont légion. Le lecteur moins versé dans ces faits y apprendra, parfois à son grand étonnement, que les livres « saints » détiennent la palme d’or en ce qui a trait aux multiples interdits, alimentaires et sexuels par exemple, et à la justification de la violence commise en leur nom. Par ailleurs, l’auteur relève, judicieusement, la racine commune aux trois monothéismes, soit l’Ancien testament, de mouture hébraïque, donc à la base du judaïsme. Les deux autres, le Nouveau testament, texte par excellence du christianisme, et le Coran, à la base de l’islamisme, ne seraient en fait que les rejetons de l’original. Cette racine commune aurait dû garantir une convergence idéologique, convergence qui parfois se concrétise quand il s’agit de condamner le blasphème, mais c’est une exception. En fait, des schismes chrétiens (catholicisme contre protestantisme) et musulmans (sunnisme contre chiisme) – pour ne nommer que ceux-là – ont vu le jour, donc la violence et les interdits ne sont pas seulement perpétrés contre les « infidèles », mais débouchent aussi sur des guerres intestines.
Par la suite, le lecteur, curieux ou perplexe face à la quantité effarante de croyances, trouvera des réponses sur les religions orientales, à savoir ce qui distingue l’animisme du panthéisme, le jaïnisme du zoroastrisme ou encore le bouddhisme du shintoïsme et sur les sectes puisqu’on comprendra enfin ce qui distingue la scientologie de l’Ordre du temple solaire, la secte Aum du raëlisme. Le tout a pour but de mettre en évidence les nombreuses dénominations religieuses ou pseudo-religieuses, leur prolifération, et, surtout, leurs effets néfastes sur l’esprit critique en favorisant l’endoctrinement ou en comblant un besoin de « transcendance ». Il en va de même pour les autres croyances, disons, « alternatives », comme la réflexologie, la voyance, l’astrologie ou la réincarnation, entre autres. Malgré les prétentions de certaines, toutes se révèlent de pures fabrications sorties tout droit de l’imaginaire d’illuminés ou de profiteurs sans vergogne. Somme toute, cette première partie déconstruit les structures sur lesquelles reposent les croyances dans leur ensemble. Il est donc logique, par la suite, de reconstruire.
C’est exactement ce à quoi sert la deuxième partie et il faut noter l’effort pédagogique de l’auteur qui recourt à un concept central : la dialectique. Expliquons. La dialectique consiste à opposer deux points de vue contraire, à les comparer et à les évaluer, selon leurs caractéristiques propres, afin d’en arriver à une conclusion. Par exemple, avant de rejeter la foi ou la science, il est intellectuellement probant de les étudier et d’en sonder les bien-fondés. C’est là que le bât blesse. Pour les croyants, une théorie ne serait qu’une opinion ou un point de vue parmi d’autres. En fait, l’auteur – tout en concédant que la science évolue constamment – explique clairement qu’il n’en est rien puisque une théorie est validée par la communauté scientifique et résulte d’une hypothèse préalablement formulée avec tout ce que celle-ci comprend de recherches, d’efforts et de rigueur; la croyance, toutefois, serait une simple construction imaginaire sans fondements scientifiques, comme l’indiquent les qualificatifs dont elle s’affuble elle-même, « paranormale » et « surnaturelle ». Pour bien comprendre, l’auteur nous propose même la pyramide de la plausibilité, la pyramide DeRossi. Ce n’est donc plus Dieu qui trône tout en haut de cette pyramide, mais la réalité. Mais entre fiction et réalité, ne pourrait-on pas retrouver une position mitoyenne ? L’agnosticisme, reposant sur le refus de se prononcer sur l’existence possible d’un dieu ou sur son inexistence, ne représenterait-il pas une position défendable, une synthèse ? Pas selon l’auteur, « car aucune croyance en Dieu ne se base sur le scientifique et n’accède au statut d’hypothèse, même farfelue […] Dieu n’a aucune raison logique d’exister. »[2]
Et pourtant, comment se fait-il qu’autant de gens se tournent vers la croyance ? Pour y répondre, il faut retourner à l’enfance. L’enfant n’est pas outillé pour discerner la fiction de la réalité. Or, il est facilement impressionnable, prédisposé à croire, et, si les parents ne sont pas particulièrement doués, ils pourraient, consciemment ou non, lui inculquer des croyances ou des superstitions. Cet état de fait serait à la base de la crédulité. Par conséquent, le rapprochement entre la crédulité et la croyance est flagrant. C’est à ce moment que se pose une question toute simple : mais qu’en est-il exactement de cette réalité ? Nos sens nous permettent d’en saisir une partie, mais ils demeurent subjectifs. Il faut donc dépasser cette subjectivité et viser l’objectivité. Entre en jeu la philosophie et l’auteur oppose la philosophie analytique, reposant sur les sciences formelles, et la philosophie spirituelle, relevant de la spiritualité, de l’ésotérisme, donc oppose matière et esprit. La première repose sur l’expérience; la deuxième sur « un questionnement dogmatique en rapport avec l’immortalité de l’âme, l’existence de Dieu […].[3] Or, la théologie découlerait de cette dernière et « ne peut être une discipline de recherche critique, car elle ne remet pas en cause ses fondements sans fondement. Elle ne se fonde pas non plus sur la rigueur intellectuelle, car elle place la foi au-dessus de la raison.[4] » Ce serait donc à la science de nous indiquer la différence entre fiction et réalité. En toute intelligence, on ne peut accorder le même facteur de probabilité à l’existence de Dieu qu’on ne le ferait à la validité d’une théorie scientifique. Le fardeau de la preuve de l’existence ou de l’inexistence de Dieu ne repose pas sur les épaules de la science mais « sur ceux qui prétendent une chose comme étant vraie. »[5] C’est d’une implacable et imparable logique.
Et enfin, le bonheur dans tout ça ? La religion peut-elle au moins se gargariser des effets positifs produits sur ceux qui croient ? Ce ne serait pas le cas, car de nombreuses recherches démontrent qu’il n’y aurait aucune corrélation directe entre une croyance quelconque et un indice de bonheur plus élevé que celui que l’on retrouverait chez les athées. Par conséquent, « le conseil de la radiodiffusion et des communications canadiennes, le CRTC, et tout autre organisme de déontologie et de prescription médiatique, devrait se pencher sur l’illégitimité de diffuser un contenu lié à des croyances à caractère propagandiste, au même titre que les critères de diffusion sur le sexe ou la violence. »[6] Nous retenons la suggestion.
- Marco DeRossi, « Croire en Dieu est désormais inutile », Éditions Première Chance, St-Alexis-des-Monts, Québec, Canada, 2014, p. 16
- Ibid. p. 238-239
- Ibid. p. 256
- Ibid. p. 257
- Ibid. p. 285
- Ibid. p. 297