Née en Ukraine, en 1972, d’une mère Chypriote grecque et d’un père algérien, Djemila a grandi, à Oran, dans une famille de scientifiques engagée dans les luttes politiques et sociales. Très tôt, elle prend conscience de la condition subalterne des femmes de son pays, de leurs douleurs et de leurs aspirations. C’est par le truchement de sa militance au sein du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS) qu’elle défend ses idéaux de liberté, d’égalité et de justice sociale. Elle y côtoie de prestigieux intellectuels et de petites gens, tous réunis sous le même emblème pour voir éclore la démocratie.
Au tout début des années 1990, une nouvelle réalité s’impose. Le Front Islamique du Salut (FIS) et ses armées sont à la porte du pouvoir. Les crimes les plus barbares ne sont plus de simples menaces. Djemila participe à l’organisation d’immenses marches, d’un bout à l’autre du pays. En janvier 1994, une lettre de condamnation à mort portant le sceau du Front Islamique pour le djihad armé (FIDA) force la famille à se réfugier à Saint-Denis en région parisienne. A Paris, Djemila s’engage à fond dans la coordination des associations de femmes qui militent en faveur de l’abrogation du code de la famille imposée aux Algériennes en 1984 et qui les rattrape même en France.
En 1997, elle part pour le Québec, seule. Elle obtient une bourse de l’INRS Énergies et matériaux pour préparer une maîtrise en physique. Trois années plus tard, elle s’inscrit à la maîtrise en sciences politiques et en droit international. En parallèle à ses études, elle devient correspondante permanente au Canada pour le journal francophone algérien El-Watan.
En 2001, quelques jours après les attentats du 11 septembre, elle se rend à New York pour une série de reportages et quelque mois plus tard au Moyen-Orient où elle rencontre d’éminents intellectuels tels que Sadik Al-Azm, Michel Kilo et Ahmad Zoweil, prix Nobel de chimie. Au Caire, à Beyrouth et à Damas, elle tâte le pouls de la rue face à la montée d’Al-Qaïda. En août 2002, elle part pour Israël et la Palestine où elle rencontre Yasser Arafat, assiégé dans son quartier général de Ramallah. Au palais de justice de Paris, le juge Bruguière, spécialisé dans la lutte anti-terrorisme, lui livre ses analyses sur le réseau terroriste montréalais d’Ahmed Ressam et ses acolytes. Ceci confirme ses observations, fruit de ses rencontres, à Montréal, avec des proches de la cellule de Ressam.
En 2003 et 2004, elle travaille au parlement canadien où elle se familiarise avec les débats politiques et législatifs qui secouent la Colline parlementaire. Actuellement, elle est à l’emploi du gouvernement du Canada.
Djemila Benhabib au podium, 2010-10-03
Photographie : F. Ward
Djemila Benhabib au podium, 2010-10-03
Photographie : F. Ward
Est-ce farfelu d’envisager une saine distanciation entre l’islam et le pouvoir politique? ou est-ce plutôt une nécessité historique et une exigence politique si l’on aspire à vivre en symbiose avec son époque? Comment concevoir cette séparation? Quelle forme prendra-elle? Doit-on la faire? Peut-on la faire? Veut-on la faire? Quel rapport entretenir avec le texte coranique? Comment se fait-il que ce texte-là auquel on ne prêtait pas une si grande attention voilà quarante ans, la preuve en est, les mouvements de libération dans le monde arabe que ce soit en Irak, en Syrie ou même en Palestine avec le Fatah était plutôt laïques, occupe depuis la révolution iranienne de Khomeiny une place absolument prépondérante dans l’organisation de la cité ? Qu’est-ce qui rend cette séparation des champs si difficile en terre d’islam? Quelles sont les conditions aujourd’hui à réunir pour renverser la vapeur et voir progresser l’émancipation laïque? On peut répondre à ces questions très simples et grandement complexes de différentes façons. On évacuera d’emblée la vision simpliste et totalement idiote qui consiste à considérer qu’il y aurait un gène de l’intégrisme ou un gène du terrorisme inscrit dans le code génétique de chaque musulman de même qu’il il y aurait un gène du féminisme ou de la laïcité qui se serait transmis de Jules César à George Bush. Tout compte fait, qu’avait en commun Pétain et Jaurès? Qu’avait en commun Clara Zetkin ou Rosa Luxembourg et Hitler? Qu’avait en commun Gramsci et Mussolini? C’est dire que les idées et les valeurs transcendent les frontières? Rappelons-nous surtout que les idées ont circulé du grec à l’arabe et de l’arabe au latin, puis à l’hébreu et par la suite dans différentes langues européennes. Il faut y voir que la religion chrétienne ou musulmane peut épouser un immobilisme ou une certaine ouverture dépendamment de la conjoncture historique et politique.