Serge Deruette, docteur en sciences politiques de l’ULB (Université Libre de Bruxelles), est professeur de sciences politiques, de philosophie politique et d’histoire des idées et des doctrines politiques à l’UMONS (Université de Mons), aux FUCaM (Facultés Universitaires Catholiques de Mons) et à la HEFF (Haute Ecole Francisco Ferrer, Bruxelles). Auteur de plusieurs ouvrages et de nombreuses études sur des questions de sciences politiques et d’actualité politique, d’histoire sociale belge et de la Révolution française, il s’intéresse surtout à l’histoire de la pensée et tout particulièrement à Jean Meslier (1664-1729), cet étonnant curé fondateur de l’athéisme, encore trop méconnu et pourtant capital dans l’histoire des idées politiques et philosophiques, sur lequel il a, entre autres, publié deux contributions dans les Studies on Voltaire and the Eighteenth Century (1992). Avec son ouvrage Lire Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire, paru aux éditions Aden en 2008, il a contribué à préciser la place et la portée de la pensée de Meslier dans l’histoire des idées. Au travers d’une analyse et de larges extraits introduits et commentés de l’œuvre, il a aussi permis de le faire découvrir à un large public. Il prépare également un petit ouvrage consacré à une présentation et à une édition critique des deux « lettres aux curés du voisinage » par lesquelles Meslier annonce les motivations de son œuvre athée (à paraître aux éditions Aden en 2011).
Serge Deruette au podium, 2010-10-01
Photographie : J. Jarry
C’est un réel plaisir de présenter le premier véritable fondateur de l’athéisme devant ce Congrès des athées. Fondateur de l’athéisme, Jean Meslier l’est pour en avoir élaboré une théorie construite, cohérente et complète. Fondateur pourtant encore trop largement ignoré et inconnu.
Né en France en 1664, sous le règne de Louis XIV, il est pendant quarante ans le curé de deux petits village des Ardennes. À sa mort au début de l’été 1729, sans jamais s’être défroqué, il laisse à la destinée posthume un Mémoire dans lequel il expose et démontre toutes les raisons de ne pas croire.
Mais pas que cela. Car son Mémoire, alors que le siècle des Lumières débute à peine, c’est
Ainsi est-il le premier à proposer une rupture radicale non seulement avec la pensée religieuse mais aussi avec le dualisme du cartésianisme, pour défendre l’idée que le monde est par lui-même ce qu’il est, que l’âme (c’est-à-dire, dans le langage de l’époque, les pensée et les sentiments) est matérielle et que la matière a d’elle-même son propre mouvement.
Il est également le premier penseur dans l’histoire des idées à réunir en une seule et même conception du monde et de la vie, l’athéisme, le matérialisme philosophique, l’égalitarisme communiste et le projet révolutionnaire de changer la société. Le premier athée à sortir l’athéisme de sa gangue élitiste, à le revendiquer comme pensée libératrice des masses. Le premier théoricien systématique de l’athéisme à se lancer dans une attaque aussi complète et radicale contre la religion, toutes les religions et toutes les superstitions, conçues comme autant d’impostures pour abuser le peuple. Le premier athée communiste – et donc le premier communiste athée – de l’histoire universelle de la pensée. Le premier matérialiste systématique et conséquent depuis l’Antiquité, le plus profond et le premier à unir le matérialisme à l’athéisme de la façon la plus incontestable qui soit. Le premier à considérer la religion comme le produit et la preuve de l’oppression et de l’exploitation. Un des premiers à voir dans la propriété privée la cause de l’inégalité et de la domination et à concevoir que toute la richesse vient du travail. Il est aussi le seul penseur à prôner la révolution en France avant la Révolution.
C’est à ces questions que je me propose de répondre. Elle ne sont pas sans intérêt pour nous, quand on sait à quel point Meslier est dans le domaine de l’athéisme comme dans tant d’autres, un novateur et un précurseur.